France FinTech, Business Angel et conseil de plusieurs dirigeants du secteur financier

La fintech est un des secteurs les plus dynamiques de la Tech française

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°774 Avril 2022
Par Alain CLOT

Dans cet inter­view, Alain Clot, pré­sident cofon­da­teur de France Fin­Tech, Busi­ness Angel et conseil de plu­sieurs diri­geants du sec­teur finan­cier, dresse pour nous un pano­ra­ma de l’écosystème des fin­techs en France, un sec­teur dyna­mique et en pleine croissance.

Présentez-nous France FinTech.

France Fin­Tech a vu le jour en 2015 à l’initiative d’entrepreneurs fran­çais de ce sec­teur. Elle fédère des entre­prises uti­li­sant des modèles opé­ra­tion­nels, tech­no­lo­giques ou éco­no­miques inno­vants visant à trai­ter des pro­blé­ma­tiques exis­tantes ou émer­gentes de l’industrie des ser­vices financiers. 

Notre acti­vi­té pour­suit trois grands objectifs :

  • pro­mou­voir l’excellence du sec­teur en France et à l’étranger au tra­vers de nom­breuses inter­ven­tions : inter­views, confé­rences, for­ma­tion, et diverses publi­ca­tions (news­let­ter, livres blancs, études et son­dages, pod­cast, web séries…) ;
  • repré­sen­ter les fin­techs fran­çaises auprès des dif­fé­rentes par­ties pre­nantes de l’écosystème natio­nal et inter­na­tio­nal : pou­voirs publics natio­naux et euro­péens, par­le­men­taires, régu­la­teurs, ins­ti­tuts de recherche et d’enseignement, grands acteurs finan­ciers et tech­no­lo­giques. France Fin­Tech contri­bue au nom des entre­pre­neurs aux diverses consul­ta­tions natio­nales et euro­péennes et est aus­si force de pro­po­si­tion sur des sujets légis­la­tifs et régle­men­taires. Elle est membre cofon­da­teur de l’European Digi­tal Finance Association ; 
  • ani­mer l’écosystème de la Fin­tech au tra­vers de ren­contres thé­ma­tiques, groupes de tra­vail, publi­ca­tions. Chaque année, l’association orga­nise Fin­Tech R:Evolution, l’évènement de réfé­rence de la place, qui réunit les entre­pre­neurs, les par­te­naires, les médias, le monde de l’enseignement et de la recherche. Sa pro­chaine édi­tion se tien­dra le 20 octobre 2022 sur le toit de la Grande Arche – Paris La Défense.

France Fin­Tech est la pre­mière asso­cia­tion sec­to­rielle numé­rique en France et par­mi les prin­ci­pales en Europe. 

Nous réunis­sons près de 300 membres et des par­te­naires aca­dé­miques (chaires, écoles…), grandes entre­prises (banques, assu­rances, ges­tion­naire d’actifs, fonds de capi­tal risque, cabi­nets de conseil, cabi­nets d’avocats, etc.), ain­si que des grandes ins­ti­tu­tions dont la Banque de France, La French Tech ou encore la Région Île-de-France. 

Au-delà de notre volon­té de fabri­quer des cham­pions fran­çais, euro­péens et inter­na­tio­naux, notre ambi­tion est de contri­buer à l’emploi qua­li­fié en France, la sou­ve­rai­ne­té fran­çaise et euro­péenne, le finan­ce­ment de l’économie réelle, ain­si qu’à la pro­mo­tion de la mixi­té dans la tech, de la finance verte et du déve­lop­pe­ment durable. 

Qu’est-ce qui caractérise l’écosystème français fintech ? 

Une fin­tech, telle que nous la per­ce­vons et la conce­vons, est une start-up, c’est-à-dire une enti­té de petite taille. Elle s’appuie sur une com­po­sante tech­no­lo­gique signi­fi­ca­tive : algo­rithmes, sciences cog­ni­tives, machine lear­ning, blo­ck­chain, etc. Elle applique ces tech­no­lo­gies de la don­née à des sous-jacents finan­ciers : ser­vices ban­caires, assu­rances, ges­tion d’actifs, Reg­Tech, ser­vices aux direc­teurs finan­ciers, éco­no­mie de la fac­ture, ges­tion finan­cière à base de comp­ta­bi­li­té… Selon cette défi­ni­tion, on recense en France plus de 800 fin­techs qui couvrent un large panel de sec­teurs : conseil en inves­tis­se­ment, agré­ga­tion de comptes, ser­vices de paie­ments, néobanques,
assur­tech, cryp­to­mon­naie, fac­ture, finan­ce­ment participatif…

Contrai­re­ment aux idées reçues, la France a accé­dé aux ser­vices finan­ciers à dis­tance plus tôt que les acteurs anglo-saxons grâce au mini­tel, une véri­table révo­lu­tion à l’époque déve­lop­pée par des ingé­nieurs fran­çais. Plus tard, les ser­vices finan­ciers à dis­tance ont épou­sé l’infrastructure du mini­tel per­met­tant ain­si aux Fran­çais de consul­ter leurs comptes et de réa­li­ser des tran­sac­tions ban­caires simples à distance. 

Entre­temps, les acteurs anglo-saxons ont, dans ce sec­teur, pris de l’avance sur nous pour trois rai­sons essen­tielles : la qua­si-absence en France de capi­tal risque qui est le finan­ceur habi­tuel de l’écosystème des start-up ; un régu­la­teur qui n’était pas très favo­rable à l’innovation tech­no­lo­gique et un mar­ché ban­caire uni­ver­sel très domi­nant où il est pos­sible d’accéder à tous les ser­vices au sein du même établissement. 

Depuis, les choses ont for­te­ment évo­lué. Aujourd’hui, la France est dans le top 3 en matière de capi­tal risque en Europe. Nos régu­la­teurs ont réa­li­sé une véri­table révo­lu­tion cultu­relle avec des organes de régu­la­tion, comme l’ACPR et l’AMF, qui se sont dotés d’équipes dédiées à la fin­tech et qui ont pro­fon­dé­ment revu leur mode de tra­vail et d’interaction avec notre éco­sys­tème. Enfin et sur­tout le consom­ma­teur fran­çais, qui avait pour habi­tude de se ser­vir à un seul endroit, a diver­si­fié ses four­nis­seurs de ser­vices finan­ciers. À titre d’exemple, l’application Lydia est aujourd’hui uti­li­sée par un fran­çais sur trois âgé entre 18 et 35 ans. 

La fin­tech fran­çaise est en pleine expan­sion. Elle a levé 1,3 mil­liard d’euros de fonds en 30 opé­ra­tions depuis le début de l’année, soit 6 fois le mon­tant équi­valent à 2021.

Le ticket moyen a lui-même for­te­ment aug­men­té : 44 mil­lions d’euros.

Quels sont les moteurs de l’innovation financière ? 

Jusqu’à quelques années, l’innovation finan­cière n’était pas prin­ci­pa­le­ment tech­no­lo­gique. Elle por­tait essen­tiel­le­ment sur deux aspects : les nou­veaux usages et l’expérience uti­li­sa­teur. Désor­mais, la tech­no­lo­gie, notam­ment d’intelligence arti­fi­cielle, accé­lère for­te­ment l’innovation.

La forte crois­sance des capa­ci­tés de trai­te­ment et de sto­ckage de la don­née, l’open data, le machine lear­ning, et les algo­rithmes de der­nière géné­ra­tion ont for­te­ment contri­bué à l’émergence de ser­vices performants.

Si pen­dant très long­temps elle a été un frein à l’innovation, la régle­men­ta­tion s’impose aus­si comme un accé­lé­ra­teur de ce mou­ve­ment. En ce sens, on peut notam­ment citer deux textes : le RGPD, qui pro­tège les don­nées des clients et leur redonne la main sur sa don­née et la deuxième direc­tive sur les ser­vices de paie­ment (DSP2), qui per­met de mobi­li­ser les don­nées sta­tiques et dyna­miques des comptes ban­caires pour obte­nir de nou­veaux ser­vices auprès d’un pres­ta­taire régulé. 

Les acteurs de la fin­tech inves­tissent beau­coup de temps, de res­sources finan­cières et tech­no­lo­giques pour satis­faire aux impé­ra­tifs de confor­mi­té. Pour une start-up, cela repré­sente un coût fixe très lourd. Tou­te­fois, en Europe, quand on obtient un agré­ment pour un mar­ché de l’Union, il est pos­sible de “l’exporter” vers d’autres pays de la com­mu­nau­té. Il ne faut pas oublier que l’Europe reste le plus grand mar­ché de ser­vices finan­ciers du monde (en valeur) avec près de 500 mil­lions de consom­ma­teurs-inves­tis­seurs à haut niveau de reve­nu et de patrimoine.

Et dans ce paysage, qu’en est-il du rapport entre les fintechs et les acteurs traditionnels ? 

J’ai ten­dance à dire qu’ils sont pas­sés par tous les cycles : indif­fé­rence, inté­rêt, amour, pas­sion et par­fois exas­pé­ra­tion ! On relève, aujourd’hui, une den­si­té très éle­vée d’échanges entre ces deux mondes. Plus de 1 000 par­te­na­riats entre les fin­techs fran­çaises et les grands éta­blis­se­ments ban­caires et finan­ciers ont été conclus : pro­duc­tion (déve­lop­pe­ment de briques tech­no­lo­giques), dis­tri­bu­tion (marque blanche ou en propre), sché­ma d’investissement avec des par­ti­ci­pa­tions mino­ri­taires ou majoritaires.

Même si la dis­tri­bu­tion directe auprès des par­ti­cu­liers et des entre­prises se déve­loppe plus rapi­de­ment que le B2B (le “B” étant une banque ou un assu­reur) et a voca­tion à deve­nir majo­ri­taire sur ce seg­ment, les fin­techs et assur­techs opèrent dans une pro­por­tion éle­vée en tant que four­nis­seurs des grands éta­blis­se­ments tra­di­tion­nels. Elles consti­tuent donc pour ces der­niers un accé­lé­ra­teur d’innovation dans nombre de domaines : nou­veaux usages, expé­rience uti­li­sa­teur, etc. Cet aspect est fon­da­men­tal à un moment où toutes sortes de nou­veaux entrants se présentent.

Et les Big Tech, plus précisément les GAFAM et BATX ?

Pen­dant des années, ils ont expli­qué qu’ils n’étaient pas réel­le­ment inté­res­sés par les ser­vices finan­ciers. Aujourd’hui, l’offensive est géné­rale. L’explication est très simple : les ser­vices finan­ciers per­mettent d’accéder à de la don­née abon­dante et de qua­li­té, qui est la matière pre­mière de cette industrie.

Les GAFAM et les BATX se posi­tionnent sur ce seg­ment pour des rai­sons défen­sives (fidé­li­ser leurs uti­li­sa­teurs y com­pris lors des paie­ments) et offen­sives (les ser­vices finan­ciers sont un vec­teur de don­nées et de marges). D’ailleurs, une des prin­ci­pales fin­techs au monde est Ant Finan­cial, une filiale d’Alibaba. Ils ont déjà ren­con­tré cer­tains suc­cès (paie­ment par exemple) mais aus­si des échecs cui­sants (cryp­to, néo­banque) qui, même s’ils sont peut-être pro­vi­soires, démontrent qu’en matière de ser­vices finan­ciers, les consom­ma­teurs auront tou­jours ten­dance à pri­vi­lé­gier la confiance, le four­nis­seur et le savoir-faire. 

France Fintech

Quelles sont les tendances qui se dessinent ?

On note plu­sieurs ten­dances de fond :

  • les efforts de moné­ti­sa­tion des ser­vices et de via­bi­li­sa­tion des modèles ;
  • la course vers la taille cri­tique : pour réus­sir, il est indis­pen­sable de gran­dir et de gros­sir, en termes tant de chiffre d’affaires et de dis­po­si­tif que de valorisation ;
  • la pla­te­for­mi­sa­tion : les fin­techs com­mencent géné­ra­le­ment un ou deux ser­vices finan­ciers, puis ajoutent pro­gres­si­ve­ment des briques de ser­vice au prix d’investissements impor­tants notam­ment tech­no­lo­giques et réglementaires ;
  • l’internationalisation.

À cela s’ajoutent un élar­gis­se­ment des cibles de clien­tèle et des sec­teurs indus­triels couverts :

  • la clien­tèle : si his­to­ri­que­ment la plu­part des fin­techs visaient les besoins de la clien­tèle de par­ti­cu­lier d’entrée de gamme, elles se posi­tionnent de plus en plus sur d’autres seg­ments comme la clien­tèle plus aisée, les TPE-PME, les inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels, les col­lec­ti­vi­tés publiques et ter­ri­to­riales. Cela se tra­duit par la péné­tra­tion de sec­teurs comme la ges­tion pri­vée, la ges­tion d’actifs, la banque de finan­ce­ment et d’investissement ;
  • leur péri­mètre de savoir-faire évo­lue éga­le­ment. On assiste ain­si au déve­lop­pe­ment des métiers du cré­dit et de l’analyse de risque. Les nou­velles tech­no­lo­gies, mais éga­le­ment la régle­men­ta­tion, dont DSP2 que j’ai pré­cé­dem­ment men­tion­née, per­mettent aux fin­techs de pro­po­ser cer­tains modèles alter­na­tifs de sco­ring notamment. 

Et pour conclure ? 

La fin­tech fran­çaise est un sec­teur d’excellence en pleine crois­sance qui compte déjà de nom­breuses licornes. Au-delà c’est, pour notre pays, une oppor­tu­ni­té mais aus­si un enjeu de souveraineté. 

Il importe donc de se hâter pour favo­ri­ser l’émergence de cham­pions natio­naux qui pour­ront se posi­tion­ner en Europe et dans le monde. 

C’est aus­si un sec­teur qui recrute : il pesait déjà 30 000 emplois à fin 2021 et on s’attend à 10 000 recru­te­ments sup­plé­men­taires en 2022. Il s’agit de postes très qua­li­fiés et de métiers de spé­cia­listes. Sur un mar­ché de l’emploi inter­na­tio­nal très ten­du, il convient de ren­for­cer nos filières de for­ma­tion et même déve­lop­per l’attractivité de notre sec­teur pour atti­rer des com­pé­tences étran­gères ou faire reve­nir des Fran­çais expa­triés. Au pas­sage se pose éga­le­ment la ques­tion de la mixi­té. Si 44 % des effec­tifs sont des femmes, on compte un peu moins de 10 % de fon­da­trices. Nous tra­vaillons pour ten­ter de cor­ri­ger cette situation. 

Enfin, nos entre­pre­neurs sont for­te­ment mobi­li­sés sur des enjeux socié­taux et envi­ron­ne­men­taux tels que l’inclusion finan­cière, le finan­ce­ment en cir­cuit court, le finan­ce­ment de l’économie durable et la pro­mo­tion d’une finance res­pec­tueuse de l’environnement.


Le Secteur de la FinTech en France (Source : France FinTech)

  • Plus de 800 fin­techs recen­sées en France en 2021, dont la majo­ri­té exerce une acti­vi­té finan­cière régu­lée sous dif­fé­rents sta­tuts (ACPR-Banque de France, AMF)
    (Source : France Fin­Tech & minis­tère de l’économie et des Finances)
  • 12 fin­techs dans le Next 40 (pre­mier sec­teur représenté)
  • 21 fin­techs dans le French­Tech 120
  • 2,3 mil­liards d’euros levés en 93 opé­ra­tions en 2021, 7 opé­ra­tions supé­rieures à 100 millions
  • 1er sec­teur de licornes en France (9÷25)
  • 5 des 13 licornes créées en France en 2021 sont des fintechs.
  • 3 nou­velles licornes en 2022
  • 3e pays euro­péen en terme de mon­tant inves­ti dans les fin­techs en 2021 et celui qui croît le plus fortement
    (source : BlackFin)

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