Fauré, encore
« L’univers, c’est de l’ordre, l’homme, c’est du désordre. »
Gabriel Fauré, Lettre à son épouse
Tout Fauré
Au fond, on connaît mal Gabriel Fauré. Erato a entrepris de rassembler l’intégrale 1 de son œuvre dans des enregistrements significatifs, tâche immense et méritoire. Et l’on se rend compte de l’étendue de nos lacunes : ce que nous connaissons de l’œuvre de Fauré – la musique de chambre, les pièces pour piano, quelques mélodies, le Requiem – n’est que la partie émergée d’un iceberg plus vaste.
Pour comprendre sa musique, il est bon d’avoir un aperçu de la vie de Fauré. Fauré aura eu trois vies, ou plutôt aura mené trois existences simultanément.
Tout d’abord, ses fonctions « officielles », où il a été propulsé grâce notamment au soutien de Saint-Saëns : inspecteur de l’enseignement musical, directeur du Conservatoire national, organiste titulaire de la Madeleine, membre de l’Institut. Parmi les compositions de ce musicien national couvert d’honneurs : Pénélope, « poème lyrique », Prométhée, « tragédie lyrique » – écrite pour huit cents exécutants dont cent cinquante musiciens divisés en trois orchestres d’harmonie et un ensemble de cordes que renforcent quinze harpes, présentation dans ce coffret sous une forme réduite par l’Orchestre national et les chœurs de la RTF ; des musiques de scène pour Caligula, Shylock, Pelléas et Mélisande, le divertissement chorégraphique Masques et Bergamasques, le Requiem (dont plusieurs versions sont présentées ici), une Messe basse.
« Fauré mène une vie mondaine proche de celle de Proust. »
Parallèlement, Fauré mène une vie mondaine proche de celle de Proust (qui mourra en 1922, deux ans avant Fauré), parrainé par la comtesse Greffulhe (modèle de la duchesse de Guermantes dans La Recherche) et par Robert de Montesquiou, l’ami de Proust. De cette vie de salon naissent les nombreuses mélodies, notamment sur des poèmes de Verlaine, la Pavane, le Quintette avec piano n° 1, la suite Dolly, la Sonate pour violon et piano n° 1, la Ballade.
Et il y a enfin les compositions, toutes des chefs‑d’œuvre, de la dernière période de sa vie, la Sonate pour violon et piano n° 2, la Fantaisie pour piano et orchestre, les deux Sonates pour violoncelle et piano, le
Quintette n° 2 pour quatuor et piano, le poignant Trio avec piano (rarement joué), enfin le Quatuor à cordes, sa dernière œuvre, sans doute le sommet de sa musique de chambre, dans l’enregistrement de référence du Quatuor Ébène.
Les quatre derniers disques du coffret sont consacrés à des enregistrements historiques par des interprètes de légende dont Marguerite Long, Jacques Thibaud, Alfred Cortot, Pierre Fournier, André Navarra, le Trio Pasquier…
Nous ne rappelons pas les caractéristiques de la musique de Fauré : il en a été suffisamment question dans ces colonnes à plusieurs reprises.
Au total, ce coffret constitue une somme exceptionnelle : Fauré aura été l’un des trois grands compositeurs français des XIXe-XXe siècles, supérieur à bien des égards à son mentor Saint-Saëns et l’égal de Debussy et Ravel.
26 CD ERATO
Gabriel Durliat, In Paradisum
À l’occasion de la commémoration du centenaire de la mort de Fauré, de jeunes musiciens s’intéressent intelligemment à son œuvre. C’est le cas de Gabriel Durliat (fils de notre camarade X90) qui vient d’enregistrer un disque consacré à Fauré et Bach. À côté des Nocturnes 7, 11 et 13, Durliat a transcrit pour le piano – excellente idée – la suite Pelléas et Mélisande (dont l’orchestration est due, rappelons-le, à notre camarade Charles Koechlin) ainsi que le mouvement In Paradisum du Requiem. De Bach, il joue la Fantaisie et fugue en sol mineur pour orgue (transcription de Liszt), le dernier contrepoint (inachevé) de l’Art de la fugue et, en conclusion du disque, la version
pianistique de Jésus que ma joie demeure. Jeu sobre, toucher sensible et inspiré. Un beau disque.
1 CD SCALA
1. À l’exception des pièces de prime jeunesse et de deux œuvres que Fauré a lui-même écartées de son catalogue, le Concerto pour violon et Le Voile du bonheur.