La fintech est un des secteurs les plus dynamiques de la Tech française
Dans cet interview, Alain Clot, président cofondateur de France FinTech, Business Angel et conseil de plusieurs dirigeants du secteur financier, dresse pour nous un panorama de l’écosystème des fintechs en France, un secteur dynamique et en pleine croissance.
Présentez-nous France FinTech.
France FinTech a vu le jour en 2015 à l’initiative d’entrepreneurs français de ce secteur. Elle fédère des entreprises utilisant des modèles opérationnels, technologiques ou économiques innovants visant à traiter des problématiques existantes ou émergentes de l’industrie des services financiers.
Notre activité poursuit trois grands objectifs :
- promouvoir l’excellence du secteur en France et à l’étranger au travers de nombreuses interventions : interviews, conférences, formation, et diverses publications (newsletter, livres blancs, études et sondages, podcast, web séries…) ;
- représenter les fintechs françaises auprès des différentes parties prenantes de l’écosystème national et international : pouvoirs publics nationaux et européens, parlementaires, régulateurs, instituts de recherche et d’enseignement, grands acteurs financiers et technologiques. France FinTech contribue au nom des entrepreneurs aux diverses consultations nationales et européennes et est aussi force de proposition sur des sujets législatifs et réglementaires. Elle est membre cofondateur de l’European Digital Finance Association ;
- animer l’écosystème de la Fintech au travers de rencontres thématiques, groupes de travail, publications. Chaque année, l’association organise FinTech R:Evolution, l’évènement de référence de la place, qui réunit les entrepreneurs, les partenaires, les médias, le monde de l’enseignement et de la recherche. Sa prochaine édition se tiendra le 20 octobre 2022 sur le toit de la Grande Arche – Paris La Défense.
France FinTech est la première association sectorielle numérique en France et parmi les principales en Europe.
Nous réunissons près de 300 membres et des partenaires académiques (chaires, écoles…), grandes entreprises (banques, assurances, gestionnaire d’actifs, fonds de capital risque, cabinets de conseil, cabinets d’avocats, etc.), ainsi que des grandes institutions dont la Banque de France, La French Tech ou encore la Région Île-de-France.
Au-delà de notre volonté de fabriquer des champions français, européens et internationaux, notre ambition est de contribuer à l’emploi qualifié en France, la souveraineté française et européenne, le financement de l’économie réelle, ainsi qu’à la promotion de la mixité dans la tech, de la finance verte et du développement durable.
Qu’est-ce qui caractérise l’écosystème français fintech ?
Une fintech, telle que nous la percevons et la concevons, est une start-up, c’est-à-dire une entité de petite taille. Elle s’appuie sur une composante technologique significative : algorithmes, sciences cognitives, machine learning, blockchain, etc. Elle applique ces technologies de la donnée à des sous-jacents financiers : services bancaires, assurances, gestion d’actifs, RegTech, services aux directeurs financiers, économie de la facture, gestion financière à base de comptabilité… Selon cette définition, on recense en France plus de 800 fintechs qui couvrent un large panel de secteurs : conseil en investissement, agrégation de comptes, services de paiements, néobanques,
assurtech, cryptomonnaie, facture, financement participatif…
Contrairement aux idées reçues, la France a accédé aux services financiers à distance plus tôt que les acteurs anglo-saxons grâce au minitel, une véritable révolution à l’époque développée par des ingénieurs français. Plus tard, les services financiers à distance ont épousé l’infrastructure du minitel permettant ainsi aux Français de consulter leurs comptes et de réaliser des transactions bancaires simples à distance.
Entretemps, les acteurs anglo-saxons ont, dans ce secteur, pris de l’avance sur nous pour trois raisons essentielles : la quasi-absence en France de capital risque qui est le financeur habituel de l’écosystème des start-up ; un régulateur qui n’était pas très favorable à l’innovation technologique et un marché bancaire universel très dominant où il est possible d’accéder à tous les services au sein du même établissement.
Depuis, les choses ont fortement évolué. Aujourd’hui, la France est dans le top 3 en matière de capital risque en Europe. Nos régulateurs ont réalisé une véritable révolution culturelle avec des organes de régulation, comme l’ACPR et l’AMF, qui se sont dotés d’équipes dédiées à la fintech et qui ont profondément revu leur mode de travail et d’interaction avec notre écosystème. Enfin et surtout le consommateur français, qui avait pour habitude de se servir à un seul endroit, a diversifié ses fournisseurs de services financiers. À titre d’exemple, l’application Lydia est aujourd’hui utilisée par un français sur trois âgé entre 18 et 35 ans.
La fintech française est en pleine expansion. Elle a levé 1,3 milliard d’euros de fonds en 30 opérations depuis le début de l’année, soit 6 fois le montant équivalent à 2021.
Le ticket moyen a lui-même fortement augmenté : 44 millions d’euros.
Quels sont les moteurs de l’innovation financière ?
Jusqu’à quelques années, l’innovation financière n’était pas principalement technologique. Elle portait essentiellement sur deux aspects : les nouveaux usages et l’expérience utilisateur. Désormais, la technologie, notamment d’intelligence artificielle, accélère fortement l’innovation.
La forte croissance des capacités de traitement et de stockage de la donnée, l’open data, le machine learning, et les algorithmes de dernière génération ont fortement contribué à l’émergence de services performants.
Si pendant très longtemps elle a été un frein à l’innovation, la réglementation s’impose aussi comme un accélérateur de ce mouvement. En ce sens, on peut notamment citer deux textes : le RGPD, qui protège les données des clients et leur redonne la main sur sa donnée et la deuxième directive sur les services de paiement (DSP2), qui permet de mobiliser les données statiques et dynamiques des comptes bancaires pour obtenir de nouveaux services auprès d’un prestataire régulé.
Les acteurs de la fintech investissent beaucoup de temps, de ressources financières et technologiques pour satisfaire aux impératifs de conformité. Pour une start-up, cela représente un coût fixe très lourd. Toutefois, en Europe, quand on obtient un agrément pour un marché de l’Union, il est possible de “l’exporter” vers d’autres pays de la communauté. Il ne faut pas oublier que l’Europe reste le plus grand marché de services financiers du monde (en valeur) avec près de 500 millions de consommateurs-investisseurs à haut niveau de revenu et de patrimoine.
Et dans ce paysage, qu’en est-il du rapport entre les fintechs et les acteurs traditionnels ?
J’ai tendance à dire qu’ils sont passés par tous les cycles : indifférence, intérêt, amour, passion et parfois exaspération ! On relève, aujourd’hui, une densité très élevée d’échanges entre ces deux mondes. Plus de 1 000 partenariats entre les fintechs françaises et les grands établissements bancaires et financiers ont été conclus : production (développement de briques technologiques), distribution (marque blanche ou en propre), schéma d’investissement avec des participations minoritaires ou majoritaires.
Même si la distribution directe auprès des particuliers et des entreprises se développe plus rapidement que le B2B (le “B” étant une banque ou un assureur) et a vocation à devenir majoritaire sur ce segment, les fintechs et assurtechs opèrent dans une proportion élevée en tant que fournisseurs des grands établissements traditionnels. Elles constituent donc pour ces derniers un accélérateur d’innovation dans nombre de domaines : nouveaux usages, expérience utilisateur, etc. Cet aspect est fondamental à un moment où toutes sortes de nouveaux entrants se présentent.
Et les Big Tech, plus précisément les GAFAM et BATX ?
Pendant des années, ils ont expliqué qu’ils n’étaient pas réellement intéressés par les services financiers. Aujourd’hui, l’offensive est générale. L’explication est très simple : les services financiers permettent d’accéder à de la donnée abondante et de qualité, qui est la matière première de cette industrie.
Les GAFAM et les BATX se positionnent sur ce segment pour des raisons défensives (fidéliser leurs utilisateurs y compris lors des paiements) et offensives (les services financiers sont un vecteur de données et de marges). D’ailleurs, une des principales fintechs au monde est Ant Financial, une filiale d’Alibaba. Ils ont déjà rencontré certains succès (paiement par exemple) mais aussi des échecs cuisants (crypto, néobanque) qui, même s’ils sont peut-être provisoires, démontrent qu’en matière de services financiers, les consommateurs auront toujours tendance à privilégier la confiance, le fournisseur et le savoir-faire.
Quelles sont les tendances qui se dessinent ?
On note plusieurs tendances de fond :
- les efforts de monétisation des services et de viabilisation des modèles ;
- la course vers la taille critique : pour réussir, il est indispensable de grandir et de grossir, en termes tant de chiffre d’affaires et de dispositif que de valorisation ;
- la plateformisation : les fintechs commencent généralement un ou deux services financiers, puis ajoutent progressivement des briques de service au prix d’investissements importants notamment technologiques et réglementaires ;
- l’internationalisation.
À cela s’ajoutent un élargissement des cibles de clientèle et des secteurs industriels couverts :
- la clientèle : si historiquement la plupart des fintechs visaient les besoins de la clientèle de particulier d’entrée de gamme, elles se positionnent de plus en plus sur d’autres segments comme la clientèle plus aisée, les TPE-PME, les investisseurs institutionnels, les collectivités publiques et territoriales. Cela se traduit par la pénétration de secteurs comme la gestion privée, la gestion d’actifs, la banque de financement et d’investissement ;
- leur périmètre de savoir-faire évolue également. On assiste ainsi au développement des métiers du crédit et de l’analyse de risque. Les nouvelles technologies, mais également la réglementation, dont DSP2 que j’ai précédemment mentionnée, permettent aux fintechs de proposer certains modèles alternatifs de scoring notamment.
Et pour conclure ?
La fintech française est un secteur d’excellence en pleine croissance qui compte déjà de nombreuses licornes. Au-delà c’est, pour notre pays, une opportunité mais aussi un enjeu de souveraineté.
Il importe donc de se hâter pour favoriser l’émergence de champions nationaux qui pourront se positionner en Europe et dans le monde.
C’est aussi un secteur qui recrute : il pesait déjà 30 000 emplois à fin 2021 et on s’attend à 10 000 recrutements supplémentaires en 2022. Il s’agit de postes très qualifiés et de métiers de spécialistes. Sur un marché de l’emploi international très tendu, il convient de renforcer nos filières de formation et même développer l’attractivité de notre secteur pour attirer des compétences étrangères ou faire revenir des Français expatriés. Au passage se pose également la question de la mixité. Si 44 % des effectifs sont des femmes, on compte un peu moins de 10 % de fondatrices. Nous travaillons pour tenter de corriger cette situation.
Enfin, nos entrepreneurs sont fortement mobilisés sur des enjeux sociétaux et environnementaux tels que l’inclusion financière, le financement en circuit court, le financement de l’économie durable et la promotion d’une finance respectueuse de l’environnement.
Le Secteur de la FinTech en France (Source : France FinTech)
- Plus de 800 fintechs recensées en France en 2021, dont la majorité exerce une activité financière régulée sous différents statuts (ACPR-Banque de France, AMF)
(Source : France FinTech & ministère de l’économie et des Finances) - 12 fintechs dans le Next 40 (premier secteur représenté)
- 21 fintechs dans le FrenchTech 120
- 2,3 milliards d’euros levés en 93 opérations en 2021, 7 opérations supérieures à 100 millions
- 1er secteur de licornes en France (9÷25)
- 5 des 13 licornes créées en France en 2021 sont des fintechs.
- 3 nouvelles licornes en 2022
- 3e pays européen en terme de montant investi dans les fintechs en 2021 et celui qui croît le plus fortement
(source : BlackFin)