François-Auguste Perrinon, extrait de la gravure Victor Schoelcher et François-Auguste Perrinon, députés de la Guadeloupe et de la Martinique, 1849.

François-Auguste Perrinon (X1832) polytechnicien antiesclavagiste

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°800 Décembre 2024
Par Jacques-André LESNARD

Fran­çois-Auguste (les pré­noms sont par­fois inver­sés) Per­ri­non pré­sente la carac­té­ris­tique d’être le pre­mier métis (à l’époque et aux Antilles, l’expression « mulâtre » était pri­vi­lé­giée pour le reje­ton d’un parent de peau noire et de l’autre de peau blanche) à inté­grer l’X, ain­si qu’indiqué dans le por­trait de Sos­thène Mor­te­nol (cf. la J & R n° 773 de mars 2022).

Il naît le 28 août 1812 à Saint-Pierre, de Rose, une esclave affran­chie sous le Consu­lat, et d’un négo­ciant aisé de Saint-Pierre, alors la capi­tale éco­no­mique et cultu­relle de la Mar­ti­nique – jusqu’à sa des­truc­tion com­plète par l’éruption de la mon­tagne Pelée (30 000 morts, le matin du 8 mai 1902). Le mariage de ses parents n’est pro­non­cé qu’en 1826 et entraîne la recon­nais­sance de pater­ni­té des quatre enfants du couple, sans que l’on sache pour­quoi et com­ment le patro­nyme, Pierre, de l’époux s’est trans­for­mé en Per­ri­non, par­fois avec un seul « r ». Fran­çois-Auguste est envoyé en métro­pole en 1829 pour pour­suivre ses études. Il entre à l’École poly­tech­nique avec la pro­mo­tion 1832.

Une carrière militaire mal documentée

Il opte à la sor­tie, comme beau­coup à l’époque, pour l’arme savante de l’artillerie, puis se spé­cia­lise dans l’artillerie de marine. Fran­çois-Auguste Per­ri­non épouse à Saint-Pierre en 1840 une demoi­selle Télèphe (Mar­gue­rite-Louise-Char­lotte), d’une riche famille de cou­leur. Il séjourne comme capi­taine en second d’une uni­té en Gua­de­loupe, de 1842 à 1845. Sans qu’on dis­pose de détails pro­bants, il semble avoir déve­lop­pé une car­rière dis­tin­guée, ser­vant à l’inspection de son arme notam­ment. Il atteint en 1847 le grade de chef de bataillon le 17 avril, nom­mé en même temps sous-direc­teur de la fon­de­rie de Ruelle. La croix de che­va­lier de la Légion d’honneur lui est attri­buée le 19 décembre.

Un entrepreneur « progressiste »

Paral­lè­le­ment, à l’île de Saint-Mar­tin à par­tir de 1844, il met en pra­tique ses idées dans une plan­ta­tion com­por­tant des marais salants dans laquelle il a des parts signi­fi­ca­tives, en mélan­geant tra­vail ser­vile et régime sala­rial d’hommes libres. Tous sont rému­né­rés. Il sup­prime les châ­ti­ments cor­po­rels et ins­taure un salaire au mérite avec des gra­ti­fi­ca­tions ou des mino­rations en numé­raire, selon les résul­tats obte­nus. Fran­çois-Auguste Per­ri­non tire de cette expé­rience un livre qui est publié en 1847, inti­tu­lé Résul­tats d’expériences sur le tra­vail des esclaves, dont la conclu­sion est péremp­toire : « Mora­le­ment insou­te­nable, l’esclavage est éco­no­mi­que­ment une aber­ra­tion. » Il contre­bat ain­si l’idée reçue de l’intérêt d’une mini­mi­sa­tion à l’excès du coût du tra­vail. Il a l’intuition, inté­res­sante en éco­no­mie, de l’amélioration de la consom­ma­tion par l’accroissement du pou­voir d’achat, réflexion qui reste d’actualité de nos jours.

Un rôle important dans l’abolition de l’esclavage

Cet anti­es­cla­va­giste déter­mi­né, franc-maçon selon plu­sieurs sources, est repé­ré dès 1842 par Vic­tor Schoel­cher, qui le fera entrer dans la « com­mis­sion d’étude pour l’abolition » qu’il pré­side, mise en place dès le 3 mars 1848 et com­por­tant cinq membres seule­ment. F.A. Per­ri­non devien­dra briè­ve­ment (3 juin – 3 novembre) en Mar­ti­nique « com­mis­saire géné­ral de la Répu­blique » pour l’application de la loi d’abolition du 27 avril 1848, car il a tenu à por­ter per­son­nel­le­ment sur son île natale le texte et à le mettre en œuvre.

De la Martinique à la Chambre

Il rem­place le « gou­ver­neur de la colo­nie » et prend des mesures variées pour le main­tien de l’ordre, pour réor­ga­ni­ser l’administration et pour faire repar­tir l’économie locale. Dès le 11 novembre 1848, il est éle­vé au grade d’officier dans l’ordre de la Légion d’honneur (mais la base Léo­nore ne com­porte hélas que deux feuillets sans détail autre que la date). Il se lance paral­lè­le­ment en poli­tique et est élu dépu­té de son île natale sous la IIe Répu­blique dès l’assemblée consti­tuante le 22 août 1848, puis aux légis­la­tives de mai 1849 : l’élection ayant été annu­lée pour « vio­lences », il est réélu le 13 jan­vier 1850. Il siège, tou­jours proche de V. Schoel­cher, dépu­té de la Gua­de­loupe, avec la gauche, par­fois dite « la Mon­tagne » à la Chambre des députés.

Une fin de vie discrète

Le coup d’État de Napo­léon III le 2 décembre 1851 met fin à son man­dat par­le­men­taire. Il refuse de prê­ter ser­ment à l’Empereur, tant comme « haut fonc­tion­naire » que comme mili­taire, et il démis­sionne ipso fac­to de l’armée. Il se consacre ensuite à la pros­pé­ri­té de ses entre­prises et meurt dix ans plus tard, le 2 jan­vier 1861, dans sa qua­rante-neu­vième année, à Saint-Mar­tin. Un col­lège de Fort-de-France porte son nom, ain­si que diverses rues en Mar­ti­nique et à Saint-Martin. 

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