François-Auguste Perrinon (X1832) polytechnicien antiesclavagiste
François-Auguste (les prénoms sont parfois inversés) Perrinon présente la caractéristique d’être le premier métis (à l’époque et aux Antilles, l’expression « mulâtre » était privilégiée pour le rejeton d’un parent de peau noire et de l’autre de peau blanche) à intégrer l’X, ainsi qu’indiqué dans le portrait de Sosthène Mortenol (cf. la J & R n° 773 de mars 2022).
Il naît le 28 août 1812 à Saint-Pierre, de Rose, une esclave affranchie sous le Consulat, et d’un négociant aisé de Saint-Pierre, alors la capitale économique et culturelle de la Martinique – jusqu’à sa destruction complète par l’éruption de la montagne Pelée (30 000 morts, le matin du 8 mai 1902). Le mariage de ses parents n’est prononcé qu’en 1826 et entraîne la reconnaissance de paternité des quatre enfants du couple, sans que l’on sache pourquoi et comment le patronyme, Pierre, de l’époux s’est transformé en Perrinon, parfois avec un seul « r ». François-Auguste est envoyé en métropole en 1829 pour poursuivre ses études. Il entre à l’École polytechnique avec la promotion 1832.
Une carrière militaire mal documentée
Il opte à la sortie, comme beaucoup à l’époque, pour l’arme savante de l’artillerie, puis se spécialise dans l’artillerie de marine. François-Auguste Perrinon épouse à Saint-Pierre en 1840 une demoiselle Télèphe (Marguerite-Louise-Charlotte), d’une riche famille de couleur. Il séjourne comme capitaine en second d’une unité en Guadeloupe, de 1842 à 1845. Sans qu’on dispose de détails probants, il semble avoir développé une carrière distinguée, servant à l’inspection de son arme notamment. Il atteint en 1847 le grade de chef de bataillon le 17 avril, nommé en même temps sous-directeur de la fonderie de Ruelle. La croix de chevalier de la Légion d’honneur lui est attribuée le 19 décembre.
Un entrepreneur « progressiste »
Parallèlement, à l’île de Saint-Martin à partir de 1844, il met en pratique ses idées dans une plantation comportant des marais salants dans laquelle il a des parts significatives, en mélangeant travail servile et régime salarial d’hommes libres. Tous sont rémunérés. Il supprime les châtiments corporels et instaure un salaire au mérite avec des gratifications ou des minorations en numéraire, selon les résultats obtenus. François-Auguste Perrinon tire de cette expérience un livre qui est publié en 1847, intitulé Résultats d’expériences sur le travail des esclaves, dont la conclusion est péremptoire : « Moralement insoutenable, l’esclavage est économiquement une aberration. » Il contrebat ainsi l’idée reçue de l’intérêt d’une minimisation à l’excès du coût du travail. Il a l’intuition, intéressante en économie, de l’amélioration de la consommation par l’accroissement du pouvoir d’achat, réflexion qui reste d’actualité de nos jours.
Un rôle important dans l’abolition de l’esclavage
Cet antiesclavagiste déterminé, franc-maçon selon plusieurs sources, est repéré dès 1842 par Victor Schoelcher, qui le fera entrer dans la « commission d’étude pour l’abolition » qu’il préside, mise en place dès le 3 mars 1848 et comportant cinq membres seulement. F.A. Perrinon deviendra brièvement (3 juin – 3 novembre) en Martinique « commissaire général de la République » pour l’application de la loi d’abolition du 27 avril 1848, car il a tenu à porter personnellement sur son île natale le texte et à le mettre en œuvre.
De la Martinique à la Chambre
Il remplace le « gouverneur de la colonie » et prend des mesures variées pour le maintien de l’ordre, pour réorganiser l’administration et pour faire repartir l’économie locale. Dès le 11 novembre 1848, il est élevé au grade d’officier dans l’ordre de la Légion d’honneur (mais la base Léonore ne comporte hélas que deux feuillets sans détail autre que la date). Il se lance parallèlement en politique et est élu député de son île natale sous la IIe République dès l’assemblée constituante le 22 août 1848, puis aux législatives de mai 1849 : l’élection ayant été annulée pour « violences », il est réélu le 13 janvier 1850. Il siège, toujours proche de V. Schoelcher, député de la Guadeloupe, avec la gauche, parfois dite « la Montagne » à la Chambre des députés.
Une fin de vie discrète
Le coup d’État de Napoléon III le 2 décembre 1851 met fin à son mandat parlementaire. Il refuse de prêter serment à l’Empereur, tant comme « haut fonctionnaire » que comme militaire, et il démissionne ipso facto de l’armée. Il se consacre ensuite à la prospérité de ses entreprises et meurt dix ans plus tard, le 2 janvier 1861, dans sa quarante-neuvième année, à Saint-Martin. Un collège de Fort-de-France porte son nom, ainsi que diverses rues en Martinique et à Saint-Martin.