Georges MATHERON (49) 1930–2000
Georges Matheron, le créateur de la géostatistique nous a quittés le 7 août 2000. C’est à l’École polytechnique, puis » corpsard « , à l’école des Mines de Paris où il enseigna par la suite qu’il acquit sa formation en mathématiques, physique et probabilités. On sentira d’ailleurs tout au long de son œuvre l’influence de l’enseignement de Paul Lévy.
De 1954 à 1963, lors de son passage au BRGM en Algérie et en France, il découvrira les travaux pionniers de l’école sud-africaine (Krige, Sichel, de Wijs) consacrés aux mines d’or du Witwatersrand et élaborera à cette occasion les concepts majeurs de la géostatistique, théorie pour l’estimation des ressources naturelles. Le terme géostatistique, proposé par G. Matheron en 1962, signifie : application de la théorie des fonctions aléatoires à l’étude de phénomènes naturels fluctuants dans le temps et/ou l’espace.
Ces premiers travaux trouvèrent leur aboutissement par la publication de deux ouvrages :
– Le Traité de géostatistique appliquée (Éditions Technip 1962–1963) où sont définis les outils fondamentaux de la géostatistique linéaire : variographie, variance d’estimation et variance de dispersion, krigeage, appelé ainsi par Georges Matheron par référence aux travaux de Krige (on pourra consulter l’article de l’Encyclopédie Universalis consacré à cette théorie),
– un livre plus théorique, sa thèse, intitulé Les Variables régionalisées et leur estimation, publié par Masson en 1965.
De 1964 à 1968, G. Matheron porta son attention à la caractérisation mathématique des formes et créa, en collaboration avec Jean Serra, une nouvelle discipline : la Morphologie mathématique, devenue aujourd’hui un des volets incontournables du traitement d’images. À la même époque, il travaille aussi en hydrodynamique et publiera en 1967 les Éléments pour une théorie des milieux poreux (Masson).
En 1968, G. Matheron crée à l’école des Mines le Centre de géostatistique et de morphologie mathématique (CGMM) et en prend la direction. Par la suite, le Centre se divisera de par la diversité de ses applications (géostatistique/morphologie mathématique). Il restera directeur du Centre de géostatistique jusqu’à sa retraite en 1996.
C’est au Centre que G. Matheron fera preuve d’une créativité débordante, développant avec son équipe les concepts de géostatistique non linéaire et non stationnaire, tout en gardant un intérêt marqué pour la morphologie mathématique et des questions d’optimisation d’exploitations minières. Il publiera en 1975 Random Sets and Integral Geometry (Wiley), une contribution majeure à la théorie des ensembles aléatoires.
G. Matheron, dont toute la vie a été consacrée à la recherche, a publié plus de 250 notes, pour la plupart internes au Centre et cinq livres. Son œuvre regorge d’idées, de concepts et de modèles qui nous inspireront, nous ingénieurs et chercheurs.
En voici un exemple : les Simulations conditionnelles.
La technique originale des bandes tournantes a été présentée pour la première fois dans une note interne en 1972. Depuis, le champ de la simulation a littéralement explosé, et représente aujourd’hui un axe de recherches majeur.
Au travers de cette production abondante et éclectique, nous retrouvons un thème récurrent : l’emploi de modèles probabilistes.
Georges Matheron a montré une capacité exceptionnelle à attaquer des problèmes réputés insolubles, à les ramener à des questions plus simples qu’il résout par des modèles appropriés.
C’est ainsi que les méthodes et concepts qu’il a développés sont encore d’actualité : ils répondent à des problèmes réels. La meilleure preuve en est l’étonnante variété des applications de la géostatistique : autrefois confinée aux applications minières, elle est aujourd’hui utilisée en pétrole, forêts, agronomie, océanographie, météorologie, halieutique, environnement, télécommunications, biologie, finance, etc.
Cette accumulation d’expérimentations à modéliser des phénomènes naturels uniques par une approche probabiliste amena Georges Matheron à écrire en 1978 Estimer et Choisir, un essai sur les probabilités appliquées que toute personne éprise de probabilités se doit de lire. Comme le note A. M. Hasofer dans la préface de la traduction anglaise (Estimating and Choosing : an essay on probability in practice, Springer, 1989) :
Lire l’œuvre de Georges Matheron est une illumination. Nous y trouvons un cadre élaboré cohérent menant à l’emploi purement objectif des modèles probabilistes pour la description de phénomènes uniques.
Par une vision unifiante, Georges Matheron a été capable d’éliminer de la pratique des probabilités toute sa gangue philosophique qui l’avait rendue obscure et confuse depuis des décennies. Il nous propose une ligne directrice pour déterminer l’adéquation et les limites de la modélisation probabiliste.
Au-delà de ses capacités scientifiques exceptionnelles, Georges Matheron a été un maître au sens fort : combien d’étudiants ou de professionnels ont vu leur carrière initiée ou modifiée par ses enseignements, ses publications ou ses entretiens ?
La disparition de Georges Matheron marque la fin d’une ère : il laisse derrière lui deux disciplines en pleine floraison, la géostatistique et la morphologie mathématique. À nous de progresser sur ses idées et son exemple.p