Fonder une start-up en Israël
L’histoire des start-up en Israël en s’appuyant sur le cas de trois polytechniciens. Le premier, un vrai startuper se lance dès sa sortie de l’École, les deux autres nettement plus anciens sont tout heureux d’apporter leurs savoirs à de jeunes pousses.
Des trois, Sébastien Derhy (08) est le plus proche de la légende classique du « startupper » : c’est au cours de son stage de troisième année, effectué au Technion en 2011, qu’il découvre et manipule pour la première fois des depth cameras (caméras en « profondeur ») et comprend leur potentiel pour résoudre certains problèmes de numérisation des images en 3D jusque-là insolubles.
Arrivé en Israël en 2014, alors que le marché devenait justement mature dans ce domaine, il crée immédiatement sa start-up avec un de ses anciens collègues de stage.
REPÈRES
Pour évoquer le sujet de cet article, l’auteur a choisi de s’appuyer sur des cas vécus avec les témoignages de Sébastien Derhy (08), Jacques Goldberg (55) et Daniel Lehmann (65).
DEUX CAS ATYPIQUES
Jacques Goldberg (55) et Daniel Lehmann (65) sont des cas beaucoup plus atypiques.
Tous deux professeurs d’université (respectivement en physique au Technion de Haïfa et en informatique à l’Université hébraïque de Jérusalem), ils sont en fait sollicités, l’un par une société américaine, l’autre par un de ses anciens élèves, pour apporter leur savoir à une entreprise déjà existante.
DES CHAMBRES MORTUAIRES AUX MATÉRIAUX FISSILES
C’est ainsi que Jacques se voit impliqué depuis le début des années 2000 dans une start-up dont le but est la création d’un dispositif permettant d’identifier – sans les ouvrir – des conteneurs utilisés dans les tentatives de contrebande de matériaux fissiles, à partir d’une technologie existante, utilisée pour la première fois dans… l’inspection sans fouille des pyramides égyptiennes, à la recherche de chambres mortuaires.
La technique employée par Jacques Goldberg est utilisée pour trouver des chambres mortuaires. © RYU K
DES GOÛTS ET DES COULEURS
Daniel, quant à lui, a créé à ce jour trois start-up différentes, impliquant une technologie originale dont il est le coauteur : elle permet de prévoir les goûts d’un utilisateur pour une catégorie de produits donnée (dans le domaine musical, cinématographique, mode, ou autre), et ce, à partir d’un échantillon de ses goûts dans une autre catégorie.
La première de ses start-up, en 2000, avait pour objet le développement d’une radio personnalisée ; la deuxième visait à mettre en place un réseau social pour favoriser la coopération entre artistes ; la plus récente favorise la réalisation d’études de marché low-cost permettant aux concepteurs et marketeurs de prévoir le succès d’un produit dans différents segments (pays, tranches de la population…).
UN POTENTIEL HUMAIN RECONNU
Israël se distingue unanimement sur le plan humain. Jacques parle sans hésitation : « L’infrastructure majeure, la seule à noter, est l’abondance de matière grise, de personnes qui savent triturer l’idée, poser les bonnes questions, trouver les bonnes réponses, et laisser au vestiaire tout ce qui concerne l’ego » (sans avoir moi-même créé de start-up, j’aurais tendance à être d’accord… sauf pour l’ego).
UN ABANDON PROFITABLE
Aux yeux de Daniel Lehmann, le tournant qui a favorisé l’essor du pays est à ses yeux l’abandon de grands projets étatiques (tels que l’avion de chasse Lavi), ce qui a libéré pour les entreprises privées – vers la fin des années 80 – des centaines d’ingénieurs doués.
Même diagnostic chez Daniel, qui parle de la qualité des universités et l’importance de l’expérience militaire.
Un autre avantage aux yeux de Sébastien est la franchise des interlocuteurs rencontrés : « Les Israéliens sont directs et n’aiment pas perdre leur temps. Du coup, ils ne vous font pas perdre le vôtre non plus. Je trouve cela extrêmement appréciable, en particulier dans le contexte d’une start-up où le temps est très précieux. »
Par ailleurs, il souligne qu’il est relativement facile en Israël de discuter avec des personnes qui paraissent, au premier abord, inaccessibles : la plupart des gens qui ont réussi sont ravis d’aider les nouvelles générations d’entrepreneurs.
UNE AVANCE QUI S’ESTOMPE
UNE SPÉCIALISATION ACCRUE
Il semble que l’essor international en matière de start-up conduit chaque pays à se positionner plutôt sur certains créneaux : Israël reste ainsi réputé mondialement pour ses start-up en cybersécurité (Checkpoint) et computer vision (Mobileye, Primesense).
De ce point de vue, la start-up de Sébastien a largement bénéficié du savoir accumulé dans le domaine des depth cameras ; en œuvrant en Israël, il a pu rapidement avoir accès à des personnes ayant une connaissance extrêmement pointue dans le domaine.
Pour ce qui est du fameux écosystème qui aurait favorisé l’émergence de la Start-up Nation, les avis sont plus mitigés. Daniel Lehmann rappelle pour l’anecdote comment en 1969 son professeur d’informatique, Alan Tritter, défendait déjà l’idée que le software était l’industrie d’avenir pour Israël, alors que très peu de gens étaient d’accord.
Pour Sébastien, l’avance israélienne en termes de quantité d’accélérateurs tend à s’effacer au cours de ces dix dernières années. La plupart des pays, notamment la France, ont rattrapé leur retard : pour preuve, au moment de sa sortie de l’X en 2012, l’École venait de mettre en place une « 4A entrepreneuriat » et possède aujourd’hui son propre accélérateur, jumelé d’ailleurs en 2015 à celui du Technion.
DES FINANCIERS PLUS REGARDANTS
Plus de gros avantage non plus pour la levée de fonds, semble-t-il : Daniel se souvient de la facilité avec laquelle ils avaient réussi à trouver des investisseurs institutionnels en 2000. La situation a beaucoup changé aujourd’hui.
Israël se distingue unanimement sur le plan humain.
© CHAMELEONSEYE / SHUTTERSTOCK.COM
Sébastien fait aussi remarquer qu’en Israël les start-up cherchent des fonds surtout à l’amorçage (moindres montants donc plus facilement accessibles), puisque la taille du marché ne leur permet pas de passer l’étape suivante de leur développement sans s’exporter sur des marchés plus gros… Ce qui pour Daniel est un désavantage supplémentaire.
DES SUCCÈS INÉGAUX
Ici comme ailleurs, l’adage de Tolstoï fonctionne : « Les familles heureuses se ressemblent toutes ; les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon »…
La start-up de Sébastien semble s’être heurtée à des problèmes d’équipe et leur manque de compétence dans le domaine de la vente.
La première start-up de Daniel a fermé en 2014 suite à des décisions malheureuses dans le développement des affaires, la deuxième est au point mort pour cause de désaccord entre les fondateurs, et la plus récente peine à trouver un investisseur (avis aux amateurs…).
Jacques, lui, est plus optimiste : alors que son projet a failli échouer suite à la crise de 2008 et au retrait de la grosse société américaine qui était son principal investisseur, il a récemment réussi, grâce à sa détermination, à terminer ce que l’on a commencé (héritée de ses années de taupe, précise-t-il) et au hasard de conversations de salon, à trouver de nouveaux partenaires.
Ceux-ci sont très motivés pour reprendre le flambeau, et ont fait de lui, à soixante-dix-huit ans à peine, un cofondateur / entrepreneur, heureux de pouvoir mettre son savoir au service de la création d’emplois !
UN PAYS OÙ TOUT EST POSSIBLE
À Tel-Aviv on a l’impression que tout est possible malgré le peu de moyens. © INNAFELKER / SHUTTERSTOCK.COM