Former les dirigeants au développement durable
Avec la prise de conscience des enjeux du monde et de la nécessité d’un Développement durable compris comme une réponse globale et cohérente à ces enjeux, il devient clair que notre modèle de société se trouve face au défi d’une mutation profonde, voire radicale à conduire dans un laps de temps de l’ordre d’une génération ou à peine plus. Une telle évolution ne se fera pas sous la seule pression du terrain, ni non plus par la seule volonté d’une élite » éclairée « . La mutation doit être globale et coordonnée, et les dirigeants doivent en être les premiers acteurs.
Nos dirigeants ont beau être issus des meilleures écoles, disposer d’une expérience professionnelle de premier ordre et avoir accumulé de nombreux succès professionnels, beaucoup semblent n’avoir pas encore intégré l’ampleur des enjeux et compris toute la dimension du développement durable, s’en tenant en général à leur compréhension » spontanée » du concept. En outre, par construction culturelle et compte tenu de leur niveau d’études, » ils savent » et n’éprouvent guère le besoin de compléter et d’approfondir leur savoir sur ces champs, qui ne doivent pas être aussi essentiels que cela, puisqu’ils ont pu conduire brillamment leur carrière sans avoir besoin de les maîtriser.
Repères
L’évolution très rapide de certains phénomènes (la fonte de la banquise, l’effondrement de la biodiversité, la démographie des pays émergents, la course aux matières premières…) montre l’urgente nécessité d’une réaction efficace à la hauteur des défis à relever. Le temps devient le paramètre essentiel. Il n’est plus temps d’attendre quand le temps écologique rattrape les temps politiques, économiques et sociaux, quand il rejoint le temps des processus sociaux, comme l’éducation, ou sociétaux, comme celui de la prise de conscience du réchauffement climatique. Vingt-cinq ans se sont en effet écoulés entre l’alerte scientifique (1980) et la mise en oeuvre du protocole de Kyoto (2005).
Un sujet flou
Enfin, le constat d’impasse, qu’il nous faut établir si l’on prend le temps de considérer notre modèle de société face aux grands enjeux du monde, n’est guère motivant et cela peut engendrer des attitudes de déni ou tout au moins de doute et de scepticisme entretenues par les positions de certaines personnalités. C’est ainsi que les dirigeants de la sphère économique et financière de notre pays ont longtemps considéré le développement durable comme un sujet flou, l’ont même souvent qualifié de » tarte à la crème » et se sont rassurés en expliquant que, tel Monsieur Jourdain, ils font depuis toujours du développement durable, mais sans le savoir… En définitive, après une bonne décennie d’incompréhension, les dirigeants se trouvent en déficit d’information sur ce sujet pourtant majeur pour les décennies à venir, le prenant pour de l’environnement que l’on aurait mâtiné de social et d’économique pour faire plaisir à tel ou tel groupe de pression. On voit que les vrais défis du développement résident dans la capacité de la société à prendre conscience et à se mobiliser ; il s’agit bien de conduire les mutations pour n’avoir pas à les subir. Conduire les mutations relève évidemment de la responsabilité des dirigeants. Il leur revient de faire les constats, d’élaborer les stratégies efficaces, d’accélérer les processus d’innovation et de conduire le changement, alors que chaque année qui passe alourdit la charge et rend plus difficile la réponse.
Les fondements du développement durable
Le développement durable n’est pas un champ comparable à l’environnement ou au social, mais plutôt une philosophie pour l’action s’appuyant sur un référentiel éthique reconnu sur un plan international.
Les dirigeants se trouvent en déficit d’information sur ce sujet majeur pour les décennies à venir
Il s’agit, d’une part, de principes de gouvernance comme le principe de responsabilité ou le principe de précaution, qui ont pu être dégagés des textes fondateurs du développement durable (Déclaration de Rio) et, d’autre part, du » Contrat mondial » (Global Compact), présenté par le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, lors du Forum de Davos en février 1999. Cette philosophie a émergé dès les années 1970, alors que la communauté humaine prenait conscience de l’ampleur des problèmes environnementaux et des formidables défis du développement. Depuis, les enjeux climatiques, démographiques, écologiques et énergétiques n’ont fait que se renforcer, et l’on commence seulement à comprendre leur intrication et leurs combinaisons systémiques qui conduisent à la dégradation rapide de notre propre écosystème. Le développement durable doit donc être compris comme une réponse, voire pour certains comme » la » réponse que l’on peut opposer aux enjeux du monde. Il implique des révisions profondes voire un changement radical et urgent de notre modèle de société. Soulignons enfin que le développement durable est un processus dynamique qui constitue à la fois une réponse aux enjeux et une nouvelle manière de penser et d’agir.
L’environnement, une notion humaniste
La notion d’environnement apporte une dimension politique à l’écologie, science dont on sait qu’elle étudie les relations entre le milieu naturel et les êtres vivants parmi lesquels l’espèce humaine a pris une part singulière.
Les seules solutions efficaces impliquent des changements radicaux de comportements et de stratégie
L’environnement, en effet, c’est ce qui environne. Certes, mais quoi donc ? L’Homme, bien évidemment. L’environnement est donc une notion anthropocentrée, voire humaniste, alors que l’écologie – si l’on fait abstraction de l’écologie politique – est une discipline scientifique, objective, qui se situe sur un tout autre registre puisqu’il s’agit de l’étude des relations entre les êtres vivants et le milieu naturel. L’environnement introduit ainsi un premier niveau de complexité en plaçant les données propres à la nature et à l’homme (en tant qu’espèce) dans le cadre plus général de l’activité humaine. Cette complexité s’est renforcée par l’introduction de la notion de développement durable, dont on peut dire qu’il s’agit d’un mode de développement économiquement viable, socialement équitable et écologiquement supportable en ajoutant qu’il doit répondre du mieux possible aux besoins des populations d’aujourd’hui, et ne pas hypothéquer la capacité des générations futures à satisfaire à leurs propres besoins.
Développer des compétences complexes
Si l’écologie est une science, si l’environnement est une plateforme articulant les sciences du vivant aux sciences économiques et sociales, le développement durable fait appel, quant à lui, à de multiples domaines et savoir-faire, combinant la compréhension des enjeux à la prospective, au management des hommes et des organisations, à l’éthique et à la psychosociologie. On mesure ici en quoi le passage de l’environnement au développement durable n’est pas anodin et en quoi cela modifie considérablement la donne en matière de formation. On ne peut pas se contenter d’apporter des connaissances, seraient-elles très sophistiquées, il faut trouver le moyen de développer des compétences complexes, d’ailleurs encore assez mal cernées, qui sont portées tout autant par les individus que par les organisations ou par la société elle-même. On peut ainsi considérer que le développement durable passe par l’intégration de compétences individuelles, collectives et sociétales.
Un schéma général
Le Pourquoi avant le Comment
Il faut être imaginatif en ce qui concerne les méthodes pédagogiques adaptées au public des responsables et dirigeants. Malgré l’expérience acquise depuis treize années au sein du Collège des hautes études de l’environnement et du développement durable (CHEE & DD), cela reste un défi à relever, défi auquel le Collège s’attelle en permanence avec l’aide de trois grandes écoles partenaires, l’École centrale de Paris, l’ESCP-EAP et AgroParisTech. Les recettes sont simples : qualité et diversité des auditeurs et des intervenants, ouverture d’esprit, désir de mieux comprendre, de partager son expérience et de mieux faire ; s’interroger d’abord sur le » Pourquoi ? » avant d’aller au » Comment ? « .
Les enjeux sont assimilés par les plus hauts responsables (le président, le directeur général), qui, après les avoir exprimés à l’occasion d’une déclaration de politique générale, désignent un responsable au sein de l’organisation pour porter la problématique, concevoir et développer la stratégie. En général, mais de moins en moins souvent, ce sont les responsables des services Environnement qui se trouvent en première ligne et sur lesquels pèsent de ce fait la formation et l’éducation de leurs collègues et collaborateurs, voire celles de leurs supérieurs hiérarchiques. Parfois, ce sont des responsables relevant d’autres secteurs comme la communication et le marketing, le juridique, les ressources humaines ou la production. La question qui se pose en amont est alors celle de la formation de ces responsables : celle-ci doit se déterminer en fonction de leur profil d’origine, de leur expérience professionnelle, de leurs compétences et, bien sûr, en fonction des objectifs propres de l’organisation en termes de métier et de compétences individuelles et collectives.
Un cahier des charges pour la formation
Quel est le cahier des charges pour la formation de ces responsables ? Les responsables développement durable doivent intégrer la complexité du sujet, alors même que celui-ci n’est en général pas bien compris de leur hiérarchie, ni parfois même appréhendé. En outre, ils doivent non seulement faire bonne figure devant les interlocuteurs extérieurs (les parties prenantes) malgré les insuffisances de l’organisation, mais ils doivent aussi être capables d’engager le dialogue en interne avec chacun des autres dirigeants, et pour cela adopter leur culture afin de se projeter dans leur paysage mental et se faire entendre d’eux. Parmi les qualités du responsable développement durable, la persévérance n’est pas la moindre ; il lui faut, en effet, savoir surmonter l’inertie interne et les résistances spontanées au changement de leur propre organisation. C’est qu’en fait ils dérangent l’ordre des choses, puisqu’ils agissent dans la transversalité, sollicitant les uns et les autres. Pire, ils perturbent, car ils sont annonciateurs de difficultés voire de calamités ; et, quand les faits leur donnent raison, ils deviennent aisément boucs émissaires… Enfin, ces responsables développement durable sont fragiles, car ils ne proposent pas de solutions agréables, et parce que les seules qui puissent être efficaces impliquent des changements radicaux de comportements, de stratégie ou même de modèle. Quel contenu pédagogique pour développer quelles compétences ? L’expérience acquise avec d’autres publics et sur d’autres sujets tels que la conduite du changement, l’innovation ou le management de projet ne nous laisse pas sans ressources. On sait ainsi quelles sont les compétences à développer. Conscientiser, responsabiliser, argumenter : faire comprendre l’évolution des contraintes et les enjeux associés ; apprendre à sortir de sa discipline ou de son métier ; apprendre à échanger avec les autres responsables ; sortir de sa propre organisation, aller à la rencontre des autres acteurs, engager le dialogue ; apprendre la logique de réseau pour mieux diffuser et influencer ; savoir établir des partenariats ; savoir repérer et transposer les bons exemples et les bonnes pratiques ; savoir communiquer et entraîner, etc.
Former les responsables en place
En ce qui concerne les futurs dirigeants, ceux qui, aujourd’hui, suivent les cursus des grandes écoles, le paysage pédagogique a plutôt bien évolué en quelques années après quelques initiatives pionnières visant à la création de diplômes spécifiques. En effet, depuis deux ans, le mouvement a gagné l’ensemble des grandes écoles ; le dernier congrès de la Conférence des grandes écoles (CGE, Brest, octobre 2006) portait sur la responsabilité globale et le développement durable, la CGE ayant même signé le Contrat mondial, la charte des Nations unies pour le développement durable, et élaboré un référentiel stratégique pour l’intégration du développement durable dans toutes les missions des écoles. En 2008, l’Université devrait également s’engager, la Conférence des présidents d’université (CPU) ayant pris le sujet en main. L’enseignement supérieur français doit produire un effort soutenu et prolongé pour intégrer le développement durable non seulement dans ses missions de formation et de recherche, mais aussi dans la gouvernance des établissements et dans l’écogestion des campus. Cela passe par la formation des responsables, et notamment par celle des enseignants et chercheurs, ce qui n’est pas le défi le plus facile à relever. S’il est vital que les futurs responsables et dirigeants du pays aient pleinement conscience des enjeux, il est bien plus urgent de former les responsables en place. Sensibilisation et formation, déclarations d’engagements, chartes, bonnes pratiques sont autant de moyens pour déclencher des prises de conscience salutaires et pour développer non seulement les compétences de chacun, mais surtout les compétences collectives de l’entreprise ou de l’organisation.
Éduquer et former
Tout cela est très bien, mais comme nous l’avons compris, le développement durable implique des mutations profondes pour la société ; il s’agit de nous doter dans les meilleurs délais de compétences de haut niveau aptes à concevoir et à mettre en oeuvre des stratégies globales pour permettre ces mutations et les accélérer. Face au défi de cette mutation profonde à laquelle nous appelle le Développement durable, nous sommes placés devant un impératif : éduquer et former les responsables et, en premier lieu, les décideurs et les formateurs.
Une partie de cet article a été publiée dans le Bulletin du Centre d’études supérieures de la Marine, en février 2007.
Le Collège des hautes études de l’environnement et du développement durable
Le concept de » Hautes études » est volontiers accepté par les dirigeants, la référence la plus prestigieuse étant celle de l’Institut des hautes études de la Défense nationale.
Le cursus est conçu pour des responsables en exercice et tient compte de leur indisponibilité.
On y rencontre ses pairs et des responsables de même rang mais relevant d’organisations étranges avec lesquelles on n’entretenait pas de relations. La diversité des origines garantit l’ouverture, et la qualité des intervenants le niveau de réflexion.
Une approche statégique
L’approche des problématiques est assez panoramique, parfois même jugée superficielle par les auditeurs les plus experts du sujet, mais en fait stratégique grâce au concours de hauts responsables et de spécialistes qui savent aller à l’essentiel, expliciter le paysage et interpréter les évolutions. L’important c’est le Pourquoi ? Autre dimension du concept » Hautes études « , l’effet réseau entre les auditeurs d’une même promotion, mais aussi avec ceux des sessions précédentes et avec les nombreux intervenants.
Pour faire face à l’ampleur soudaine des attentes en matière de formation au développement durable (effet Grenelle), le Collège s’organise pour : essaimer le concept pour couvrir les besoins sur l’ensemble du territoire ; quatre entités fonctionnent déjà, le réseau ayant pour objectif d’en compter une dizaine en 2009 ; cibler en priorité les publics de décideurs » névralgiques » ou à effet levier ; développer supports vidéo et TIC pour démultiplier et prolonger l’action pédagogique.
Le Collège est ainsi un dispositif en réseau d’entités elles-mêmes » réseaux » ; il réunit des institutions et des individus dont la plupart sont des responsables de haut niveau disposant de leviers d’action.
Pour en savoir plus : www.cheedd.net