Forêt & biodiversité : des leviers indissociables de la lutte contre le réchauffement climatique
Biodiversité, changement climatique, prévention des risques naturels, développement de la filière bois, développement durable… sont autant d’enjeux qui mobilisent l’Office National des Forêts (ONF) alors que le rôle central de la forêt dans la lutte contre le réchauffement climatique n’est plus à démontrer. Dans cet entretien, Mathilde Massias (X02), adjointe au directeur territorial Auvergne-Rhône-Alpes en charge des projets transversaux et directrice de l’agence études, revient sur l’importance d’une gestion forestière moderne, vertueuse et performante afin de relever les défis environnementaux et climatiques de demain.
Quelles sont les missions de l’ONF ?
L’ONF est un établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la double tutelle du Ministère de l’Agriculture et du Ministère de l’Écologie. Il est l’unique gestionnaire des forêts publiques, qui appartiennent à l’État ou aux collectivités, soit un patrimoine de plus de 11 millions d’hectares en Métropole et en Outre-Mer.
La principale mission de l’ONF et de ses 8 200 personnels est de préserver ce patrimoine et d’accompagner son évolution pour répondre durablement à l’ensemble des attentes de la société : accueil du public ; limitation des risques naturels ; production du bois, un matériau local et vertueux en termes de bilan carbone ; préservation et restauration de la biodiversité… L’ONF est donc à la croisée d’enjeux économiques et environnementaux forts. Pour les relever, l’ONF capitalise sur des compétences diverses en interne (sylviculture, environnement, risques, administration, commercial, management) et sur des partenariats noués avec différentes parties prenantes (les ministères de tutelle, les élus, les collectivités, les associations de protection de la nature, les organismes scientifiques, les acteurs économiques des territoires…). En parallèle, l’ONF participe à l’élaboration et à la cohérence de la politique publique en apportant son expertise, son expérience et sa connaissance du terrain.
Aujourd’hui, la transition environnementale s’accélère alors que la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité représentent des enjeux majeurs. Comment appréhendez-vous ces questions ?
Les services rendus par les forêts publiques sont nombreux : la séquestration et le stockage du carbone ; la protection des sols contre l’érosion ; la régulation de la qualité de l’eau, de l’air, du climat ; la production de produits forestiers, dont le bois, mais aussi les plantes aromatiques, les champignons, les fruits…
Nos forêts sont aussi un réservoir de biodiversité animale, végétale, fongique et bactérienne extrêmement riche. En métropole, elles abritent 138 espèces d’arbres, 73 espèces de mammifères, 120 espèces d’oiseaux, plus de 30 000 espèces de champignons et plus de 30 000 espèces d’insectes. Et rien qu’en Guyane, on peut trouver près de 400 000 espèces végétales et animales !
« Nous avons la très forte responsabilité de préserver ce patrimoine, voire de le restaurer là où il a pu être dégradé. »
Nous avons la très forte responsabilité de préserver ce patrimoine, voire de le restaurer là où il a pu être dégradé. La biodiversité est, en outre, un sujet indissociable de l’enjeu d’adaptation au changement climatique (sécheresses, tempêtes, incendies…). Aujourd’hui, plus de 300 000 hectares de forêts publiques subissent des dépérissements importants avec un taux de mortalité inédit. Le changement climatique est une réalité qui impacte la capacité des écosystèmes forestiers à rendre leurs nombreux services. Au-delà, cela remet aussi en cause le rôle majeur des forêts dans l’atténuation du changement climatique.
En effet, après les océans, elles sont le deuxième puit de carbone mondial. Or nous sommes actuellement confrontés à une situation inédite, un cercle vicieux où la forêt est une victime du changement climatique, alors qu’elle devrait être actrice de la lutte contre ce réchauffement. En outre, la vitesse des changements est beaucoup plus rapide que la capacité de migration naturelle des essences forestières. Ne pas accompagner ces évolutions nous exposerait à un risque de crise écologique majeure et un dépérissement, dont les principales conséquences seraient une forêt incapable de jouer son rôle dans la lutte contre le changement climatique et, par conséquent, une amplification du réchauffement climatique.
Dans ce cadre, quelles sont les actions vous menez ?
Pionnier dans l’accompagnement des écosystèmes forestiers, le développement de leur résilience, de leur renouvellement, de leur adaptation et de leur reconstitution, l’ONF a fait le choix d’avoir une stratégie d’intervention volontariste. Nos actions en matière de gestion durable de la forêt s’inscrivent dans un cadre réglementaire, le régime forestier, et se focalisent principalement sur trois objectifs indissociables : fournir du bois à la société, un matériau biosourcé, une énergie renouvelable, de l’emploi local ; accueillir le public et préserver l’environnement.
En parallèle, nous menons aussi des actions spécifiques. Dans les forêts domaniales, par exemple, nous maintenons des îlots de sénescence où nous laissons les arbres mûrir et vieillir au-delà de l’âge d’exploitation. On crée des réserves biologiques où nous nous engageons à mener uniquement des actions en faveur de la restauration de la biodiversité ou de l’environnement. En matière de changement climatique et en cohérence avec le volet forestier du plan de relance national, nous nous concentrons sur l’augmentation de la capacité d’adaptation des peuplements et de leur résilience, mais aussi sur la réduction des facteurs de vulnérabilité.
« L’ONF a fait le choix d’avoir une stratégie d’intervention volontariste. »
L’ambition globale est de rendre la forêt plus résiliente aux différents aléas et risques auxquels elle est exposée, mais aussi de lui donner les moyens de s’adapter au contexte local et au climat futur. Pour relever ces défis, les meilleures solutions sont la diversification des approches et de la sylviculture dans l’espace et le temps, ainsi que la mise en place d’un suivi basé sur une démarche scientifique et des diagnostics à différentes échelles temporelles et géographiques (massif, parcelle, région…).
Pour ce faire, nous avons développé avec nos partenaires des outils de modélisation pour déterminer les essences les plus adaptées à un endroit donné en fonction du scénario climatique envisagé. L’idée est ainsi de capitaliser sur ces actions pour optimiser la gestion forestière quotidienne et la rendre plus efficace.
En parallèle, quelles sont les autres pistes que vous explorez ?
L’ONF met aussi son expertise au service de la prévention des risques naturels en montagne (avalanches, crues torrentielles, chutes de blocs, mouvements de terrain…), des incendies de forêt et de l’érosion littorale. Aujourd’hui, ces risques naturels connaissent des évolutions notables en termes de saisonnalité, de fréquence, de durée et d’intensité sous l’effet du changement climatique, mais aussi du renforcement des enjeux humains dans ces zones. Ce nouveau contexte nous pousse donc à renforcer notre action voire à l’étendre à des zones qui jusque-là étaient moins exposées. En montagne, nous travaillons sur le renouvellement de peuplements spécifiques qui jouent un rôle important en matière de protection contre les risques naturels, car ils ont la capacité à limiter les chutes de blocs, ou encore à maintenir les sols.
« L’ONF met aussi son expertise au service de la prévention des risques naturels en montagne, des incendies de forêt et de l’érosion littorale. »
Nous intervenons également dans l’entretien et le renouvellement de près de 20 000 ouvrages de génie civil ou biologiques qui contribuent à prévenir les risques liés aux crues torrentielles, aux mouvements de terrain, aux chutes de blocs et aux avalanches. On travaille aussi sur la prévention des risques d’origine glaciaire ou péri-glaciaire qui sont en augmentation depuis quelques années. En parallèle, l’ONF s’intéresse de plus en plus aux nouvelles technologies pour optimiser ses processus de prise de décision ; moderniser la gestion forestière ; généraliser le recours à la télédétection, aux drones ou encore à des systèmes d’information plus mobiles et performants ; créer des synergies avec nos différents partenaires.
Nous voulons accroître nos capacités de prédiction, de détection et de suivi en matière de gestion forestière, de préservation de la biodiversité et d’anticipation des risques. Sur le terrain, cela se traduit par une implication forte dans plusieurs projets transversaux et partenariaux.
Dans cette démarche, quels sont les principaux freins et enjeux ?
Sur la question du changement climatique, nous sommes confrontés à une très forte incertitude. Pour y faire face, nous sommes fortement impliqués dans une démarche d’expérimentation et d’appui à la recherche. En parallèle, nous cherchons aussi à mobiliser l’opinion publique sur ces enjeux. La Covid a créé un élan très positif de la société en faveur de la préservation des forêts et de sa biodiversité que nous devons maintenir, voire renforcer. Nous observons aussi une plus forte appétence de nos partenaires et parties prenantes pour être associés de manière plus concrète à la gestion forestière sur leur territoire.
Ce regain d’intérêt pour la forêt nous pousse à être plus à l’écoute des attentes de la société de manière générale. Nous privilégions ainsi une politique d’ouverture et de dialogue pour que les enjeux de la gestion multi-fonctionnelle de la forêt soient mieux partagés et compris pour être appréhendés de manière collective sur le terrain. Pour ce faire, nous collaborons avec des ONG, des fédérations et des associations avec qui nous mettons en place des actions de concertation et de sensibilisation sur la forêt, les enjeux forestiers, la lutte contre le changement climatique…
« Nous avons aussi un très fort enjeu économique. »
Enfin, nous avons aussi un très fort enjeu économique. Le changement climatique génère une baisse des recettes du bois, car un bois dépéri et abîmé se vend moins bien. En parallèle, les fonds nécessaires pour renouveler la forêt, reconstituer les peuplements détruits, préserver la biodiversité et prévenir les risques sont en augmentation sur les court et moyen termes. Cette nouvelle réalité fait évoluer le modèle économique historique de la forêt dans le cadre duquel ce sont les recettes du bois qui permettent aux propriétaires d’engager toutes les dépenses nécessaires. Il est aujourd’hui nécessaire de compléter ce modèle pour permettre à la forêt de bénéficier de financements pour les autres services qu’elle rend.
Et pour conclure ?
J’invite les lecteurs à consulter le site internet de l’ONF sur lequel ils disposeront de nombreuses informations. Ils y découvriront notamment comment ils peuvent s’engager concrètement en faveur des forêts et du climat, à l’échelle individuelle ou collective. En particulier, en matière de RSE, la forêt peut apporter beaucoup aux entreprises. La capacité de la forêt et du bois à stocker naturellement du carbone ouvre aux entreprises des perspectives intéressantes en matière de compensation carbone auxquelles s’ajoutent de nombreux dispositifs de mécénat et de parrainage qui leur donnent aussi la possibilité d’accompagner des projets forestiers favorables à la biodiversité et à la lutte contre le changement climatique.
Quant aux polytechniciens qui souhaiteraient s’engager encore plus directement, ils ont la possibilité de rejoindre l’ONF, soit en CDI en postulant aux offres publiées sur le site de l’ONF, soit comme fonctionnaires, en intégrant le corps des IPEF.