France : les déterminants de l’évolution de l’intensité en R&D
Les entreprises investissent dans les activités de R&D dans la mesure où elles en attendent une amélioration de leurs performances. Les résultats de leurs efforts de R&D génèrent des connaissances qui nourrissent la capacité d’innovation de l’entreprise de deux manières.
REPÈRES
Au niveau national, les dépenses de R&D se décomposent en dépenses relatives à la recherche publique d’une part et aux activités de R&D des entreprises d’autre part. Les premières ont un impact indirect et à long terme sur l’innovation et la capacité de croissance d’un pays, alors que les secondes ont un impact plus direct dans la mesure où elles se concentrent sur le développement expérimental proche du marché.
Au début des années 2000, afin de promouvoir l’économie de la connaissance, les pays européens s’étaient donné comme objectif d’atteindre une intensité en R&D de 3 %, dont 2 % financés par les entreprises. Depuis, les comparaisons internationales ont souligné que l’intensité en R&D privée ne peut pas être conçue uniquement comme un input car elle résulte largement de la structure sectorielle des économies.
Premièrement, des connaissances directement utilisables pour générer des innovations.
Deuxièmement, des connaissances qui renforcent la capacité d’absorption et d’ouverture efficace aux recherches externes (voir graphique 1).
Les dépenses de R&D se traduisent par plus d’innovation et de meilleures performances des entreprises. Le stock de connaissances de l’entreprise, s’appuyant à la fois sur les efforts de R&D internes et sur l’absorption de résultats externes, ses investissements doivent assurer une bonne capacité d’absorption.
Innovation ouverte et R&D interne
Les activités de R&D internes permettent aux entreprises d’établir des coopérations en recherche plus précises et profitables, y compris avec la recherche publique.
Les entreprises qui copublient avec des chercheurs académiques développent ainsi une forte capacité d’innovation. C’est ce qui explique que l’indicateur de copublications public-privé soit retenu par le Tableau de bord de l’innovation de l’UE (2014), par exemple.
Les entreprises les plus innovantes, notamment dans les secteurs intensifs en R&D comme la pharmacie, tirent parti de travaux de recherche, y compris de recherche de base, menés en interne. C’est aussi pourquoi, même dans le contexte de développement de l’innovation ouverte depuis une quinzaine d’années, les entreprises les plus innovantes poursuivent des activités de R&D.
Des analyses empiriques récentes à partir de données françaises, néerlandaises, canadiennes ou encore italiennes montrent que les entreprises qui ont eu des activités de R&D dans un passé proche ont une probabilité plus forte d’introduire un produit nouveau ou d’avoir un chiffre d’affaires innovant plus élevé.
Les dépenses de R&D se révèlent fondamentales pour stimuler l’innovation de produit
Les dépenses de R&D se révèlent fondamentales pour stimuler l’innovation de produit, dans les petites ou les grandes entreprises. L’intensité en R&D de l’entreprise a en outre un impact positif sur le montant du chiffre d’affaires innovant. Une analyse sur données françaises a montré que les entreprises qui conduisent des travaux de R&D sont pionnières sur leur marché.
Or, c’est l’introduction de produits nouveaux pour le marché qui permet d’augmenter significativement les ventes de l’entreprise, l’introduction de produits nouveaux pour l’entreprise ayant un impact beaucoup plus faible.
Politiques publiques : inciter les entreprises à générer des connaissances
Au-delà de leur impact positif sur les performances de l’entreprise, et donc de leur rendement privé, les dépenses de R&D engendrent des « externalités positives » (voir graphique 1).
En effet, les connaissances générées se diffusent plus ou moins largement et ne peuvent pas être totalement appropriées par l’entreprise qui a consenti les investissements en R&D pour sa capacité d’innovation.
Le rendement social des investissements en R&D est supérieur à leur rendement privé
La diffusion technologique peut en particulier bénéficier à d’autres entreprises. Les études empiriques confirment que le rendement social des investissements en R&D des entreprises est supérieur à leur rendement privé. Du fait de ces externalités et malgré les droits de propriété industrielle, les entreprises ne peuvent s’approprier tous les bénéfices de leur activité de R&D.
En conséquence, elles tendent à sous-investir par rapport à ce qui serait souhaitable du point de vue de la société, réduisant ainsi le potentiel d’innovation. Le soutien public a pour objectif de compenser les incitations insuffisantes des entreprises à investir dans la R&D en abaissant le coût de ces investissements.
Avec le développement des réseaux mondiaux d’innovation, depuis une dizaine d’années, les politiques publiques ont aussi renforcé leur soutien aux activités de R&D des entreprises avec un objectif d’attractivité.
La France investit moins en R&D que l’Allemagne du fait de sa structure sectorielle
La structure sectorielle de l’économie allemande explique le différentiel d’intensité en R&D avec la France
Les analyses des déterminants de l’intensité en R&D privée menées dans différents pays et au niveau européen convergent pour confirmer le rôle central que joue la structure de l’activité économique. Typiquement, un pays où les secteurs intensifs en connaissance représentent une part importante de l’activité économique aura tendance à avoir une intensité en R&D plus élevée qu’un pays où dominent des industries peu intensives en R&D ou des services peu intensifs en connaissance.
Complémentarité des différents types d’innovation
Les entreprises qui investissent en R&D et qui sont des pionnières sur leurs marchés conduisent aussi des innovations organisationnelles et de marketing. Innovations technologiques et non technologiques ne doivent donc pas être opposées, même si les secondes sont plus fréquentes, notamment dans les services.
Une étude allemande confirme les interactions positives entre types d’innovation : les innovations marketing coïncident souvent avec des innovations de produits, et les innovations organisationnelles tendent à accompagner des innovations de procédé.
Des comparaisons entre la France et l’Allemagne montrent que la structure sectorielle de l’économie allemande, avec notamment le poids des industries de moyenne-haute technologie comme l’automobile, explique le différentiel d’intensité en R&D entre les deux pays.
Le graphique 2 indique que, si le Japon, l’Allemagne et la Corée avaient la structure sectorielle de la moyenne de la zone OCDE, leur intensité en R&D privée serait sensiblement plus faible.
Les États-Unis, la France ou les Pays-Bas sont dans une situation symétrique. Leur structure productive est plus orientée vers les services, mais certains de leurs secteurs sont particulièrement intensifs en R&D. Avec la structure sectorielle moyenne des activités marchandes de la zone OCDE, la France aurait une intensité en R&D privée supérieure à celle de l’Allemagne.
Il s’agit bien sûr d’une simulation qui illustre l’importance de la structure sectorielle, mais cette dernière est en partie endogène et ne se décrète pas.
GRAPHIQUE 2 Intensité en R&D du secteur marchand observée et ajustée pour la structure sectorielle, 2010 |
Données 2009 pour l’Australie, l’Autriche, la Belgique, la Suède, les États-Unis. Les dépensesde R&D sont exprimées en pourcentage de la valeur ajoutée. Sont exclus : immobilier, administration, éducation, activités relatives à la santé et au travail social, activités des ménages comme employeurs – qui n’ont en général pas d’activité de R&D. Source : adapté de l’OCDE (2013). |
La désindustrialisation a pesé sur l’intensité en R&D des entreprises
Le poids de l’industrie manufacturière a sensiblement régressé en France depuis une quinzaine d’années, la structure de l’économie évoluant en faveur des services, globalement moins intensifs en R&D. La réduction de la part de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière a été accentuée au cours des crises, en 2001–2002 puis 2008–2010.
Aider la prise de risques
Le risque lié à certains projets constitue une motivation complémentaire d’intervention publique pour financer les dépenses de R&D des entreprises. Ce risque peut être trop important et à trop long terme pour être assumé par un ou quelques acteurs privés dans la mesure où le financement par les marchés de ce type de projet est difficile. De plus, des phénomènes d’asymétrie d’information entre entrepreneurs et créanciers peuvent empêcher des projets de R&D pourtant rentables, d’être financés.
Le graphique 3 montre que la désindustrialisation aurait mécaniquement entraîné une forte réduction de l’intensité en R&D privée de la France si les entreprises n’avaient pas accru leur intensité en R&D dans différents secteurs (courbe rouge). Cela a été le cas des secteurs de haute ou moyenne haute technologie comme l’électronique ou l’automobile, et encore plus dans certains secteurs de services.
En 2011, l’intensité en R & D privée (courbe violette) a ainsi été plus élevée d’un demi-point de PIB que ce qu’elle aurait été en l’absence d’intensification de l’effort de R&D des entreprises.
Le graphique 3 suggère que le renforcement des dépenses de R&D des entreprises présentes fait plus que compenser l’impact de la désindustrialisation à partir de 2008. En 2011, la R&D privée s’est élevée à 28,8 milliards d’euros, alors que l’effet mécanique de la déformation de la structure productive n’aurait généré que 17,7 milliards d’euros de R&D. La différence se monte à 11,1 milliards.
Pour cette même année, le crédit d’impôt recherche (CIR) s’est monté à 5,2 milliards et les financements directs à la R&D des entreprises à 2 milliards. Les dépenses de R&D des entreprises ont donc été plus élevées que la somme des dépenses sans effet d’intensification sectorielle et des aides publiques de près de 4 milliards d’euros. Les premiers résultats pour 2012 indiquent que l’intensité en R&D a continué de croître.
Structure de l’économie nationale et types d’activités de R&DLa structure sectorielle de la France contribue aussi à expliquer la composition des dépenses par type d’activité de R&D. Les dépenses de R&D des entreprises étant largement dédiées au développement expérimental, leur plus faible part dans le total national réduit mécaniquement la part de cette composante par rapport aux activités plus en amont.Des années 1990 jusqu’en 2008, la réduction de la part du développement expérimental dans la R&D des entreprises en faveur de la recherche appliquée a sans doute aussi été liée à la réduction de la R&D de défense. |
GRAPHIQUE 3 Évolution de l’intensité en R&D privée observée et simulée pour l’impact de la désindustrialisation, 2001–2012 |
N. B. : les données 2012 sont provisoires. Source : à partir de données MESR, DGESIP-DGRI-SIES. |
Renforcer le système d’innovation pour accroître les dépenses de R&D des entreprises
L’intensité en R&D privée de la France est plus faible que celle des leaders en matière d’innovation que sont les États-Unis, les pays scandinaves, le Japon ou l’Allemagne. Mais elle est plus élevée que dans des pays parfois considérés comme plus innovants, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas.
L’intensité en R&D privée de la France ne correspond pas à celle d’un pays bien positionné dans l’économie de la connaissance.
L’intensité en R&D privée de la France est plus faible que celle des leaders en matière d’innovation
C’est pourquoi les politiques publiques ont renforcé le soutien à la R&D privée depuis une dizaine d’années, à travers le fort accroissement du CIR, mais aussi à travers un soutien renforcé aux jeunes entreprises.
L’analyse descriptive ci-dessus suggère que ces aides publiques ont contribué à accroître les dépenses de recherche et développement des entreprises. Elle converge ainsi avec les résultats d’études économétriques sur l’impact du CIR et sur les interactions positives entre le CIR et les pôles de compétitivité par exemple.
Mais, comme l’a souligné cet article, les aides publiques ne sont qu’une des composantes de la dynamique de la R&D privée.
Le total des investissements en recherche et développement des entreprises dépend notamment du développement de secteurs intensifs en connaissance et donc de l’ensemble du système d’innovation, y compris la qualité des ressources humaines et de la recherche académique, ou encore des conditions-cadres de la croissance de nouvelles entreprises.