Fusions et acquisitions, des outils stratégiques

Dossier : X-HEC Capital InvestissementMagazine N°638 Octobre 2008
Par Henri TCHENG (86)
Par Stéphane COHEN-GANOUNA

Résul­tat d’une nor­ma­li­sa­tion de l’é­co­no­mie mon­diale et d’une évo­lu­tion de quelques sec­teurs spé­ci­fiques, les fusions et acqui­si­tions sont désor­mais uti­li­sées comme de pré­cieux, mais dan­ge­reux outils stra­té­giques. Une pré­pa­ra­tion minu­tieuse, une vision à long terme, la recon­nais­sance du fac­teur humain et l’im­por­tance d’une com­mu­ni­ca­tion appro­priée émergent comme fac­teurs clés d’une fusion réussie.

La der­nière décen­nie du XXIe siècle est l’ère des fusions et acqui­si­tions. Jamais autant d’en­tre­prises n’a­vaient fusion­né. Convain­cues qu’il s’a­gis­sait du seul moyen de sur­vivre, les entre­prises se pré­ci­pi­taient dans l’a­ven­ture dont bon nombre sor­taient rare­ment indemnes. Une étude, por­tant sur plus de 2 500 cas de fusions et acqui­si­tions sur les dix der­nières années en Europe, montre pour­tant que seules 40 % de ces opé­ra­tions créent de la valeur boursière.

Des évolutions sectorielles et des valeurs refuges

Le com­por­te­ment hété­ro­gène entre les dif­fé­rents sec­teurs du mar­ché tem­père l’eu­pho­rie des fusions et acqui­si­tions, mais dévoile éga­le­ment des oppor­tu­ni­tés d’une acti­vi­té sou­vent sup­po­sée homogène.

Un bilan mitigé
En 2000 et 2005 plus de valeur a été détruite que créée ; l’ex­pé­rience indi­vi­duelle ne pro­tège pas contre l’é­chec ; la fré­né­sie et l’ac­cu­mu­la­tion pen­dant une courte durée nuisent à la créa­tion de valeur ; les tran­sac­tions à une plus petite échelle créent plus de valeur que celles à grande échelle ; les dif­fé­rents sec­teurs pos­sèdent des poten­tiels différents.

L’en­semble des sec­teurs connaît une baisse consi­dé­rable du » sur­ren­de­ment posi­tif » : 31 % en 2005 contre 40 % en 2003. Néan­moins, quelques sec­teurs se main­tiennent : l’im­mo­bi­lier, le maté­riel et l’éner­gie avec un ren­de­ment posi­tif impres­sion­nant ; la finance et l’in­dus­trie en termes de volume de tran­sac­tions réa­li­sées ; les télé­com­mu­ni­ca­tions, avec leurs plus impor­tantes opé­ra­tions à la fin du siècle dernier.

Les sec­teurs tra­di­tion­nels comme l’éner­gie et l’im­mo­bi­lier ont échap­pé à la bulle Inter­net et figurent comme valeur refuge. La finance élar­git son champ d’ac­tion par sa capa­ci­té de faire des acqui­si­tions hors de son propre sec­teur (près de 30 %).

Mal­gré ces espoirs, l’i­mage des fusions et acqui­si­tions est incon­tes­ta­ble­ment ter­nie. La plu­part des entre­prises se lancent moins faci­le­ment dans une tran­sac­tion d’en­ver­gure et pré­fèrent réduire leur nombre par crainte de ne pas maî­tri­ser le défi.

Le Pri­vate Equi­ty a plus de suc­cès. La ques­tion est donc de savoir com­ment évi­ter l’i­ner­tie tout en évi­tant des stra­té­gies de fusions ris­quées afin de concré­ti­ser l’ob­jec­tif fixé : la créa­tion de valeur.

Une stratégie pertinente

L’é­vo­lu­tion erra­tique des tran­sac­tions, la chute des étoiles d’une époque et l’as­cen­sion des reve­nants ont pro­fon­dé­ment chan­gé la per­cep­tion géné­rale des fusions et acquisitions.

Veni, vidi, veto
C’est lors de son retour à Rome que César pro­non­ça son célèbre » Veni, vidi, vici « . Sa dic­ta­ture ne dure­ra pas plus de trois ans.
La conquête des parts de mar­ché rem­place les guerres, les fusions et acqui­si­tions rem­placent les annexions et les mariages politiques.
Le cri de guerre reste tou­jours le même : Veni, vidi… Mais, à l’é­preuve de l’his­toire, c’est veto ! qu’il faut ajouter.

Nous assis­tons à un chan­ge­ment de para­digme : macroé­co­no­mie et his­toire élar­gissent une foca­li­sa­tion pure­ment éco­no­mique. La réduc­tion du prisme de vision à de purs effets de syner­gie est aban­don­née au pro­fit d’une optique plus large. Le contexte glo­bal déter­mine la prise de déci­sion d’une fusion quitte à oppo­ser son veto à une expan­sion hasardeuse.

Sept cri­tères appa­raissent aujourd’­hui essentiels.

Se pla­cer dans un contexte historique
Connaître l’his­toire évite de répé­ter les erreurs et aide à mieux défi­nir ses propres inten­tions. Bon nombre de fusions échouent à cause d’in­ten­tions déca­lées : agit-on dans un but défen­sif ? Est-ce que l’on maî­trise le code cultu­rel de la cible ? Est-on pris dans un tour­billon ou agit-on par besoin réel.

Pas­ser au crible les cibles potentielles
La simple foca­li­sa­tion sur la créa­tion de valeur et les effets de syner­gie occultent sou­vent failles et obs­tacles. Les dif­fé­rences cultu­relles et légales (anti­trust) sont régu­liè­re­ment sous-esti­mées et l’es­poir prime sou­vent sur les faits.

Res­pec­ter le temps et par­tir au signal
Le timing par­fait est un fac­teur déci­sif pour la réus­site d’une tran­sac­tion. Rater le bon cré­neau ou par­tir avant » le signal » peut coû­ter cher et même com­pro­mettre une fusion. Car une fusion c’est d’a­bord un rythme. Don­ner la cadence per­met d’in­fluer sur les détrac­teurs et ain­si prendre l’as­cen­dant sur ses adver­saires. Pla­ni­fier tôt le pro­ces­sus d’in­té­gra­tion, défi­nir vite les pos­si­bi­li­tés de gain, mettre en place à temps le nou­veau mana­ge­ment et les agents du chan­ge­ment per­mettent de pro­fi­ter de l’en­thou­siasme ini­tial et d’ob­te­nir le plus tôt pos­sible les gains escomptés.

Inves­tir l’ex­pé­rience collective
Contrai­re­ment à ce que l’on peut sup­po­ser, l’ex­pé­rience indi­vi­duelle n’est pas garante de suc­cès. Un sur­ren­de­ment posi­tif ne découle pas auto­ma­ti­que­ment de l’ef­fet d’ex­pé­rience indi­vi­duel. L’ac­cu­mu­la­tion d’ac­qui­si­tions pen­dant une courte période ne détruit pas seule­ment plus de valeur qu’elle en crée, elle génère éga­le­ment le risque d’une atti­tude rou­ti­nière qui laisse échap­per les spé­ci­fi­ci­tés d’une transaction.

S’ins­pi­rer par les his­toires de réus­site signi­fie éga­le­ment de s’ou­vrir au savoir-faire de nou­veaux acteurs : le Pri­vate Equi­ty doit y figu­rer au pre­mier rang.

Foca­li­ser sur une culture de performance
Un des objec­tifs d’une fusion est l’a­dop­tion d’une culture de per­for­mance. La réflexion sur l’a­ve­nir doit mobi­li­ser toutes les éner­gies. Seule l’im­pli­ca­tion de tous les employés dans une situa­tion nou­velle empêche plaintes, per­tur­ba­tions et fina­le­ment résistance.

Choi­sir un mode de com­mu­ni­ca­tion appropriée
 » On les tue ! On leur vole le mar­ché ! » Les dégâts d’un lan­gage violent se chiffrent dif­fi­ci­le­ment mais leur éten­due est vaste. L’op­ti­mi­sa­tion de la cir­cu­la­tion de l’in­for­ma­tion dans une orga­ni­sa­tion est pri­mor­diale pour l’ef­fi­ca­ci­té. Mais les modes de com­mu­ni­ca­tion sont sou­vent sous-esti­més avec des consé­quences assez néfastes.

Veiller sur les affaires quotidiennes
Un des plus grands dan­gers d’une fusion réside dans la négli­gence des affaires quo­ti­diennes. Les » mana­gers » se consacrent sou­vent corps et âme à la réduc­tion de coûts, se laissent absor­ber par l’am­pleur des tâches d’in­té­gra­tion tout en détrui­sant subrep­ti­ce­ment leur busi­ness quo­ti­dien : un vide momen­ta­né se crée et les clients désertent.

Éviter les erreurs

Une nou­velle vague de fusions et acqui­si­tions se des­sine-t-elle à l’ho­ri­zon ? La réponse est clai­re­ment non. Les fusions actuelles sont le résul­tat d’une nor­ma­li­sa­tion de l’é­co­no­mie mon­diale et d’une évo­lu­tion de quelques sec­teurs spécifiques.

Fusions et acqui­si­tions sont désor­mais uti­li­sées comme de pré­cieux, mais dan­ge­reux outils stra­té­giques dont la valeur réelle est à déter­mi­ner avec soin. Une pré­pa­ra­tion minu­tieuse, une vision à long terme, la recon­nais­sance du fac­teur humain et l’im­por­tance d’une com­mu­ni­ca­tion appro­priée émergent comme fac­teurs-clés d’une fusion réussie.

Les fusions cessent d’être iso­lées de leur contexte his­to­rique mais figurent comme élé­ment intrin­sèque d’une évo­lu­tion macroé­co­no­mique, poli­tique et his­to­rique. Elles suivent des cycles, alter­nant accé­lé­ra­tion, sta­bi­li­sa­tion et ralen­tis­se­ment. De nou­veaux acteurs puis­sants, le Pri­vate Equi­ty, imposent leur style, agissent comme cata­ly­seurs et accé­lèrent le rythme.

Bea­ring Point
Issu du groupe KPMG (KPMG Consul­ting), Bea­ring Point est une socié­té de conseil stra­té­gique, prin­ci­pa­le­ment en ges­tion et tech­no­lo­gie de l’information.
Elle compte envi­ron 17 000 consul­tants dans 60 pays.
Son siège est situé aux États-Unis, à Mc Lean, en Virginie.

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