Georges Cumin (43) : l’homme des Menuires
Georges Cumin, ingénieur général des Ponts, a eu une carrière insolite. Parce qu’il a occupé, parfois en même temps, des fonctions que d’aucuns pourraient juger incompatibles, parce qu’il a été l’un des acteurs majeurs d’une période déterminante pour les hautes vallées alpines, son parcours restera unique.
De parents lyonnais, Georges Cumin voit le jour à Gap en 1923. Au gré d’une affectation paternelle à Besançon, il découvre le ski en 1937, aux Rousses. Il entre plus tard dans la Ire Armée, celle de De Lattre. Discret sur ses faits de guerre, Georges Cumin avoue, non sans une légitime fierté, qu’il fut parmi les premiers à arriver sur le Rhin. Il est alors appelé pour rejoindre l’école militaire de Cherchell, en Algérie. Il croise Christian Beullac, Jean-Jacques Servan- Schreiber et un grand jeune homme à l’accent légèrement chuintant des Auvergnats, Valéry Giscard d’Estaing.
Ses condisciples s’appellent Friedel, Fréjacques et Michel qui deviendront plus tard membres de l’Académie des sciences. Il est le camarade de promotion et l’ami du Père Poisson, supérieur des Chartreux pendant quarante ans. Son jour de gloire arrive le 14 juillet 1946, où il ouvre le défilé en bicorne sur les Champs-Élysées, devant Charles de Gaulle et Winston Churchill.
Débuts à Grenoble
Il s’intéresse à l’urbanisme, et Grenoble, qui amorce un développement spectaculaire, lui permet d’exprimer ses idées
Plus tard, Georges Cumin est nommé à Grenoble avec un de ces titres dont seule l’administration a le secret, celui » d’ingénieur ordinaire de troisième classe « .
Georges Cumin s’intéresse à l’urbanisme, et Grenoble, qui amorce un développement spectaculaire, lui permet d’exprimer ses idées. L’entrée Est de la ville, notamment, porte sa marque.
Sa véritable vocation, c’est à Chamrousse qu’il la découvre, à l’occasion de la création de Roche-Béranger. Avec l’architecte Laurent Chappis, il redéfinit le projet et impose aux promoteurs et aux particuliers des règles architecturales strictes. Cette idée, innovante à l’époque, va donner à la station son unité et sa cohérence.
En 1956, le premier télésiège débrayable de France, avec des pinces Müller, est installé à Chamrousse. Puis ce sont Les Sept-Laux et La Morte (L’Alpe-du-Grand-Serre). C’est lors d’une réunion que Laurent Chappis lance à Francis Raoul et Georges Cumin l’idée de la candidature de Grenoble aux jeux Olympiques de 1968. L’aventure est engagée en 1960, sans Georges Cumin, nommé au Maroc ingénieur en chef de la circonscription du Sud pour les services routiers et portuaires.
Sud marocain
Au Maroc où il est nommé, Georges Cumin retrouve vite la montagne : il est chargé de l’aménagement de la station d’Oukaïmedem. Le premier télésiège d’Oukaïmedem a été baptisé à l’époque le télébenne Camoun (Ben Cumin, le fils de Cumin).
Nouvelles stations alpines
De retour en France en 1964, il entre à la Société d’Aménagement de La Plagne, Il y reste jusqu’à ce qu’il apprenne que la station des Menuires est à la recherche d’un directeur. Avant guerre, Arnold Lunn et le major Lindsay avaient perçu les potentialités de la vallée des Belleville.
En 1948, Maurice Michaud, un X lui aussi, à la tête du service des Ponts et Chaussées de la Savoie, lance Courchevel, dont Laurent Chappis est l’architecte. Dans la foulée de la réussite de Courchevel, le Conseil général de la Savoie charge Maurice Michaud de rechercher d’autres sites et de les développer. Joseph Fontanet, qui occupera plus tard plusieurs fonctions ministérielles, se prend de passion pour la vallée des Belleville ; il est maire de Saint-Martin, conseiller général de Moûtiers et député.
La Caisse des dépôts et consignations choisit le tandem Michaud- Chappis pour le projet. Mais les deux personnages ne s’entendent pas. Georges Cumin débarque dans la vallée et conçoit un nouveau plan de masse, imagine des bâtiments » pieds-dans-la-neige « , et non pas » skis-aux-pieds « , tient-il à préciser. Le projet s’inspire du travail réalisé par Michel Bezançon à La Plagne, organisant les différentes zones de vie et les fonctions de la station.
Vie de famille
Georges Cumin est l’époux de Francette, Parisienne, spécialiste de l’histoire de l’art. Le couple a deux enfants : Marie-Charlotte, angiologue, et Jacques Olivier informaticien qui, avec Hélène Bornecque, a trois enfants. Georges attachait beaucoup d’importance à sa famille.
Le goût de la politique
C’est en 1967 que Georges Cumin fait ses pas en politique : il est élu député suppléant d’Aimé Paquet, avec l’aide de qui il peut lancer Les Sept-Laux, un nom qu’il choisit lui-même pour la nouvelle station dauphinoise.
En 1969, il quitte la vallée des Belleville pour le ministère des Travaux publics. Il est nommé un temps adjoint au directeur de l’Équipement de la Région parisienne, avant de rejoindre Marseille, en 1970, à la direction de l’Immobilière Construction de Paris. Son éloignement de la montagne ne va pas se prolonger très longtemps. En 1973, Aimé Paquet, qui vient d’être nommé secrétaire d’État au Tourisme, le sollicite pour rejoindre son cabinet. Georges Cumin accepte la direction du Service d’étude et d’aménagement touristique de la montagne, à la tête de tout le secteur » neige » de France.
Temps géologique
La première rencontre de Georges Cumin avec les géologues est savoureuse. Là, il comprend que leur appréciation du temps n’est pas à l’échelle d’une vie de station. Certes, les terrains sont instables, par définition en montagne. Certes, des mouvements sont prévisibles… mais dans quelques dizaines de milliers d’années.
Saint-Martin-de-Belleville
Le bon sens et l’obstination lui donneront encore une fois raison
En 1977, Joseph Fontanet est battu aux élections législatives. Cette défaite l’entraîne à abandonner progressivement tous ses mandats, dont celui de maire. À ses yeux, un seul homme peut lui succéder à Saint-Martin-de-Belleville : Georges Cumin. Seul élu de la » liste Fontanet « , il devient néanmoins maire de la commune.
L’aventure va se prolonger pendant vingt-quatre ans, quatre mandats au cours desquels, alors que la station de Val Thorens est lancée, il va s’attacher à réorganiser les plans de masse, à faire évoluer l’aspect en aménageant le centre, en créant de nouveaux immeubles aux volumes mieux adaptés à l’environnement montagnard, en travaillant au reboisement de la vallée, et en lançant la construction d’un nouveau clocher aux Menuires.
Rôles multiples
Combien ont occupé tour à tour des postes a priori aussi antinomiques que ceux d’aménageur, de concepteur, de conseiller, voire de censeur, puis d’élu de la même station de sports d’hiver ? Georges Cumin est sinon le seul, du moins un des rares dans ce cas.
Garder une trace
Georges Cumin s’attache désormais à accomplir une tâche considérable : celle de mettre sur le papier une période déterminante pour l’aménagement et, plus largement, pour l’économie des vallées alpines. Ceux qui ont marqué sa mémoire : le préfet Francis Raoul, les politiciens Aimé Paquet et Joseph Fontanet, son prédécesseur Maurice Michaud, les architectes Laurent Chappis et Michel Bezançon, Robert Legoux, le premier aménageur de La Plagne, Pierre Schneebelen, promoteur de Tignes qui a présidé au démarrage de Val Thorens, Gérard Brémond, créateur d’Avoriaz, et ses camarades polytechniciens.
Il publie en 2009 les Mémoires des Belleville, livre dans lequel il retrace l’aventure que fut la construction de ces nouvelles stations alpines, face aux résistances et difficultés de toutes sortes. Son éditeur est la Fondation FACIM (Fondation pour l’action culturelle internationale en montagne).
Il y a deux ans, il s’engage pour la déviation de Grenoble Nord. Le dossier est » à l’envers » comme il dit, mais le bon sens et l’obstination lui donneront encore une fois raison. Dans les derniers temps, il travaillait encore à un grand projet d’irrigation du nord de l’Égypte. Le 20 septembre 2010, il s’est éteint à l’âge de 87 ans. Au-delà de toutes ses oeuvres, il reste pour nombre d’entre nous l’homme à l’esprit toujours alerte, à l’humour intarissable, et surtout un ami sûr et fidèle, un homme véritablement bon.
Hommage savoyard
C’est au nom du Conseil général et de tous les élus de Savoie qu’Hervé Gaymard, ancien ministre, a rendu un dernier hommage à Georges Cumin : » Une chose ne trompait pas. Il avait le sourire des yeux, le vrai, pas celui de la bouche dont il faut toujours se méfier. Ce regard exprimait une grande bonté, une profonde humilité, un vrai souci des autres, même quand il était dans les nuages. Et c’est peut-être quand il était dans les nuages que nous l’aimions encore davantage. Malraux disait que le soubassement de l’intelligence était » la destruction de la comédie « . Georges Cumin, par sa simplicité, sa franchise et sa fulgurance qui allaient de pair, par son être même détruisait toute comédie. »