G. GERSHWIN, C. IVES
Les multiples facettes du talent de Leonard Bernstein ont souvent été vantées dans ces colonnes. Il fut à la fois un des plus grands compositeurs (trois symphonies poignantes, des ballets et même une messe, à conseiller absolument), le plus célèbre des auteurs de Broadway (West Side Story bien sûr, mais aussi Candide, On the Town…) et un des meilleurs chefs d’orchestre du XXe siècle. Il nous a laissé des enregistrements de référence sur une période qui va des dernières Symphonies de Haydn jusqu’aux Symphonies de Sibelius, et il est considéré comme irremplaçable pour les Symphonies de Mahler et la musique américaine (Gershwin, Ives, Barber, Copland, Bernstein). Ses enregistrements vidéo lors de tournées en Europe (Londres en 1976 et Munich en 1987) consacrés aux oeuvres les plus célèbres de Gershwin et Charles Ives en sont d’autant plus précieux.
On ne présente plus les deux œuvres de Gershwin, archiconnues et qui ont subi un nombre important d’adaptations, y compris au cinéma. Rien de plus authentique que de les voir interprétées par l’Orchestre Philharmonique de New York, sous la direction du chef américain. Voir les instrumentistes (violon solo, saxophone, trompette, trombone) se succéder dans des solos jazzy, alors que cet orchestre est un symbole du classicisme aux USA, est délicieux.
Ajoutons que dans Rhapsody in Blue, Bernstein est lui-même au piano (encore un talent), avec un effet de mise en scène impressionnant : lors de ses solos, la lumière s’éteint sur l’orchestre et toute l’attention est portée sur le pianiste.
Faire découvrir la musique américaine
La Seconde Symphonie de Charles Ives est beaucoup moins connue. Bernstein en donne une présentation, remarquable et indispensable, d’un quart d’heure en introduction au concert. Le grand respect de Bernstein pour Ives et cette symphonie est très perceptible. Il considère cette oeuvre comme la plus grande symphonie américaine (c’est faire peu de cas des 3e et 6e Symphonie de Hanson, de la Troisième de Copland et des trois symphonies de Bernstein lui-même).
Cette symphonie composée par un Ives de vingt-cinq ans en 1900 a été créée par Bernstein en 1951 en présence (à la radio) d’un compositeur de soixante-dix- sept ans. Elle est à la fois un melting-pot d’hymnes et d’airs folkloriques américains et d’influences romantiques européennes. Bernstein qualifie même l’Ives de cette époque d’auteur « naïf ». L’interprétation, très difficile du fait de la superposition des motifs et des idées, est parfaite, du niveau de l’enregistrement CD paru à l’époque du concert (1987, Deutsche Grammophon déjà).
La seconde œuvre de C. Ives, The Unanswered Question, dure sept minutes. Elle est représentative de la période de maturité du compositeur. L’évolution entre les deux œuvres est telle qu’on pourrait par analogie imaginer le Douanier Rousseau qui s’est transformé à travers les décennies en Kandinsky. Cette œuvre expérimentale débute sans chef, Bernstein apparaissant sur l’estrade après le début de la performance. De même, il quitte l’estrade avant la fin, laissant l’orchestre seul achever les derniers accords.
Bernstein voulait faire découvrir et apprécier la musique américaine en Europe et son objectif est parfaitement atteint. On voit un public ravi et admiratif. La publication de ces concerts est un effort louable, dans la mesure où le public spontané pour la Symphonie de C. Ives est restreint. Espérons que le couplage avec les versions de référence en image des œuvres de Gershwin aidera à diffuser ce DVD.
Notons chez le même éditeur (DG), la parution il y a quelques mois d’un DVD regroupant deux oeuvres phares de Bernstein, sa Seconde Symphonie et sa Serenade sous la direction du compositeur avec des solistes phénoménaux : les jeunes Gidon Kremer et Krystian Zimerman.