France hydrogène

France Hydrogène : engagée pour la transition énergétique et le développement de l’hydrogène

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Philippe BOUCLY (X72)

Décar­bo­na­tion, élec­tri­fi­ca­tion, éner­gies renou­ve­lables, hydro­gène vert, réin­dus­tria­li­sa­tion, com­pé­ti­ti­vi­té et baisse des coûts de pro­duc­tion, for­ma­tion, nou­velle géo­po­li­tique éner­gé­tique… Phi­lippe Bou­cly (X72), Pré­sident de France Hydro­gène, nous en dit plus sur l’ensemble de ces sujets et enjeux qui sont au cœur de la struc­tu­ra­tion de la filière hydro­gène. Entretien.

Présentez-nous France Hydrogène et ses missions.

France Hydro­gène est une asso­cia­tion qui regroupe l’ensemble des acteurs de l’hydrogène en France. À ce jour, elle compte plus de 460 membres. Au fil des années, nous avons connu une très forte dyna­mique : nous étions 60 en 2016, 120 en 2019.Parmi nos membres, on retrouve des grands groupes de l’énergie (Tota­lE­ner­gies, EDF, Engie, Air Liquide…), de la mobi­li­té (Alstom, Miche­lin, Forvia/Faurecia, Plas­ti­cOm­nium, SNCF, RATP, Keo­lis, Trans­dev…), ain­si que des PME, des ETI et des start-up. 

Nous comp­tons aus­si par­mi nos membres tous les labo­ra­toires de recherche qui tra­vaillent sur l’hydrogène en France. France Hydro­gène a la par­ti­cu­la­ri­té de ne pas être une fédé­ra­tion pro­fes­sion­nelle : elle compte par­mi ses adhé­rents des métro­poles, des agglo­mé­ra­tions, des com­mu­nau­tés de com­munes, des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té, des syn­di­cats d’énergie, des syn­di­cats de trans­ports…, et toutes les régions de France, ce qui est par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant, car le déve­lop­pe­ment de l’hydrogène se fera au niveau local.

“Selon une étude publiée par l’Hydrogen Council en janvier 2020, une quarantaine de pays se sont dotés d’une stratégie ou d’une feuille de route hydrogène. La France est dans le peloton de tête aux côtés de l’Allemagne, du Japon, de la Corée du Sud et de la Chine.”

Notre prin­ci­pale mis­sion est de por­ter la voix de l’hydrogène en France, de repré­sen­ter la filière, de don­ner de la visi­bi­li­té aux enjeux et aux oppor­tu­ni­tés rela­tifs à l’hydrogène et d’agir pour le déploie­ment de l’hydrogène. Par exemple, nous réa­li­sons un tra­vail de veille per­ma­nente avec un pôle exper­tise dédié qui col­lecte et agrège toutes les infor­ma­tions rela­tives à l’hydrogène dans le monde : tech­no­lo­gies émer­gentes, pro­jets en cours, démons­tra­teurs, évo­lu­tion du cadre règlementaire… 

Cette base de don­nées et de connais­sances est mise à la dis­po­si­tion de nos adhé­rents, des par­le­men­taires, des cabi­nets minis­té­riels… Nous avons aus­si une mis­sion de « lob­bying » auprès des déci­deurs publics, locaux, natio­naux et euro­péens pour les sen­si­bi­li­ser à l’intérêt de déve­lop­per l’hydrogène pour réus­sir la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique et la tran­si­tion énergétique.

Aujourd’hui, l’hydrogène s’impose comme un levier et un vecteur incontournable de la transition écologique. Pourquoi ? 

Actuel­le­ment, nous nous diri­geons vers une plus grande élec­tri­fi­ca­tion. À l’heure actuelle, dans la plu­part des pays, l’électricité repré­sente entre 20 et 25 % de la consom­ma­tion finale d’énergie. En France, cela repré­sente 25 % du fait notam­ment de l’utilisation du chauf­fage élec­trique. L’électricité a voca­tion à prendre une part plus impor­tante dans la consom­ma­tion finale. 

De nom­breux modèles pros­pec­tifs estiment ain­si qu’à hori­zon 2050, l’électricité repré­sen­te­ra entre 50 et 60 % de la consom­ma­tion finale. Tou­te­fois, l’électricité ne pour­ra pas cou­vrir l’ensemble des besoins : il ne sera pas pos­sible de tout élec­tri­fier. Il nous faut donc des moyens alter­na­tifs et com­plé­men­taires : la cha­leur renou­ve­lable ain­si que les gaz renou­ve­lables, comme le bio­mé­thane et l’hydrogène. Ces mêmes modèles estiment que la part de l’hydrogène repré­sen­te­ra une part de 10 à 20 % en 2050. 

L’hydrogène va plus par­ti­cu­liè­re­ment per­mettre de décar­bo­ner les sec­teurs où l’électrification n’est pas pos­sible ou per­ti­nente. C’est, par exemple, le cas des raf­fi­ne­ries, de la sidé­rur­gie (rem­pla­cer le coke par l’hydrogène), de la chi­mie des engrais (uti­li­ser l’hydrogène vert pour la syn­thèse de l’ammoniac), de la cimen­te­rie… En paral­lèle, il a un rôle struc­tu­rant à jouer dans le domaine de la mobi­li­té qui a voca­tion à uti­li­ser de moins en moins d’hydrocarbures. Pour les poids lourds notam­ment, l’hydrogène est une solu­tion qui est plus adap­tée que la bat­te­rie (auto­no­mie, rapi­di­té de recharge).

Hydrogène

Historiquement, il y a eu plusieurs « faux-départ » sur l’hydrogène. En quoi la situation est-elle différente aujourd’hui ?

Quatre rai­sons majeures montrent que cette fois la machine est lan­cée pour de bon. Pre­miè­re­ment, il y a main­te­nant une prise de conscience claire du chan­ge­ment cli­ma­tique. Plus per­sonne ne remet en cause l’urgence et la cri­ti­ci­té de la situa­tion. Deuxiè­me­ment, le coût des éner­gies solaire et éolienne a consi­dé­ra­ble­ment bais­sé au cours des der­nières années, ce qui rend leur uti­li­sa­tion plus acces­sible pour pro­duire de l’hydrogène vert. Troi­siè­me­ment, le coût des tech­no­lo­gies de l’hydrogène a éga­le­ment consi­dé­ra­ble­ment baissé. 

Il y a une cin­quan­taine d’années, elles étaient réser­vées à des domaines comme la défense natio­nale ou le spa­tial où le coût n’est pas le cri­tère majeur. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Et qua­triè­me­ment, nous savons que l’électrification se fera sur la base des éner­gies renou­ve­lables qui sont variables, inter­mit­tentes. Pour pou­voir les sto­cker mas­si­ve­ment, nous avons donc besoin de l’hydrogène, aucune autre solu­tion ne per­met­tant de sto­cker des quan­ti­tés d’électricité aus­si importantes. 

Comment se positionne la France sur ce sujet ? Peut-on parler d’une filière française de l’hydrogène ?

Selon une étude publiée par l’Hydrogen Coun­cil en jan­vier 2020, une qua­ran­taine de pays se sont dotés d’une stra­té­gie ou d’une feuille de route hydro­gène. La France est dans le pelo­ton de tête aux côtés de l’Allemagne, du Japon, de la Corée du Sud et de la Chine. 

Aujourd’hui, notre pays maî­trise l’ensemble de la chaîne de valeur. Nous avons une recherche à la pointe sur ces sujets, des grands groupes capables de mener des pro­jets d’équipement, d’infrastructures et de pro­duc­tion d’hydrogène de grande enver­gure, ain­si qu’un éco­sys­tème de start-up et de PME très agile. Et le tout fonc­tionne extrê­me­ment bien ! Nous dis­po­sons donc, en effet, d’une filière hydro­gène fran­çaise et France Hydro­gène en est une illus­tra­tion concrète. 

Pour accélérer et renforcer le déploiement de la filière française, quelles sont, selon vous, les priorités ? 

Les tech­no­lo­gies de l’hydrogène sont matures : élec­tro­ly­seurs, piles à com­bus­tible, réser­voirs… Mais elles coûtent encore très cher. Il faut donc mas­si­fier la pro­duc­tion et les usages pour faire bais­ser les coûts. En paral­lèle, il faut pri­vi­lé­gier une approche de « neu­tra­li­té tech­no­lo­gique ». Il ne faut pas se limi­ter à une seule tech­no­lo­gie et explo­rer toutes les pistes pour pro­duire de l’hydrogène renou­ve­lable ou bas car­bone. Il y a bien évi­dem­ment l’électrolyse de l’eau qui per­met de pro­duire de l’hydrogène vert à par­tir d’énergie solaire ou éolienne et éga­le­ment à par­tir d’énergie nucléaire. Il est aus­si pos­sible d’en pro­duire à par­tir de gaz natu­rel : quand on casse la molé­cule de méthane à l’aide de vapeur, nous obte­nons de l’hydrogène et du gaz carbonique. 

L’écueil de ce pro­ces­sus est que la pro­duc­tion de 1 kg d’hydrogène s’accompagne de l’émission de 10 kg de gaz car­bo­nique. Pour qua­li­fier l’hydrogène pro­duit de bas car­bone, il faut cap­ter et séques­trer le CO2 pro­duit dans des couches sou­ter­raines pro­fondes ou, dans une phase tran­si­toire, le réuti­li­ser (c’est ce qu’on appelle le CCUS – Car­bon Cap­ture and Uti­li­sa­tion or Sto­rage). L’hydrogène peut aus­si être pro­duit à par­tir de la bio­masse. L’entreprise Haff­ner, en France, a mis au point la tech­no­lo­gie HYNOCA®, qui per­met donc de pro­duire de l’hydrogène à par­tir de déchets de bois ou de biomasse.

“Moyennant un soutien public, le développement de l’hydrogène va contribuer à la réindustrialisation de notre pays. Il faut cependant éviter de reproduire pour l’hydrogène ce que nous avons connu avec le solaire, avec au final, des subventions qui ont profité à la filière chinoise des panneaux solaires.”

La molé­cule de méthane peut éga­le­ment être « cas­sée » à l’aide de plas­ma pro­duit par l’électricité. On obtient ain­si de l’hydrogène bas car­bone (si l’électricité est elle-même bas car­bone !) et du car­bone black (noir de car­bone) qui répond à de nom­breux usages. Et il existe aus­si des gise­ments l’hydrogène natu­rel. Évi­dem­ment, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un gaz inflam­mable. Il faut donc en sécu­ri­ser l’utilisation, le sto­ckage et la distribution. 

Enfin, moyen­nant un sou­tien public, le déve­lop­pe­ment de l’hydrogène va contri­buer à la réin­dus­tria­li­sa­tion de notre pays. Il faut cepen­dant évi­ter de repro­duire pour l’hydrogène ce que nous avons connu avec le solaire, avec au final, des sub­ven­tions qui ont pro­fi­té à la filière chi­noise des pan­neaux solaires. Le déploie­ment des tech­no­lo­gies de l’hydrogène implique aus­si un enjeu de for­ma­tion : pour déve­lop­per cette filière, il faut des com­pé­tences et une main d’œuvre qua­li­fiée. Dans une étude menée par France Hydro­gène, nous avons iden­ti­fié 84 métiers liés à l’hydrogène. 17 d’entre eux sont d’ores et déjà en ten­sion (sou­deurs, tuyau­teurs, chau­dron­niers, tech­ni­ciens de main­te­nance, chefs de projet…).

Quels sont les freins à lever pour booster le développement de la filière ? 

J’en vois prin­ci­pa­le­ment trois. Pre­miè­re­ment, il faut accé­lé­rer le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables pour répondre au fort besoin en élec­tri­ci­té décar­bo­née du pays. Le second frein est d’ordre règle­men­taire. La règle­men­ta­tion doit s’adapter à cette nou­velle filière qui se déve­loppe très vite. Pre­nons en exemple : aujourd’hui, une péniche peut trans­por­ter de l’hydrogène, mais elle ne peut pas uti­li­ser l’hydrogène pour ali­men­ter son moteur. Jusque-là, l’hydrogène était un pro­duit chimique. 

Il devient un vec­teur éner­gé­tique. Ce chan­ge­ment de sta­tut doit être réper­cu­té au plan règle­men­taire. Enfin, le troi­sième enjeu, à mon sens, est relié à la notion d’acceptabilité. Des acteurs comme France Hydro­gène ont un rôle impor­tant à jouer à ce niveau pour déve­lop­per l’acceptabilité de l’hydrogène.

Quelles sont vos propositions pour accélérer le développement de l’hydrogène en France ? 

Pour réduire les coûts, il faut un chan­ge­ment d’échelle. Cela passe par la mutua­li­sa­tion des usages et essayer de se regrou­per pour mas­si­fier la pro­duc­tion de l’hydrogène qui ser­vi­ra aus­si bien à l’industrie qu’à la mobi­li­té. C’est tout le sens du déploie­ment des éco­sys­tèmes ter­ri­to­riaux. Dans le cadre d’une étude que nous avons menée en 2021, nous avons iden­ti­fié sept bas­sins majeurs de déve­lop­pe­ment de l’hydrogène : les ports (Dun­kerque, Saint Nazaire, Fos), les val­lées (Axe Seine, val­lée du Rhône) et les zones fron­ta­lières avec l’Espagne, la Bel­gique et l’Allemagne.

Le reste du ter­ri­toire étant cou­vert par une infra­struc­ture de recharge pen­sée pour garan­tir la dis­tri­bu­tion de l’hydrogène et four­nir un confort d’utilisation aux conduc­teurs. En paral­lèle, il faut déve­lop­per l’offre indus­trielle fran­çaise avec notam­ment des giga­fac­to­ries. Plu­sieurs acteurs indus­triels vont rece­voir une aide de l’État pour déve­lop­per des pro­duc­tions impor­tantes de maté­riels : pour les élec­tro­ly­seurs, les socié­tés McPhy, John Cocke­rill, Elo­gen, Gen­via, ou encore Gen-Hy…, pour la pile à com­bus­tible, la joint-ven­ture Sym­bio entre Miche­lin et Fau­re­cia ou encore Plas­tic Omnium pour les réser­voirs à hydrogène. 

Plu­sieurs pro­jets d’usines sont enga­gés et il faut pour­suivre dans cette lan­cée pour conso­li­der l’offre indus­trielle autour de la pro­duc­tion de l’hydrogène, et de l’électricité renou­ve­lable ou bas car­bone. 

Et pour conclure, quelles sont les pistes de réflexion que vous pourriez partager avec nos lecteurs ? 

Nous allons assis­ter à l’émergence d’une nou­velle géo­po­li­tique de l’énergie autour de l’hydrogène. Des pays qui jusqu’à pré­sent impor­taient de l’énergie vont deve­nir expor­ta­teurs d’hydrogène renou­ve­lable et de déri­vés d’hydrogène. C’est notam­ment le cas du Chi­li, de la Nami­bie, de l’Islande ou du Maroc qui dis­posent d’un gros poten­tiel d’énergies renou­ve­lables. Mais éga­le­ment, des pays expor­ta­teurs d’énergie fos­sile qui vont évo­luer pour pou­voir expor­ter de l’hydrogène ou ses déri­vés. C’est le cas par exemple de l’Australie, de l’Égypte, de l’Algérie ou encore des pays du Golfe. 

À par­tir de là, un impor­tant tra­vail de cer­ti­fi­ca­tion et de nor­ma­li­sa­tion doit être effec­tué pour poser un cadre clair afin que l’hydrogène impor­té réponde aux cri­tères euro­péens de pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable ou bas car­bone. Il fau­dra en outre être par­ti­cu­liè­re­ment vigi­lant pour diver­si­fier les sources d’approvisionnement d’hydrogène afin de sau­ve­gar­der notre auto­no­mie stra­té­gique. 

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