Géoénergie et décarbonation : « Son potentiel est immense ! »
Dans cet entretien, Cindy Demichel, CEO & cofondatrice de Celsius Energy, nous explique comment la géoénergie peut jouer un rôle considérable dans la décarbonation d’usages critiques comme le chauffage ou la climatisation.
Assez méconnue du grand public, la géothermie peut jouer un rôle important dans la démarche de décarbonation des usages. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette dimension ?
Cindy Demichel : Avant toute chose, il est important de distinguer les différents types de géothermie. Chez Celsius Energy, nous captons l’énergie contenue dans les 200 premiers mètres du sol : c’est ce que nous appelons la géoénergie ou géothermie de surface.
En termes d’usage, la géoénergie permet de décarboner le chauffage, l’eau chaude sanitaire, la climatisation et le rafraîchissement. Vous avez raison de le souligner, c’est une ressource méconnue du grand public et qui est encore largement sous-exploitée en France, contrairement à certains de nos voisins européens. Le fait que cette technologie soit invisible, parce que souterraine et silencieuse, a sans doute largement contribué à cette méconnaissance. Et pourtant, elle possède de nombreux atouts : pouvez-vous citer une énergie renouvelable non-intermittente, locale, performante, durable et pilotable ?
La géoénergie est la seule à cocher toutes les cases ! Son potentiel est énorme. Une étude menée par le BRGM et l’ADEME à l’initiative de la métropole du Grand Paris, publiée en janvier 2022 montre que la géothermie de surface sur le territoire comprenant Paris et les 130 communes métropolitaines environnantes, pourrait couvrir 58 % de la consommation actuelle de ces territoires. Il suffit de s’y connecter !
Dans ce cadre, quel est votre positionnement et que proposez-vous ?
J’ai cofondé Celsius Energy avec deux autres ingénieurs, Matthieu Simon et Sylvain Thierry, tous deux issus comme moi du Groupe Schlumberger. Engagés en matière d’environnement, nous cherchions un moyen d’utiliser le savoir-faire et l’expertise industrielle du Groupe pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. Après un temps d’incubation via HEC puis Station F, nous avons développé une solution de géoénergie qui combine trois éléments éprouvés : un échangeur thermique sur sondes déviées, un local technique avec pompe à chaleur et un pilotage digital. Notre système permet d’alimenter les bâtiments de plus de 3000 m². Nous avons développé des outils qui nous permettent d’optimiser la conception de ces systèmes et leur réalisation en nous adaptant aux contraintes foncières grâce notamment au forage incliné ainsi que dans la gestion de la performance du système une fois installé. Grâce à une faible emprise au sol (équivalent à une place de parking) notre solution est particulièrement adaptée à la rénovation thermique des bâtiments, y compris en zone urbaine dense ! De l’étude des besoins, au montage financier, à l’installation de notre système, nous accompagnons les entreprises et les collectivités dans leur transition énergétique en leur permettant de faire le grand saut vers une solution bas carbone, sur mesure et clé en main. Nous connectons littéralement les bâtiments à l’énergie de la Terre pour connecter nos partenaires aux enjeux climatiques !
Plus particulièrement, quels sont les apports de la géothermie en matière de décarbonation du chauffage et de la climatisation ?
Quand on sait que le chauffage de nos bâtiments est responsable de 25 % des émissions de CO2 globales, on comprend mieux en quoi la décarbonation de ce secteur est vitale. La demande en froid va par ailleurs tripler d’ici à 2050, ce qui va mécaniquement entraîner un usage grandissant des climatiseurs, qui aggravent le phénomène des îlots de chaleur en ville. La bonne nouvelle, c’est que la géothermie répond pleinement à ces enjeux. Elle permet de réduire drastiquement les émissions de CO2 – jusqu’à 90 % – tout en divisant par 4 les besoins en énergie finale des bâtiments comparé à une référence gaz : pour une unité d’électricité utilisée, elle peut fournir en moyenne 4 unités de chaleur et plus encore pour le froid. Elle peut donc produire du chaud mais aussi du frais sans contribuer aux îlots de chaleur, en sollicitant au minimum la grille électrique, avec une facture énergétique allégée de 40 % en moyenne. Nos voisins l’ont bien compris, l’Allemagne prévoit que 50 % des bâtiments neufs seront alimentés par géoénergie ainsi que 30 % des bâtiments existants ! A l’échelle nationale, le potentiel du sous-sol est immense et a un rôle crucial à jouer dans la transition énergétique.
Pouvez-vous nous donner des exemples de projets sur lesquels vous intervenez ?
Du tertiaire aux logements collectifs, nous intervenons sur une typologie variée de bâtiments, pour le neuf comme pour l’existant. Notre dernier projet en date est celui du siège social du Groupement Optic 2000, chantier sur lequel nous venons de forer notre 100e puits depuis la création de Celsius Energy en 2019. Les travaux ont débuté en mars 2022 pour une mise en route de la solution attendue en octobre de la même année. L’installation permettra de réduire de 71 % les émissions de CO2 du site par rapport à leur solution gaz initiale, tout en diminuant de 38 % sa consommation d’énergie. C’est un bel exemple de partenariat, dans lequel nous accompagnons un grand groupe dans une démarche ambitieuse de transition énergétique. Parmi nos autres chantiers en cours, on trouve des projets très différents, comme une chaîne d’établissements médicalisés implantée dans toute la France ou encore un hôtel de luxe Feng Shui au cahier des charges exigeant. Notre solution se veut flexible, elle rend l’énergie du sol accessible à tout type de bâtiment !
Qu’en est-il de la dimension digitalisation de votre activité ?
La digitalisation est une dimension essentielle et différenciante de notre offre, c’est l’un de nos piliers en matière d’innovation. Intégrée et optimisée selon les besoins du client, elle intervient à toutes les étapes, de la phase conception à l’installation : pour modéliser les besoins du bâtiment, l’empreinte en surface de l’installation et le potentiel géothermique du sous-sol mais aussi pour planifier et exécuter l’installation et enfin pour en piloter la performance grâce à des algorithmes avancés. Chez Celsius Energy, nous parlons “data” couramment ! Notre équipe R&D œuvre en permanence pour améliorer nos process et optimiser notre offre de ce point de vue. Nous sommes convaincus que le numérique peut booster la transition énergétique.
Aujourd’hui, comment vous projetez-vous sur ce marché de la géothermie ? Quels sont vos principaux enjeux et ambitions ?
En France, la géothermie ne représente que 4 % de la production de chaleur. Le moment est venu de déployer cette filière d’avenir ! Chez Celsius Energy, nous faisons notre part en développant nos activités en France puis, à terme, en Europe et dans d’autres régions du globe. Nous avons par exemple foré nos premiers puits sur un prestigieux campus universitaire de la côte Est des États-Unis. Nous projetons d’y déployer un démonstrateur, comme nous l’avons fait ici à Clamart avec notre installation pilote qui peut être visitée sur rendez-vous. Nous œuvrons en parallèle à donner plus de visibilité à cette “géante endormie”. J’ai signé récemment une tribune dans Les Echos pour appeler les décideurs politiques à considérer l’immense potentiel de la géoénergie, pour un confort bas carbone, des bâtiments plus autonomes, des villes décarbonées et résilientes et notre souveraineté énergétique. Notre filière est mature et toute la chaîne de valeur est prête à passer à l’échelle. L’État doit soutenir ce mouvement avec un grand plan national et ambitieux de déploiement de la géoénergie.