Georges Cumin (43) : l’homme des Menuires

Dossier : ExpressionsMagazine N°660 Décembre 2010Par : Marie-Charlotte CUMIN médecin angiologue

Georges Cumin, ingé­nieur géné­ral des Ponts, a eu une car­rière inso­lite. Parce qu’il a occu­pé, par­fois en même temps, des fonc­tions que d’au­cuns pour­raient juger incom­pa­tibles, parce qu’il a été l’un des acteurs majeurs d’une période déter­mi­nante pour les hautes val­lées alpines, son par­cours res­te­ra unique.

De parents lyon­nais, Georges Cumin voit le jour à Gap en 1923. Au gré d’une affec­ta­tion pater­nelle à Besan­çon, il découvre le ski en 1937, aux Rousses. Il entre plus tard dans la Ire Armée, celle de De Lattre. Dis­cret sur ses faits de guerre, Georges Cumin avoue, non sans une légi­time fier­té, qu’il fut par­mi les pre­miers à arri­ver sur le Rhin. Il est alors appe­lé pour rejoindre l’é­cole mili­taire de Cher­chell, en Algé­rie. Il croise Chris­tian Beul­lac, Jean-Jacques Ser­van- Schrei­ber et un grand jeune homme à l’ac­cent légè­re­ment chuin­tant des Auver­gnats, Valé­ry Gis­card d’Estaing.

Ses condis­ciples s’ap­pellent Frie­del, Fré­jacques et Michel qui devien­dront plus tard membres de l’A­ca­dé­mie des sciences. Il est le cama­rade de pro­mo­tion et l’a­mi du Père Pois­son, supé­rieur des Char­treux pen­dant qua­rante ans. Son jour de gloire arrive le 14 juillet 1946, où il ouvre le défi­lé en bicorne sur les Champs-Ély­sées, devant Charles de Gaulle et Wins­ton Churchill.

Débuts à Grenoble

Il s’in­té­resse à l’ur­ba­nisme, et Gre­noble, qui amorce un déve­lop­pe­ment spec­ta­cu­laire, lui per­met d’ex­pri­mer ses idées

Plus tard, Georges Cumin est nom­mé à Gre­noble avec un de ces titres dont seule l’ad­mi­nis­tra­tion a le secret, celui » d’in­gé­nieur ordi­naire de troi­sième classe « .

Georges Cumin s’in­té­resse à l’ur­ba­nisme, et Gre­noble, qui amorce un déve­lop­pe­ment spec­ta­cu­laire, lui per­met d’ex­pri­mer ses idées. L’en­trée Est de la ville, notam­ment, porte sa marque.

Sa véri­table voca­tion, c’est à Cham­rousse qu’il la découvre, à l’oc­ca­sion de la créa­tion de Roche-Béran­ger. Avec l’ar­chi­tecte Laurent Chap­pis, il redé­fi­nit le pro­jet et impose aux pro­mo­teurs et aux par­ti­cu­liers des règles archi­tec­tu­rales strictes. Cette idée, inno­vante à l’é­poque, va don­ner à la sta­tion son uni­té et sa cohérence.

En 1956, le pre­mier télé­siège débrayable de France, avec des pinces Mül­ler, est ins­tal­lé à Cham­rousse. Puis ce sont Les Sept-Laux et La Morte (L’Alpe-du-Grand-Serre). C’est lors d’une réunion que Laurent Chap­pis lance à Fran­cis Raoul et Georges Cumin l’i­dée de la can­di­da­ture de Gre­noble aux jeux Olym­piques de 1968. L’a­ven­ture est enga­gée en 1960, sans Georges Cumin, nom­mé au Maroc ingé­nieur en chef de la cir­cons­crip­tion du Sud pour les ser­vices rou­tiers et portuaires.


Sud marocain

Au Maroc où il est nom­mé, Georges Cumin retrouve vite la mon­tagne : il est char­gé de l’a­mé­na­ge­ment de la sta­tion d’Ou­kaï­me­dem. Le pre­mier télé­siège d’Ou­kaï­me­dem a été bap­ti­sé à l’é­poque le télé­benne Camoun (Ben Cumin, le fils de Cumin).


Nouvelles stations alpines

De retour en France en 1964, il entre à la Socié­té d’A­mé­na­ge­ment de La Plagne, Il y reste jus­qu’à ce qu’il apprenne que la sta­tion des Menuires est à la recherche d’un direc­teur. Avant guerre, Arnold Lunn et le major Lind­say avaient per­çu les poten­tia­li­tés de la val­lée des Belleville.

En 1948, Mau­rice Michaud, un X lui aus­si, à la tête du ser­vice des Ponts et Chaus­sées de la Savoie, lance Cour­che­vel, dont Laurent Chap­pis est l’ar­chi­tecte. Dans la fou­lée de la réus­site de Cour­che­vel, le Conseil géné­ral de la Savoie charge Mau­rice Michaud de recher­cher d’autres sites et de les déve­lop­per. Joseph Fon­ta­net, qui occu­pe­ra plus tard plu­sieurs fonc­tions minis­té­rielles, se prend de pas­sion pour la val­lée des Bel­le­ville ; il est maire de Saint-Mar­tin, conseiller géné­ral de Moû­tiers et député.

La Caisse des dépôts et consi­gna­tions choi­sit le tan­dem Michaud- Chap­pis pour le pro­jet. Mais les deux per­son­nages ne s’en­tendent pas. Georges Cumin débarque dans la val­lée et conçoit un nou­veau plan de masse, ima­gine des bâti­ments » pieds-dans-la-neige « , et non pas » skis-aux-pieds « , tient-il à pré­ci­ser. Le pro­jet s’ins­pire du tra­vail réa­li­sé par Michel Bezan­çon à La Plagne, orga­ni­sant les dif­fé­rentes zones de vie et les fonc­tions de la station.


Vie de famille

Georges Cumin est l’é­poux de Fran­cette, Pari­sienne, spé­cia­liste de l’his­toire de l’art. Le couple a deux enfants : Marie-Char­lotte, angio­logue, et Jacques Oli­vier infor­ma­ti­cien qui, avec Hélène Bor­necque, a trois enfants. Georges atta­chait beau­coup d’im­por­tance à sa famille.


Le goût de la politique

C’est en 1967 que Georges Cumin fait ses pas en poli­tique : il est élu dépu­té sup­pléant d’Ai­mé Paquet, avec l’aide de qui il peut lan­cer Les Sept-Laux, un nom qu’il choi­sit lui-même pour la nou­velle sta­tion dauphinoise.

En 1969, il quitte la val­lée des Bel­le­ville pour le minis­tère des Tra­vaux publics. Il est nom­mé un temps adjoint au direc­teur de l’É­qui­pe­ment de la Région pari­sienne, avant de rejoindre Mar­seille, en 1970, à la direc­tion de l’Im­mo­bi­lière Construc­tion de Paris. Son éloi­gne­ment de la mon­tagne ne va pas se pro­lon­ger très long­temps. En 1973, Aimé Paquet, qui vient d’être nom­mé secré­taire d’É­tat au Tou­risme, le sol­li­cite pour rejoindre son cabi­net. Georges Cumin accepte la direc­tion du Ser­vice d’é­tude et d’a­mé­na­ge­ment tou­ris­tique de la mon­tagne, à la tête de tout le sec­teur » neige » de France.


Temps géologique

La pre­mière ren­contre de Georges Cumin avec les géo­logues est savou­reuse. Là, il com­prend que leur appré­cia­tion du temps n’est pas à l’é­chelle d’une vie de sta­tion. Certes, les ter­rains sont instables, par défi­ni­tion en mon­tagne. Certes, des mou­ve­ments sont pré­vi­sibles… mais dans quelques dizaines de mil­liers d’années.


Saint-Martin-de-Belleville

Le bon sens et l’obs­ti­na­tion lui don­ne­ront encore une fois raison

En 1977, Joseph Fon­ta­net est bat­tu aux élec­tions légis­la­tives. Cette défaite l’en­traîne à aban­don­ner pro­gres­si­ve­ment tous ses man­dats, dont celui de maire. À ses yeux, un seul homme peut lui suc­cé­der à Saint-Mar­tin-de-Bel­le­ville : Georges Cumin. Seul élu de la » liste Fon­ta­net « , il devient néan­moins maire de la commune.

L’a­ven­ture va se pro­lon­ger pen­dant vingt-quatre ans, quatre man­dats au cours des­quels, alors que la sta­tion de Val Tho­rens est lan­cée, il va s’at­ta­cher à réor­ga­ni­ser les plans de masse, à faire évo­luer l’as­pect en amé­na­geant le centre, en créant de nou­veaux immeubles aux volumes mieux adap­tés à l’en­vi­ron­ne­ment mon­ta­gnard, en tra­vaillant au reboi­se­ment de la val­lée, et en lan­çant la construc­tion d’un nou­veau clo­cher aux Menuires.

Rôles multiples

Com­bien ont occu­pé tour à tour des postes a prio­ri aus­si anti­no­miques que ceux d’a­mé­na­geur, de concep­teur, de conseiller, voire de cen­seur, puis d’é­lu de la même sta­tion de sports d’hi­ver ? Georges Cumin est sinon le seul, du moins un des rares dans ce cas.

Garder une trace

Georges Cumin s’at­tache désor­mais à accom­plir une tâche consi­dé­rable : celle de mettre sur le papier une période déter­mi­nante pour l’a­mé­na­ge­ment et, plus lar­ge­ment, pour l’é­co­no­mie des val­lées alpines. Ceux qui ont mar­qué sa mémoire : le pré­fet Fran­cis Raoul, les poli­ti­ciens Aimé Paquet et Joseph Fon­ta­net, son pré­dé­ces­seur Mau­rice Michaud, les archi­tectes Laurent Chap­pis et Michel Bezan­çon, Robert Legoux, le pre­mier amé­na­geur de La Plagne, Pierre Schnee­be­len, pro­mo­teur de Tignes qui a pré­si­dé au démar­rage de Val Tho­rens, Gérard Bré­mond, créa­teur d’A­vo­riaz, et ses cama­rades polytechniciens.

Il publie en 2009 les Mémoires des Bel­le­ville, livre dans lequel il retrace l’a­ven­ture que fut la construc­tion de ces nou­velles sta­tions alpines, face aux résis­tances et dif­fi­cul­tés de toutes sortes. Son édi­teur est la Fon­da­tion FACIM (Fon­da­tion pour l’ac­tion cultu­relle inter­na­tio­nale en montagne).

Il y a deux ans, il s’en­gage pour la dévia­tion de Gre­noble Nord. Le dos­sier est » à l’en­vers » comme il dit, mais le bon sens et l’obs­ti­na­tion lui don­ne­ront encore une fois rai­son. Dans les der­niers temps, il tra­vaillait encore à un grand pro­jet d’ir­ri­ga­tion du nord de l’É­gypte. Le 20 sep­tembre 2010, il s’est éteint à l’âge de 87 ans. Au-delà de toutes ses oeuvres, il reste pour nombre d’entre nous l’homme à l’es­prit tou­jours alerte, à l’hu­mour inta­ris­sable, et sur­tout un ami sûr et fidèle, un homme véri­ta­ble­ment bon.


Hommage savoyard

C’est au nom du Conseil géné­ral et de tous les élus de Savoie qu’­Her­vé Gay­mard, ancien ministre, a ren­du un der­nier hom­mage à Georges Cumin : » Une chose ne trom­pait pas. Il avait le sou­rire des yeux, le vrai, pas celui de la bouche dont il faut tou­jours se méfier. Ce regard expri­mait une grande bon­té, une pro­fonde humi­li­té, un vrai sou­ci des autres, même quand il était dans les nuages. Et c’est peut-être quand il était dans les nuages que nous l’ai­mions encore davan­tage. Mal­raux disait que le sou­bas­se­ment de l’in­tel­li­gence était » la des­truc­tion de la comé­die « . Georges Cumin, par sa sim­pli­ci­té, sa fran­chise et sa ful­gu­rance qui allaient de pair, par son être même détrui­sait toute comédie. »


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