Gaston Girousse (1899) « Juste parmi les Nations »
À titre posthume, notre camarade Gaston Girousse vient de recevoir de Yad Vashem le titre de « Juste parmi les Nations »1. Cette distinction est pour nous l’occasion de décrire brièvement les traits de la personnalité de notre grand ancien et de relater quelques faits de sa longue carrière professionnelle.
Fils unique d’un receveur des Postes, ses capacités intellectuelles sont vite repérées par ses instituteurs et professeurs. Travailleur infatigable, homme discret, paisible et droit, il gardera de ses origines modestes une vraie humilité et une grande intelligence des situations humaines. En 1899, il entre à 19 ans à Polytechnique, en sort ingénieur des Télégraphes, corps qui vient d’être créé. Au service des câbles sous-marins, il opère sur des navires câbliers en Indochine. Puis il travaille avec le général Ferrié (1887).
Responsable des transmissions stratégiques
En 1910, il épouse Marguerite Bérard, fille de l’ingénieur général des Poudres, Aristide Bérard (1861), qui avait mis au point au début du siècle la production de la poudre sans fumée. En 1914, dès le début des hostilités, Gaston Girousse est affecté au Grand quartier général comme adjoint au Commandant responsable des transmissions entre le GQG et les armées françaises et alliées.
La tâche est écrasante. Le Commandant meurt épuisé six mois plus tard. Son successeur se rendant compte qu’il n’a pas les compétences suffisantes fait alors entièrement confiance à Gaston Girousse qui, jusqu’à la victoire, assumera seul la responsabilité de ces transmissions vitales et dira simplement à la fin du conflit : » Le meilleur hommage qu’on puisse rendre aux Transmissions, c’est qu’on n’en ait jamais parlé. » De cette expérience, il acquerra une grande maîtrise de soi qui lui sera précieuse dans les situations périlleuses de l’Occupation.
Représentant des industries électriques
Démobilisé, il rejoint le groupe de l’Union d’électricité (Groupe Petsche Mercier). Sa carrière se développe au sein des principales sociétés d’électricité alors privées, gravissant les échelons.
Sa grande maîtrise de soi lui sera précieuse dans les situations périlleuses de l’Occupation
Il en préside certaines et, au moment où la Seconde Guerre mondiale est déclarée, assume la direction générale de Nord-Lumière, société à laquelle il était particulièrement attaché. Dès lors que l’occupation de la France devient une certitude, il reçoit par délégation des présidents de sociétés la mission d’être l’unique représentant des industries électriques face aux autorités d’occupation et au gouvernement de Vichy.
Dès les premiers contacts, sa calme autorité s’impose et il sait obtenir le respect. Ainsi le jour de l’entrée des Allemands à Paris (14 juin 1940), Girousse déjeune avec ses proches collaborateurs. L’atmosphère est lourde. Affolé, le concierge monte :
– Monsieur le Président, deux officiers allemands veulent vous voir immédiatement. – Dites-leur que je déjeune. Je les recevrai à 2 heures dans mon bureau.
Le concierge redescend… Bruits de bottes dans l’escalier… Les deux officiers s’encadrent dans la porte. Gaston Girousse les regarde et dit calmement :
– Vous voyez bien que je déjeune. Je vous recevrai à 2 heures.
Sidérés, ils saluent et tournent les talons.
Une délégation d’autorité
Une fois les indispensables contacts mis en place avec rigueur et précision, il obtient délégation d’autorité pour établir et signer personnellement tous les ordres de mission nécessaires à la continuité de la distribution de l’énergie électrique. Ces ordres de mission doivent toutefois être validés par un double visa allemand.
De faux ordres de service pour rejoindre la France libre
Il utilise cette délégation pour permettre à plusieurs dizaines de personnes menacées ou recherchées par l’occupant de rejoindre la zone libre ou, après l’invasion de la zone libre, de passer en Espagne. Il établit alors de faux ordres de service enjoignant aux porteurs de se rendre dans les Pyrénées au prétexte d’y effectuer des études de barrages.
Cela, tant pour des agents de la Société que pour d’autres personnes d’origine juive, résistants ou réfractaires au STO. Ainsi, Maître Léon Netter, avocat de la Société, put grâce à son action être sorti de Drancy, passer la ligne de démarcation dans une voiture de service et trouver refuge en Suisse.
Durant toute l’Occupation, il assiste lui-même son camarade de promotion, Louis Cahen, caché dans une chambre d’un 6e étage parisien.
Un mandat social
Après-guerre, il participe activement aux négociations liées à la nationalisation de l’électricité. En 1947, au cours d’une grève dure, le personnel de Forclum, très grosse société de travaux électriques, récuse le Président nommé par le Conseil d’administration et exige la nomination de Gaston Girousse. Celle-ci obtenue, la grève cesse. Il exerce ce mandat social pratiquement jusqu’à son décès en 1963.
Gaston Girousse, Commandeur de la Légion d’honneur, Juste parmi les Nations, Distinguished Service Order, était le père d’André (32) et le beau-père de Pierre Maucour (39), époux de sa fille Geneviève. Sa foi chrétienne vivante et profonde a été pour lui un soutien durant toute sa vie.
Situer les missiles
Gaston Girousse tient à être informé des demandes allemandes de renforcement des réseaux électriques dans le nord de la France, ce qui permet de situer les positions des rampes de lancement de missiles. Via la Suisse, avec laquelle les sociétés d’électricité avaient des liens financiers, il transmet ces précieux renseignements aux Alliés. Il contrecarre l’action des Allemands qui cherchaient à dérober du cuivre aux sociétés d’électricité. Il subventionne la Résistance et installe en 1944 des groupes de résistance aux points stratégiques du réseau électrique.
1. Yad Vashem est le mémorial implanté à Jérusalem en mémoire des victimes juives de la Shoah. Les » Justes parmi les Nations « , qui ne sont pas de confession juive, ont sauvé des Juifs pendant la guerre.