Georg Friedrich HAENDEL : Alcina
Une fois n’est pas coutume, nous commentons ce mois-ci deux réalisations, on ne peut plus différentes, de la même œuvre, Alcina de Haendel. Avant de parler de l’œuvre et de ces productions, il faut comprendre que la parution de deux DVD (et Blu-rays) tous les deux très recommandables de cet opéra de Haendel est le symptôme d’un regain d’intérêt depuis une vingtaine d’années pour les opéras de Haendel.
Haendel est un exact contemporain de Bach. Ils sont nés tous les deux à quelques mois et quelques kilomètres d’intervalle (et ils ont été rendus aveugles par le même charlatan anglais à la fin de leurs vies également). Mais si Bach s’est formé en parcourant les villes d’Allemagne, Lübeck, Weimar et enfin Leipzig, Haendel est allé se former en Italie, la patrie de l’opéra, avant de s’installer en Grande-Bretagne.
Si on a conservé de Haendel l’image d’un compositeur d’oratorios (Le Messie, Israël en Égypte…) ou d’autres œuvres sacrées (et de la trop fameuse Water Music), Haendel, d’un style bien plus accessible et festif que Bach, est avant tout un compositeur d’opéras.
On découvre (et enregistre) peu à peu tout de cet univers gigantesque (quarante œuvres de plus de trois heures), constitué d’énormément de chefs‑d’œuvre, citons au moins Ariodante, Rinaldo, Jules César, Semele, Serse, Alcina. Constitués principalement de succession d’airs et de récitatifs accompagnés, ces opéras sont principalement composés pour voix féminine, les hommes étant chantés à l’époque par des castrats, et désormais par des mezzos-sopranos ou des contre-ténors.
Alcina (1735) est un des trois opéras de Haendel (avec Orlando et Ariodante) composés d’après un passage de Roland furieux de l’Arioste. La sorcière Alcina et sa sœur Morgana transforment les hommes qui abordent leur île en animaux.
Mais de nouveaux visiteurs vont délivrer les victimes ainsi que le prince Roger qui va bientôt le devenir.
Bien entendu, c’est un prétexte pour Haendel pour composer une musique formidable, une succession de trente airs et duos magnifiques.
La production de 2010 à Vienne est un événement. L’opéra de Vienne n’avait pas joué Haendel depuis plus de cinquante ans et ne représente jamais de musique baroque. Et l’orchestre attitré, le Philharmonique de Vienne, ne laisse jamais sa place dans la fosse.
Double exception donc ce soir-là où Marc Minkowski, grand spécialiste de Haendel (souvenons-nous de ses formidables Ariodante à Poissy puis au Palais Garnier, le disque merveilleux existe) impose son ensemble des Musiciens du Louvre dans la fosse du traditionnel théâtre. Grâce à lui, la musique de Haendel est toujours en mouvement, vivante, jamais rébarbative. Trois heures trente sans une seconde d’ennui.
La grande soprano allemande Anja Harteros est la reine de la soirée, dans une mise en scène très classique mais très belle, salon XVIIIe avec chandeliers et perruques poudrées, avec les musiciens solistes qui accompagnent certains airs (violon, violoncelle, flûte, clavecin) sur la scène.
Comment être plus différent que les représentations de 2015 au festival d’Aix avec Patricia Petibon et Jaroussky ? Là, la mise en scène est beaucoup plus moderne et plus intéressante, plus réaliste et même parfois franchement osée.
Les sorcières transforment leurs victimes par chirurgie comme dans L’Île du docteur Moreau. Elles profitent sexuellement des hommes avant de les transformer. Et leurs sortilèges permettent de les rendre belles sur scène alors qu’elles sont vieilles et laides dans leur laboratoire.
Petibon est plus expressive que Harteros même si la voix de la soprano allemande est irremplaçable. Jaroussky est naturellement parfait, et justifie sa popularité (il chante encore le rôle de par le monde, et cette année à Paris).
Comment départager ce qui est si différent ?
Faites comme moi, je pioche régulièrement dans les deux.
Un extrait de 4 minutes avec Patricia Petibon et Philippe Jaroussky