France Hydrogène : engagée pour la transition énergétique et le développement de l’hydrogène
Décarbonation, électrification, énergies renouvelables, hydrogène vert, réindustrialisation, compétitivité et baisse des coûts de production, formation, nouvelle géopolitique énergétique… Philippe Boucly (X72), Président de France Hydrogène, nous en dit plus sur l’ensemble de ces sujets et enjeux qui sont au cœur de la structuration de la filière hydrogène. Entretien.
Présentez-nous France Hydrogène et ses missions.
France Hydrogène est une association qui regroupe l’ensemble des acteurs de l’hydrogène en France. À ce jour, elle compte plus de 460 membres. Au fil des années, nous avons connu une très forte dynamique : nous étions 60 en 2016, 120 en 2019.Parmi nos membres, on retrouve des grands groupes de l’énergie (TotalEnergies, EDF, Engie, Air Liquide…), de la mobilité (Alstom, Michelin, Forvia/Faurecia, PlasticOmnium, SNCF, RATP, Keolis, Transdev…), ainsi que des PME, des ETI et des start-up.
Nous comptons aussi parmi nos membres tous les laboratoires de recherche qui travaillent sur l’hydrogène en France. France Hydrogène a la particularité de ne pas être une fédération professionnelle : elle compte parmi ses adhérents des métropoles, des agglomérations, des communautés de communes, des pôles de compétitivité, des syndicats d’énergie, des syndicats de transports…, et toutes les régions de France, ce qui est particulièrement important, car le développement de l’hydrogène se fera au niveau local.
“Selon une étude publiée par l’Hydrogen Council en janvier 2020, une quarantaine de pays se sont dotés d’une stratégie ou d’une feuille de route hydrogène. La France est dans le peloton de tête aux côtés de l’Allemagne, du Japon, de la Corée du Sud et de la Chine.”
Notre principale mission est de porter la voix de l’hydrogène en France, de représenter la filière, de donner de la visibilité aux enjeux et aux opportunités relatifs à l’hydrogène et d’agir pour le déploiement de l’hydrogène. Par exemple, nous réalisons un travail de veille permanente avec un pôle expertise dédié qui collecte et agrège toutes les informations relatives à l’hydrogène dans le monde : technologies émergentes, projets en cours, démonstrateurs, évolution du cadre règlementaire…
Cette base de données et de connaissances est mise à la disposition de nos adhérents, des parlementaires, des cabinets ministériels… Nous avons aussi une mission de « lobbying » auprès des décideurs publics, locaux, nationaux et européens pour les sensibiliser à l’intérêt de développer l’hydrogène pour réussir la lutte contre le changement climatique et la transition énergétique.
Aujourd’hui, l’hydrogène s’impose comme un levier et un vecteur incontournable de la transition écologique. Pourquoi ?
Actuellement, nous nous dirigeons vers une plus grande électrification. À l’heure actuelle, dans la plupart des pays, l’électricité représente entre 20 et 25 % de la consommation finale d’énergie. En France, cela représente 25 % du fait notamment de l’utilisation du chauffage électrique. L’électricité a vocation à prendre une part plus importante dans la consommation finale.
De nombreux modèles prospectifs estiment ainsi qu’à horizon 2050, l’électricité représentera entre 50 et 60 % de la consommation finale. Toutefois, l’électricité ne pourra pas couvrir l’ensemble des besoins : il ne sera pas possible de tout électrifier. Il nous faut donc des moyens alternatifs et complémentaires : la chaleur renouvelable ainsi que les gaz renouvelables, comme le biométhane et l’hydrogène. Ces mêmes modèles estiment que la part de l’hydrogène représentera une part de 10 à 20 % en 2050.
L’hydrogène va plus particulièrement permettre de décarboner les secteurs où l’électrification n’est pas possible ou pertinente. C’est, par exemple, le cas des raffineries, de la sidérurgie (remplacer le coke par l’hydrogène), de la chimie des engrais (utiliser l’hydrogène vert pour la synthèse de l’ammoniac), de la cimenterie… En parallèle, il a un rôle structurant à jouer dans le domaine de la mobilité qui a vocation à utiliser de moins en moins d’hydrocarbures. Pour les poids lourds notamment, l’hydrogène est une solution qui est plus adaptée que la batterie (autonomie, rapidité de recharge).
Historiquement, il y a eu plusieurs « faux-départ » sur l’hydrogène. En quoi la situation est-elle différente aujourd’hui ?
Quatre raisons majeures montrent que cette fois la machine est lancée pour de bon. Premièrement, il y a maintenant une prise de conscience claire du changement climatique. Plus personne ne remet en cause l’urgence et la criticité de la situation. Deuxièmement, le coût des énergies solaire et éolienne a considérablement baissé au cours des dernières années, ce qui rend leur utilisation plus accessible pour produire de l’hydrogène vert. Troisièmement, le coût des technologies de l’hydrogène a également considérablement baissé.
Il y a une cinquantaine d’années, elles étaient réservées à des domaines comme la défense nationale ou le spatial où le coût n’est pas le critère majeur. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Et quatrièmement, nous savons que l’électrification se fera sur la base des énergies renouvelables qui sont variables, intermittentes. Pour pouvoir les stocker massivement, nous avons donc besoin de l’hydrogène, aucune autre solution ne permettant de stocker des quantités d’électricité aussi importantes.
Comment se positionne la France sur ce sujet ? Peut-on parler d’une filière française de l’hydrogène ?
Selon une étude publiée par l’Hydrogen Council en janvier 2020, une quarantaine de pays se sont dotés d’une stratégie ou d’une feuille de route hydrogène. La France est dans le peloton de tête aux côtés de l’Allemagne, du Japon, de la Corée du Sud et de la Chine.
Aujourd’hui, notre pays maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur. Nous avons une recherche à la pointe sur ces sujets, des grands groupes capables de mener des projets d’équipement, d’infrastructures et de production d’hydrogène de grande envergure, ainsi qu’un écosystème de start-up et de PME très agile. Et le tout fonctionne extrêmement bien ! Nous disposons donc, en effet, d’une filière hydrogène française et France Hydrogène en est une illustration concrète.
Pour accélérer et renforcer le déploiement de la filière française, quelles sont, selon vous, les priorités ?
Les technologies de l’hydrogène sont matures : électrolyseurs, piles à combustible, réservoirs… Mais elles coûtent encore très cher. Il faut donc massifier la production et les usages pour faire baisser les coûts. En parallèle, il faut privilégier une approche de « neutralité technologique ». Il ne faut pas se limiter à une seule technologie et explorer toutes les pistes pour produire de l’hydrogène renouvelable ou bas carbone. Il y a bien évidemment l’électrolyse de l’eau qui permet de produire de l’hydrogène vert à partir d’énergie solaire ou éolienne et également à partir d’énergie nucléaire. Il est aussi possible d’en produire à partir de gaz naturel : quand on casse la molécule de méthane à l’aide de vapeur, nous obtenons de l’hydrogène et du gaz carbonique.
L’écueil de ce processus est que la production de 1 kg d’hydrogène s’accompagne de l’émission de 10 kg de gaz carbonique. Pour qualifier l’hydrogène produit de bas carbone, il faut capter et séquestrer le CO2 produit dans des couches souterraines profondes ou, dans une phase transitoire, le réutiliser (c’est ce qu’on appelle le CCUS – Carbon Capture and Utilisation or Storage). L’hydrogène peut aussi être produit à partir de la biomasse. L’entreprise Haffner, en France, a mis au point la technologie HYNOCA®, qui permet donc de produire de l’hydrogène à partir de déchets de bois ou de biomasse.
“Moyennant un soutien public, le développement de l’hydrogène va contribuer à la réindustrialisation de notre pays. Il faut cependant éviter de reproduire pour l’hydrogène ce que nous avons connu avec le solaire, avec au final, des subventions qui ont profité à la filière chinoise des panneaux solaires.”
La molécule de méthane peut également être « cassée » à l’aide de plasma produit par l’électricité. On obtient ainsi de l’hydrogène bas carbone (si l’électricité est elle-même bas carbone !) et du carbone black (noir de carbone) qui répond à de nombreux usages. Et il existe aussi des gisements l’hydrogène naturel. Évidemment, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un gaz inflammable. Il faut donc en sécuriser l’utilisation, le stockage et la distribution.
Enfin, moyennant un soutien public, le développement de l’hydrogène va contribuer à la réindustrialisation de notre pays. Il faut cependant éviter de reproduire pour l’hydrogène ce que nous avons connu avec le solaire, avec au final, des subventions qui ont profité à la filière chinoise des panneaux solaires. Le déploiement des technologies de l’hydrogène implique aussi un enjeu de formation : pour développer cette filière, il faut des compétences et une main d’œuvre qualifiée. Dans une étude menée par France Hydrogène, nous avons identifié 84 métiers liés à l’hydrogène. 17 d’entre eux sont d’ores et déjà en tension (soudeurs, tuyauteurs, chaudronniers, techniciens de maintenance, chefs de projet…).
Quels sont les freins à lever pour booster le développement de la filière ?
J’en vois principalement trois. Premièrement, il faut accélérer le développement des énergies renouvelables pour répondre au fort besoin en électricité décarbonée du pays. Le second frein est d’ordre règlementaire. La règlementation doit s’adapter à cette nouvelle filière qui se développe très vite. Prenons en exemple : aujourd’hui, une péniche peut transporter de l’hydrogène, mais elle ne peut pas utiliser l’hydrogène pour alimenter son moteur. Jusque-là, l’hydrogène était un produit chimique.
Il devient un vecteur énergétique. Ce changement de statut doit être répercuté au plan règlementaire. Enfin, le troisième enjeu, à mon sens, est relié à la notion d’acceptabilité. Des acteurs comme France Hydrogène ont un rôle important à jouer à ce niveau pour développer l’acceptabilité de l’hydrogène.
Quelles sont vos propositions pour accélérer le développement de l’hydrogène en France ?
Pour réduire les coûts, il faut un changement d’échelle. Cela passe par la mutualisation des usages et essayer de se regrouper pour massifier la production de l’hydrogène qui servira aussi bien à l’industrie qu’à la mobilité. C’est tout le sens du déploiement des écosystèmes territoriaux. Dans le cadre d’une étude que nous avons menée en 2021, nous avons identifié sept bassins majeurs de développement de l’hydrogène : les ports (Dunkerque, Saint Nazaire, Fos), les vallées (Axe Seine, vallée du Rhône) et les zones frontalières avec l’Espagne, la Belgique et l’Allemagne.
Le reste du territoire étant couvert par une infrastructure de recharge pensée pour garantir la distribution de l’hydrogène et fournir un confort d’utilisation aux conducteurs. En parallèle, il faut développer l’offre industrielle française avec notamment des gigafactories. Plusieurs acteurs industriels vont recevoir une aide de l’État pour développer des productions importantes de matériels : pour les électrolyseurs, les sociétés McPhy, John Cockerill, Elogen, Genvia, ou encore Gen-Hy…, pour la pile à combustible, la joint-venture Symbio entre Michelin et Faurecia ou encore Plastic Omnium pour les réservoirs à hydrogène.
Plusieurs projets d’usines sont engagés et il faut poursuivre dans cette lancée pour consolider l’offre industrielle autour de la production de l’hydrogène, et de l’électricité renouvelable ou bas carbone.
Et pour conclure, quelles sont les pistes de réflexion que vous pourriez partager avec nos lecteurs ?
Nous allons assister à l’émergence d’une nouvelle géopolitique de l’énergie autour de l’hydrogène. Des pays qui jusqu’à présent importaient de l’énergie vont devenir exportateurs d’hydrogène renouvelable et de dérivés d’hydrogène. C’est notamment le cas du Chili, de la Namibie, de l’Islande ou du Maroc qui disposent d’un gros potentiel d’énergies renouvelables. Mais également, des pays exportateurs d’énergie fossile qui vont évoluer pour pouvoir exporter de l’hydrogène ou ses dérivés. C’est le cas par exemple de l’Australie, de l’Égypte, de l’Algérie ou encore des pays du Golfe.
À partir de là, un important travail de certification et de normalisation doit être effectué pour poser un cadre clair afin que l’hydrogène importé réponde aux critères européens de production d’énergie renouvelable ou bas carbone. Il faudra en outre être particulièrement vigilant pour diversifier les sources d’approvisionnement d’hydrogène afin de sauvegarder notre autonomie stratégique.