FRANCE : 40% d’électricité verte en 2030
C’est l’objectif fixé en France par la loi LTECV. Il ne sera pas atteint en se contentant de poursuivre le rythme actuel déjà élevé des nouvelles installations. Il faut une rupture avec un développement tiré par les envies des consommateurs ayant pour moteur l’autoconsommation, avec ou sans stockage, individuelle ou collective.
Une définition pour commencer. De quel pourcentage parle-t-on quand on évoque la « part du renouvelable dans le mix » ? Pour l’électricité, il s’agit de la quantité d’énergie renouvelable produite sur une année divisée par la quantité totale d’énergie produite sur la même période.
“ Augmenter de plus de 50 % le rythme de développement des EnR électriques ”
Au premier abord, cela paraît intuitif. Le moyen recherché pour atteindre l’objectif est avant tout celui de l’augmentation du numérateur, qui suppose donc d’accroître les puissances renouvelables installées en France, mais la diminution du dénominateur, par la baisse de la production électrique non renouvelable, aurait également pour effet d’augmenter le pourcentage considéré, quitte à ce que la France baisse ses exports d’électricité et l’excédent commercial correspondant !
Ne serait-il pas plus logique de se doter d’un indicateur où le dénominateur ne serait pas la production mais la consommation d’électricité en France, comme cela est défini par la LTECV pour toutes les autres énergies ?
REPÈRES
La loi n° 2015–992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte dite LTECV fixe au pays un objectif : porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ; à cette date, pour parvenir à cet objectif, les énergies renouvelables doivent représenter 40 % de la production d’électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz.
DEUX LEVIERS D’ACTION
L’esprit d’un tel changement serait de chercher à juger, indépendamment du solde import-export avec nos pays voisins, la capacité à répondre à la demande nationale d’électricité par une part croissante de production renouvelable.
Et dans cette perspective les deux seuls leviers pour jouer positivement sur l’indicateur apparaîtraient beaucoup plus cohérents et complémentaires : la hausse de la production renouvelable d’une part et les efforts d’efficacité énergétique d’autre part.
Cela étant rappelé, quelles sont les quantités d’EnR supplémentaires à installer pour atteindre les objectifs politiques ? La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) précise que, à consommation et solde exportateur d’électricité inchangés, l’objectif de 40 % de la LTECV reviendrait à produire 216 TWh d’électricité renouvelable en 2030.
Une progression linéaire vers cet objectif donnerait pour « point de passage » en 2023 une production renouvelable de 155 TWh, contre 95 TWh en 2016.
Filière renouvelable électrique |
Puissance installée fin 2016 (MW) |
Objectif fin 2018 (MW) |
Objectif fin 2023 (MW) |
Hydroélectricité (dont énergie marémotrice) |
25 482 | 25 300 | 25 800 – 26 050 |
Éolien | 11 670 | 15 000 | 21 800 – 26 000 |
PV | 6 772 | 10 200 | 18 200 – 20 200 |
Bois | 591 | 540 | 790 – 1040 |
Éolien en mer posé | 0 | 500 | 2 000 |
Énergies marines (dont éolien flottant) |
0 | 0 | 400 |
DES CHIFFRES À 2018 ET 2023
Des objectifs de puissance installée par filière ont par conséquent été établis aux deux horizons de la programmation pluriannuelle de l’énergie, 2018 et 2023, afin que la production renouvelable visée en 2023 se situe entre 150 et 167 TWh.
Le tableau ci-dessus nous montre l’importante augmentation attendue du « stock » de puissance renouvelable installée, de 100 % pour l’éolien et de 200 % pour le PV, mais ne suffit pas à satisfaire ces objectifs.
En effet, aux horizons de temps considérés, le « gisement » d’EnR théoriquement accessible en France est loin d’être saturé – à l’exception notable de l’hydroélectricité – et suffit largement pour atteindre voire dépasser ces valeurs.
UN ENJEU DE RYTHME DE DÉVELOPPEMENT
L’hydroélectricité est la première des énergies renouvelables électriques © PL.TH / FOTOLIA.COM
Le facteur limitant qu’il faut regarder de plus près est plutôt celui du « flux », c’est-à-dire du rythme nécessaire de raccordement de nouvelles capacités pour atteindre les objectifs dans les délais attendus.
Or ce rythme est très supérieur aux tendances constatées par le passé et par conséquent très difficile à atteindre.
UN POTENTIEL DE 1 200 TWH
L’étude de l’Ademe d’octobre 2015 sur un mix électrique 100 % renouvelable estime le potentiel maximal d’EnR électrique en France à plus de 1 200 TWh, si presque tous les sites techniquement favorables étaient équipés.
À titre de comparaison, la production annuelle de l’ensemble du parc électrique français s’élève aujourd’hui à 540 TWh.
La programmation pluriannuelle de l’énergie a d’ailleurs clairement identifié cet enjeu et a cherché des solutions pour « augmenter de plus de 50 % le rythme de développement des EnR électriques », notamment via un meilleur cadencement des appels d’offres et des simplifications administratives.
Pour l’instant, cela ne semble pas suffire. Sans compter les retards pris par les premiers parcs éoliens offshore, nous pouvons nous intéresser en particulier à l’éolien terrestre et au PV, les deux filières qui doivent assurer l’essentiel de la croissance renouvelable électrique dans les années à venir.
Depuis 2010, la puissance éolienne nouvellement raccordée tourne autour de 1 000 MW/an en moyenne. En 2013, seuls 620 MW ont été raccordés tandis que 2016 a constitué une année record avec 1 345 MW raccordés. Mais ce record demande à être battu de façon répétée sur les sept prochaines années, puisque l’atteinte ne serait-ce que de la fourchette basse 2023 suppose de raccorder en moyenne 1 450 MW/an.
Pour le photovoltaïque, la moyenne des sept dernières années est de 940 MW nouvellement raccordés par an, très loin des 1 640 MW/an à réaliser sur les sept prochaines années, là aussi pour la fourchette basse de la PPE uniquement.
Un tel niveau n’a été atteint qu’en 2011, avec 1 700 MW raccordés, et l’année 2016 en est bien loin. En effet, avec 575 MW seulement, c’est la pire année pour les raccordements photovoltaïques en France depuis 2009 !
DES OBJECTIFS IMPOSSIBLES À ATTEINDRE ?
Faut-il en déduire que les objectifs en matière d’énergies renouvelables électriques ne seront pas atteints, qu’il s’agisse de ceux fixés pour 2018, 2020, 2023 ou 2030 ? Pour les plus proches d’entre eux, c’est en effet très probable. Mais à moyen terme tout n’est pas joué.
“ Partout sur le globe, l’électricité renouvelable est en train de devenir non plus l’exception mais la règle ”
Certes l’État peut encore améliorer les choses et lever un certain nombre de freins administratifs et juridiques, et c’est même souhaitable, mais s’il n’y avait que cette marge de progrès à attendre, alors les objectifs 2030 risqueraient de ne pas être atteints.
On pourra compter aussi sur du progrès technique, et, pour ne citer qu’un exemple, si l’éolien flottant concurrençait l’offshore posé voire se rapprochait des coûts du terrestre, il pourrait être judicieux de miser davantage sur cette filière et d’éviter ainsi de trop fréquents conflits d’usage ou de voisinage.
DE NOUVEAUX MOTEURS DE CROISSANCE
Mais des changements plus profonds peuvent également se produire, des « ruptures » qui changeraient la donne pour les renouvelables dans les années à venir, les faisant passer d’un développement poussé par la volonté politique de l’État à un développement tiré par les envies des consommateurs et des acteurs des territoires.
Pour le photovoltaïque, la moyenne des sept dernières années est de 940 MW nouvellement raccordés par an, très loin des 1 640 MW/an à réaliser sur les sept prochaines années. © OLIVIER / FOTOLIA.COM
La dynamique de la filière PV pourrait ainsi basculer si l’autoconsommation, avec ou sans stockage, individuelle ou collective, devenait le principal moteur de croissance de cette filière, qui vit aujourd’hui au gré des appels d’offres publics et des soutiens financiers fixés par l’administration.
Les solutions numériques et de transaction en peer to peer peuvent, quant à elles, susciter de nouvelles demandes, comme l’appétence à acheter à son « voisin » un bien produit localement, en l’occurrence de l’électricité, en complément voire en remplacement de ce qui est produit de façon centralisée et industrielle. On a vu dans des secteurs comme le transport ou le tourisme comment, lorsque de nouvelles offres, souvent permises par les technologies de l’information, rencontrent une demande inassouvie ou rendent de nouveaux services, on peut passer très vite d’un « monde » à un autre.
Or, partout sur le globe, l’électricité renouvelable est en train de devenir non plus l’exception mais la règle… Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) indique ainsi qu’en 2016 les nouvelles capacités installées dans le monde ont majoritairement été renouvelables, avec 160 GW installés, en particulier parce qu’il s’agit de plus en plus souvent de l’option la plus économique pour répondre à la demande énergétique croissante des pays émergents.
SE PRÉPARER AU MONDE DE DEMAIN
Il n’est donc pas du tout certain que la France atteigne ses objectifs d’électricité renouvelable en 2030, compte tenu du retard pris, mais il est très probable qu’une forme de « normalisation » des EnR intervienne dans les prochaines années et il est essentiel de s’y préparer dès maintenant.
“ Les conditions économiques et l’organisation des marchés de l’électricité sont à repenser ”
Il est souvent fait mention de la gestion de la variabilité de la production renouvelable, qui fait l’objet d’intenses travaux de recherche et d’innovation, comme, par exemple, le projet européen MIGRATE qui explore la question de l’intégration massive de l’électronique de puissance dans les réseaux.
Il s’agit en effet d’anticiper le plus possible les défis d’un système électrique dont les caractéristiques seront profondément modifiées, surtout au-delà de 2030, mais qui se devra d’être toujours aussi performant, robuste et résilient.
Il est crucial de se doter d’une vision d’ensemble de toutes les énergies et des enjeux qui en découlent. © MCCARONY / FOTOLIA.COM
Les conditions économiques et l’organisation des marchés de l’électricité sont aussi à repenser. Dans un secteur dominé par les coûts fixes, les outils de « dérisquage » deviennent essentiels pour éviter les effets de cycle et leurs conséquences sur la sécurité d’approvisionnement d’un bien de première nécessité.
DÉVELOPPER UNE VISION GLOBALE
La transition sociale du secteur électrique est également un enjeu majeur, compte tenu des évolutions induites à la fois sur les compétences professionnelles requises et sur la répartition géographique des emplois. Enfin, il est crucial de se doter d’une vision d’ensemble de toutes les énergies et des enjeux qui en découlent.
La lutte contre les changements climatiques et les problèmes de santé-environnement, la priorité donnée aux énergies à plus forte valeur ajoutée nationale doivent conduire à favoriser les vecteurs énergétiques qui sont à la fois les moins carbonés et les plus renouvelables.
La question du développement des renouvelables en France ne peut donc pas être séparée de celle du nécessaire accroissement de la part de la chaleur renouvelable et de l’électricité.
4 Commentaires
Ajouter un commentaire
France : 40% d’électricité verte en 2030
L’article de D. Siess est intéressant mais il ne fait que des promesses : « Des objectifs impossibles à atteindre » et « il n’est donc pas du tout certain que la France atteigne ses objectifs d’électricité renouvelable en 2030, compte tenu du retard pris, mais il est très probable qu’une forme de « normalisation » des EnR intervienne dans les prochaines années et il est essentiel de s’y préparer dès maintenant. »
D’autre part, je n’ai pas vu (mais j’ai peut-être lu trop rapidement) que les EnR principales, que sont l’éolien et le solaire PV, sont intermittentes et qu’elles nécessitent une énergie adossée qui fournit l’électricité à toute heure du jour et de la nuit. Je n’ai pas vu un mot sur ce problème essentiel et redoutable.
Vous avez lu trop vite : « Il
Vous avez lu trop vite : « Il est souvent fait mention de la gestion de la variabilité de la production renouvelable, qui fait l’objet d’intenses travaux de recherche et d’innovation, comme, par exemple, le projet européen MIGRATE qui explore la question de l’intégration massive de l’électronique de puissance dans les réseaux. »
Electricité vs Energie
Augmenter la part du renouvelable dans l’électricité est important (surout pour pouvoir décommissionner le nucléaire).
C’est surtout diminuer la part du fossile dans l’energie qui est vraiment important.
En France, seulement 6% de l’électricité est d’origine fossile, mais 68% de l’énergie est d’origine fossile.
Et c’est 78% en Allemagne.
En Nouvelle-Zelande, l’électiricté est de source renouvelable à 81% (selon Wikipedia),
mais l’énergie est d’origine fossile à plus de 60%
Il n’y a guère que l’Islande qui n’utilise que 13% d’energie d’origine fossile.
Chacun chez soi ?
L’autoconsommation est un paramètre important, en effet le prix producteur n’a rien à voir avec la facture au prix de détail, notamment à cause des taxes et subventions.
Avec une offre technique clé en main adaptée, simple et fiable, stockage compris, le retournement du marché pourrait s’accélérer massivement. Il nous manque encore cette offre (PV sans doute plutôt qu’éolien) et le Tesla-Uber-Amazon qui la porterait.
Qui c’est qui s’y colle ? On attend encore les américains ou l’Europe est-elle encore capable de créer des champions ?
Mais gare aux effets induits sur tous les coûts fixes qui ne seront plus couverts par la baisse du volume sur le réseau électrique et l’énergie auto, il y aura des dégâts collatéraux (souhaitables parfois).