François VALIRON (43) 1923–2004
François Valiron nous a quittés le 16 février 2004 à l’âge de 80 ans après avoir sa vie durant servi son pays et notre planète de manière exemplaire. Rendons d’abord hommage à sa générosité, à sa fidélité en amitié et à la très grande richesse de sa personnalité. Il fut d’abord et avant tout un hydraulicien de très grande classe ou plutôt un gestionnaire des ressources en eau, mais aussi, et c’est moins connu, un aménageur pluridisciplinaire et un fervent promoteur du développement des pays du Sud.
À sa sortie de l’École nationale des ponts et chaussées, en 1948, il est affecté en Tunisie encore sous le régime du Protectorat ; il y rencontre un maître en hydraulique en la personne de Jean Tixeront (19 N) qui sera son mentor dans ce domaine, et il va s’occuper de l’hydraulique tunisienne pendant près de dix ans.
À son retour de Tunisie, après l’indépendance, il entre dans le groupe de la Caisse des Dépôts où de grands projets sont en préparation.
François Bloch-Laîné, assisté de Léon-Paul Leroy (35), a en effet décidé que sa grande Institution apporterait sa contribution à notre pays en pleine reconstruction dans les domaines de l’aménagement et du logement social. Pour y parvenir, ils viennent de créer deux outils performants : la Scet et la Scic, qui, dirigés respectivement par François Parfait (42) et par Michel Saillard (48), vont modifier considérablement le visage de la France métropolitaine.
Ayant besoin d’hommes compétents et dynamiques, ils recrutent François Valiron qui, affecté à la Scet à Lyon, lance aussitôt l’aménagement du quartier de la Part-Dieu.
Mais il n’y a pas que l’Hexagone, le paysage international s’est aussi profondément modifié : la Tunisie et le Maroc viennent d’accéder à l’indépendance, le général de Gaulle revenu aux affaires décide d’accorder l’indépendance à nos anciennes colonies d’Afrique. Le groupe de la Caisse des Dépôts doit contribuer à la nouvelle politique de coopération (rue Monsieur), à la transmission du savoir-faire français à l’étranger (quai d’Orsay, quai Branly), enfin au développement des départements et territoires d’Outre-Mer (rue Oudinot). Deux nouvelles filiales sont alors créées : la Sedes et la Scet Coopération dont est chargé François Valiron.
Sa première mission est la construction de Nouakchott, nouvelle capitale de la Mauritanie, dont la responsabilité sera confiée à Jean Redonnet. Dans le même temps, il installe quatre agences de la Scet-Coop : à Tunis, Abidjan, Tananarive et Pointe-à-Pitre, qui seront confiées respectivement à Jacques Denantes (49), Bernard Charpy, Guy Euverte et Roger Bac.
Jacques Bourdillon est chargé de créer une cinquième agence, celle de Rabat, commune à la Scet-Coop et à la Sedes. Il eut la double chance de travailler avec François Valiron durant les années soixante (d’abord au titre de chef de l’agence du Maroc, ensuite comme son adjoint direct à Paris), puis de lui succéder lorsqu’il fut appelé à créer et diriger l’Agence de Bassin Seine-Normandie.
Jacques Bourdillon évoque ci-après ces dix années passées au service tant des pays francophones qui venaient d’accéder à l’indépendance, que des départements et territoires d’Outre-Mer, enfin de certains pays fort désireux de bénéficier du savoir-faire français : Brésil, Argentine, Syrie, Iran, Liban…
Pour François Valiron, la Scet-Coop, c’était à la fois » la Scet et la Scic, outre-mer et à l’étranger « , mais aussi » l’aménagement rural, les marchés gares, les grands aménagements hydroagricoles » : il se référait volontiers à la Tennessee Valley Authority, et aux compagnies françaises d’aménagement régional (Compagnie nationale du Rhône, Bas-Rhône Languedoc, Canal de Provence, Coteaux de Gascogne). Son parti pris était résolument la pluridisciplinarité, d’où la présence au sein de la Scet-Coop d’ingénieurs (génie civil, génie rural, forestiers, agronomes), d’énarques, de juristes et d’administrateurs.
Son œuvre multiforme est impressionnante : des logements économiques un peu partout (notamment au Sénégal, Côte-d’Ivoire, Madagascar, Cameroun, Mali), des opérations d’aménagement urbain ou hydroagricole, Nouakchott, la rénovation de la ville de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, l’aménagement du lac Alaotra, à Madagascar, l’opération Yabassi-Bafang au Cameroun, la construction des universités africaines (notamment Abidjan et Yaoundé), la rénovation de l’industrie sucrière en Guadeloupe (dont la sucrerie de Marie- Galante), le marché gare de Buenos Aires, l’aménagement hydroagricole du Nord-Est brésilien, l’aménagement de la Sabana de Bogotá en Colombie. Toutes ces opérations des plus diversifiées (et il en manque), François Valiron les a initiées, ses successeurs se sont attachés à les mener à bon terme.
Jean-Louis Oliver peut ensuite témoigner personnellement de l’influence considérable que François Valiron n’a cessé d’exercer au sein de la communauté nationale et internationale de l’eau, depuis le milieu des années soixante jusqu’à aujourd’hui. Durant plus de dix ans à la tête de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie qu’il a créée de toutes pièces pour en faire un prototype central de » l’École française de l’Eau « , il a été à la fois technicien, financier, administrateur, mais surtout stratège et négociateur hors pair. Son dynamisme visionnaire lui a permis de dépasser les cloisonnements traditionnels et de fédérer usagers, professionnels, élus et fonctionnaires au sein d’institutions de bassin hydrographique novatrices et efficaces.
Homme de réflexion et d’action, François Valiron était aussi homme de cœur, très attaché à la cause du développement et de la coopération avec les pays du Sud.
Après avoir mis son grand talent de pédagogue au service de l’École nationale des ponts et chaussées où il a institué le premier cours de gestion des eaux, il a créé en 1978, dans la ville nouvelle de Sophia-Antipolis, le CEFIGRE, Centre d’étude et de formation à la gestion des ressources en Eau, qui deviendra en 1991 l’Office international de l’Eau pour fusionner avec la Fondation de l’Eau de Limoges et l’Association française pour l’étude des Eaux (AFEE) à Paris. Peu après il crée le Centre d’étude et de recherche sur la gestion rationnelle de l’Environnement et de l’Eau (CERGRENE, devenu aujourd’hui CEREVE), institution judicieusement commune à l’ENPC et à l’ENGREF.
De 1979 à 1983, il assume la présidence du pôle Ingénierie de la Lyonnaise des Eaux, dont la SAFEGE, l’un des premiers bureaux d’études français dans le domaine de l’eau au niveau international où il déploie à nouveau tous ses talents, aussi bien dans l’Hexagone que dans de nombreux pays étrangers, notamment au Maghreb, et en Afrique subsaharienne, mais aussi en Amérique latine, puis bientôt en Asie du Sud-Est. Jean-Louis Oliver y fut son adjoint, puis son successeur.
Enfin au début des années 1990, François Valiron s’engage, à plus de 70 ans, mais toujours avec la même passion et la même efficacité, dans le lancement de l’Académie de l’Eau, institution pluridisciplinaire originale qui s’ouvre à toutes les spécialités des sciences exactes aux sciences humaines et sociales pour proposer une approche nouvelle plus » transversale » de la gestion de l’eau, en France et à l’étranger. Ce fut son dernier combat, dans le droit fil de toute sa carrière, où Jean-Louis Oliver eut à nouveau la chance de seconder ce bâtisseur infatigable, toujours au service de l’intérêt général.
Il est stupéfiant de constater aujourd’hui le nombre et la qualité des anciens élèves de l’X, français et étrangers, répartis sur plusieurs générations, qui ont, d’une manière ou d’une autre, été profondément marqués par la forte personnalité, la hauteur de vue, la curiosité intellectuelle, la créativité, alliées à la puissance de travail et à la volonté sans faille qui ont animé François Valiron jusque dans les derniers jours de sa vie.
Nous lui devions ce grand merci pour avoir largement ouvert à tous de nouveaux chemins d’avenir très prometteurs.
Pour honorer la mémoire de leur fondateur commun, François Valiron, l’Agence de l’Eau Seine-Normandie et l’Académie de l’Eau ont décidé d’organiser ensemble un colloque mettant en valeur les principales problématiques et réalisations qui ont illustré sa réflexion et son action, le vendredi 25 juin 2004, à l’Institut océanographique, 195, rue Saint-Jacques, 75005 Paris.