Portrait de Gabriel Fauré par John Singer Sargent

Fauré, encore

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°801 Janvier 2025
Par Jean SALMONA (56)

« L’univers, c’est de l’ordre, l’homme, c’est du désordre. »
Gabriel Fau­ré, Lettre à son épouse

Oeuvres complètes de Gabriel FauréTout Fauré

Au fond, on connaît mal Gabriel Fau­ré. Era­to a entre­pris de ras­sem­bler l’intégrale 1 de son œuvre dans des enre­gis­tre­ments signi­fi­ca­tifs, tâche immense et méri­toire. Et l’on se rend compte de l’étendue de nos lacunes : ce que nous connais­sons de l’œuvre de Fau­ré – la musique de chambre, les pièces pour pia­no, quelques mélo­dies, le Requiem – n’est que la par­tie émer­gée d’un ice­berg plus vaste.

Pour com­prendre sa musique, il est bon d’avoir un aper­çu de la vie de Fau­ré. Fau­ré aura eu trois vies, ou plu­tôt aura mené trois exis­tences simultanément.

Tout d’abord, ses fonc­tions « offi­cielles », où il a été pro­pul­sé grâce notam­ment au sou­tien de Saint-Saëns : ins­pec­teur de l’enseignement musi­cal, direc­teur du Conser­va­toire natio­nal, orga­niste titu­laire de la Made­leine, membre de l’Institut. Par­mi les com­po­si­tions de ce musi­cien natio­nal cou­vert d’honneurs : Péné­lope, « poème lyrique », Pro­mé­thée, « tra­gé­die lyrique » – écrite pour huit cents exé­cu­tants dont cent cin­quante musi­ciens divi­sés en trois orchestres d’harmonie et un ensemble de cordes que ren­forcent quinze harpes, pré­sen­ta­tion dans ce cof­fret sous une forme réduite par l’Orchestre natio­nal et les chœurs de la RTF ; des musiques de scène pour Cali­gu­la, Shy­lock, Pel­léas et Méli­sande, le diver­tis­se­ment cho­ré­gra­phique Masques et Ber­ga­masques, le Requiem (dont plu­sieurs ver­sions sont pré­sen­tées ici), une Messe basse.

« Fauré mène une vie mondaine proche de celle de Proust. »

Paral­lè­le­ment, Fau­ré mène une vie mon­daine proche de celle de Proust (qui mour­ra en 1922, deux ans avant Fau­ré), par­rai­né par la com­tesse Gref­fulhe (modèle de la duchesse de Guer­mantes dans La Recherche) et par Robert de Mon­tes­quiou, l’ami de Proust. De cette vie de salon naissent les nom­breuses mélo­dies, notam­ment sur des poèmes de Ver­laine, la Pavane, le Quin­tette avec pia­no n° 1, la suite Dol­ly, la Sonate pour vio­lon et pia­no n° 1, la Bal­lade.

Et il y a enfin les com­po­si­tions, toutes des chefs‑d’œuvre, de la der­nière période de sa vie, la Sonate pour vio­lon et pia­no n° 2, la Fan­tai­sie pour pia­no et orchestre, les deux Sonates pour vio­lon­celle et pia­no, le
Quin­tette n° 2 pour qua­tuor et pia­no, le poi­gnant Trio avec pia­no (rare­ment joué), enfin le Qua­tuor à cordes, sa der­nière œuvre, sans doute le som­met de sa musique de chambre, dans l’enregistrement de réfé­rence du Qua­tuor Ébène.

Les quatre der­niers disques du cof­fret sont consa­crés à des enre­gis­tre­ments his­to­riques par des inter­prètes de légende dont Mar­gue­rite Long, Jacques Thi­baud, Alfred Cor­tot, Pierre Four­nier, André Navar­ra, le Trio Pasquier…

Nous ne rap­pe­lons pas les carac­té­ris­tiques de la musique de Fau­ré : il en a été suf­fi­sam­ment ques­tion dans ces colonnes à plu­sieurs reprises.

Au total, ce cof­fret consti­tue une somme excep­tion­nelle : Fau­ré aura été l’un des trois grands com­po­si­teurs fran­çais des XIXe-XXe siècles, supé­rieur à bien des égards à son men­tor Saint-Saëns et l’égal de Debus­sy et Ravel.

26 CD ERATO


Gabriel Durliat, In ParadisumGabriel Durliat, In Paradisum

À l’occasion de la com­mé­mo­ra­tion du cen­te­naire de la mort de Fau­ré, de jeunes musi­ciens s’intéressent intel­li­gem­ment à son œuvre. C’est le cas de Gabriel Dur­liat (fils de notre cama­rade X90) qui vient d’enregistrer un disque consa­cré à Fau­ré et Bach. À côté des Noc­turnes 7, 11 et 13, Dur­liat a trans­crit pour le pia­no – excel­lente idée – la suite Pel­léas et Méli­sande (dont l’orchestration est due, rap­pe­lons-le, à notre cama­rade Charles Koe­chlin) ain­si que le mou­ve­ment In Para­di­sum du Requiem. De Bach, il joue la Fan­tai­sie et fugue en sol mineur pour orgue (trans­crip­tion de Liszt), le der­nier contre­point (inache­vé) de l’Art de la fugue et, en conclu­sion du disque, la version
pia­nis­tique de Jésus que ma joie demeure. Jeu sobre, tou­cher sen­sible et ins­pi­ré. Un beau disque.

1 CD SCALA


1. À l’exception des pièces de prime jeu­nesse et de deux œuvres que Fau­ré a lui-même écar­tées de son cata­logue, le Concer­to pour vio­lon et Le Voile du bon­heur.

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