Dialogue des Carmélites

Francis Poulenc : Dialogues des Carmélites

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°798 Octobre 2024
Par Marc DARMON (83)

C’est après une magni­fique soi­rée à l’Opéra de Vienne début 2024 que j’ai déci­dé de vous orien­ter au milieu des méandres de cette œuvre phé­no­mé­nale. Évi­dem­ment une soi­rée à l’Opéra de Vienne, où c’est un des plus beaux orchestres du monde (le Phil­har­mo­nique de Vienne) qui joue dans la fosse, a beau­coup de chance d’être un sou­ve­nir inou­bliable. Cela a été le cas ce soir-là, un orchestre magni­fique, une acous­tique tel­le­ment plus riche que ce que l’on entend à Bas­tille, une Sabine Devieilhe divine et une musique mer­veilleuse. Il faut dire que, comme Strauss avec l’Électre de Hof­manns­thal ou la Salo­mé d’Oscar Wilde, Fran­cis Pou­lenc a réus­si à accen­tuer l’impact de la pièce d’origine, en n’affaiblissant aucun effet mais au contraire en ajou­tant de l’émotion.

Le texte de Georges Ber­na­nos peut paraître bien daté. Un très beau film de la pièce a été réa­li­sé en 1983 par Pierre Car­di­nal pour la télé­vi­sion, avec Suzanne Flon et Nicole Cour­cel. La dic­tion des actrices est remar­quable, la pièce est très pre­nante ain­si, d’autant que la réa­li­sa­tion n’est en rien sym­bo­lique, les décors et cos­tumes sont d’époque et les exé­cu­tions à la guillo­tine sont bien réa­listes. Mais la musique de Pou­lenc trans­cende cette his­toire réelle des Car­mé­lites d’un couvent de Com­piègne arbi­trai­re­ment condam­nées à mort par la Ter­reur. Fran­cis Pou­lenc est un grand com­po­si­teur fran­çais, auteur à la fois de pochades de potache, d’œuvres clas­siques faciles d’accès et d’œuvres sacrées mémo­rables, à la fois « moine et voyou » disait-on. Le Salve Regi­na final, qui com­mence par un chœur à 16 voix, puis conti­nue avec 15, 14… 3, 2, puis une seule, et où l’on entend à 16 reprises le cou­pe­ret de la guillo­tine, est éprou­vant de ten­sion dra­ma­tique et musicale.

Cet opé­ra au dérou­le­ment linéaire mais plein de sym­bo­lisme peut don­ner lieu à des réa­li­sa­tions et mises en scène très différentes.

On a beau­coup aimé la ver­sion diri­gée par Muti à la Sca­la, avec la grande Anja Sil­ja en mère supé­rieure. Une mise en scène sobre, avec des inven­tions cho­ré­gra­phiques sym­bo­liques des car­mé­lites ima­gi­nées par Robert Car­sen. Un chef cha­ris­ma­tique ; et l’orchestre est très bien fil­mé, notam­ment pour les pré­ludes des douze scènes.

À Ham­bourg, on dis­pose d’une meilleure qua­li­té tech­nique (image et son) du DVD. Et une forte direc­tion de Simone Young, très bien enre­gis­trée dans une belle acous­tique qui rend jus­tice à Pou­lenc et à l’excellent orchestre. Mise en scène très théâ­trale, décors élé­gants. Toutes les mises en scène citées ici évitent le réa­lisme de la guillo­tine et sym­bo­lisent les morts suc­ces­sives des car­mé­lites par dif­fé­rentes astuces géné­ra­le­ment élé­gantes. Mais seule la mise en scène de Ham­bourg sym­bo­lise éga­le­ment la pré­sence de la guillo­tine, plus sug­gé­rée que sou­li­gnée tou­te­fois, guillo­tine qu’on entend très bien à l’orchestre.

À l’Opéra du Rhin en 1999, la mise en scène de Marthe Kel­ler est très clas­sique, on y retrouve Anne-Sophie Schmidt et Lau­rence Dale qui étaient des piliers de l’équipe de la période phé­no­mé­nale du Théâtre impé­rial de Com­piègne des années 1990–2000. L’image est un rien vieillie mais le son tout à fait agréable.

Le DVD le plus connu est aus­si le plus contro­ver­sé. La pro­duc­tion très com­men­tée de Tcher­nia­kov à l’Opéra de Bavière, dans une réa­li­sa­tion fil­mée par le génial Andy Som­mer, est égale-ment la plus déran­geante. Le DVD a même été un temps inter­dit à la vente, à la demande des ayants droit de Ber­na­nos et Pou­lenc, la Cour de cas­sa­tion en 2017 ayant fina­le­ment auto­ri­sé sa dif­fu­sion. Il faut recon­naître que la mise en scène s’éloigne constam­ment de l’histoire ori­gi­nale, que l’esthétique est absente mal­gré la réa­li­sa­tion fil­mée et que le sui­cide col­lec­tif dans une cabane au fond de la scène, au lieu d’une mort gran­diose et sym­bo­lique sur l’échafaud, ne nous a pas convaincus.

Vous l’avez com­pris, au jeu arti­fi­ciel­le­ment sadique du choix de l’interprétation à empor­ter sur une île déserte, je ne sais pas choi­sir. Mais si j’ai le droit à deux ver­sions je pars avec Muti à la Sca­la et Simone Young à Hambourg.


Sca­la de Milan, direc­tion Ric­car­do Muti, mise en scène Robert Car­sen, 1 DVD Arthaus

Opé­ra du Rhin, mise en scène Marthe Kel­ler, 1 DVD Arthaus

Opé­ra de Ham­bourg, direc­tion Simone Young, mise en scène N. Lehn­hoff, 1 DVD Arthaus

Opé­ra de Bavière, direc­tion Kent Naga­no, Mise en scène Tcher­nia­kov, 1 DVD Bel Air

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