Gérard Théry (52) acteur clé de la bataille du téléphone
Gérard Théry nous a quittés le 18 juillet dernier. C’était un homme exceptionnel qui a apporté beaucoup au monde des télécommunications et à notre pays. Trois époques de sa carrière en témoignent particulièrement.
Première période, la plus importante : le renouveau des télécoms en France. En 1974, la France était la risée de tous ses voisins avec un réseau téléphonique sous développé sans ambition. Le sketch de Fernand Raynaud « le 22 à Asnières » est resté le symbole de cette période noire. La moitié des Français attendaient d’être raccordés au réseau, l’autre moitié attendait la tonalité.
Six millions de lignes seulement, une attente de plus de six mois pour raccorder une maison ou un appartement. Gérard Théry, profitant de la politique d’expansion décidée par le président Giscard d’Estaing, a réussi à faire passer le réseau national à plus de vingt et un millions de lignes en moins de deux ans. Il a réussi à galvaniser l’énergie et la compétence des salariés de la direction générale des télécommunications. Ceux-ci se morfondaient depuis des années dans une DGT sans investissements. Cette période a été celle d’un nouveau souffle qui a révélé des talents exceptionnels. Cette étape franchie, Gérard a introduit la commutation électronique dans le réseau pour remplacer les vieux centraux électromécaniques, permettant ainsi à l’opérateur de se démarquer de ses concurrents européens, américains et asiatiques. Le Minitel a également été une marque d’innovation exceptionnelle, qui aurait certainement permis de limiter la domination américaine sur internet ; malheureusement ce projet n’a pu bénéficier des investissements nécessaires à son expansion dans les périodes suivantes.
Résister aux lobbys
Deuxième période, le rapport sur les satellites de diffusion de télévision. Peu de temps après la fin des fonctions de Gérard Théry comme directeur général des télécommunications, le gouvernement, peut-être un peu honteux du sort qu’il lui avait réservé, décida de lui confier un rapport sur la diffusion de la télévision par satellite. Ce fut ma première occasion de travailler en direct avec Gérard. J’ai pu apprécier sa réactivité : il a vérifié tous les calculs des experts, nous avons visité toutes les entreprises concernées aux États-Unis et au Japon. Les conclusions du rapport étaient radicales : faire un système de diffusion par satellite à grande puissance était stupide et voué à l’échec… Gérard avait courageusement résisté aux pressions des lobbys. Cela n’a pas empêché le gouvernement de l’époque de prendre la mauvaise décision et de perdre 700 millions de francs.
Par la suite Gérard Théry a travaillé auprès du président de la Société générale, puis au sein du comité de direction du groupe Renault.
Un passage réussi à l’an 2000
Troisième période de mission pour l’État : le passage de l’an 2000. Quelques années plus tard, l’exécutif fait appel une nouvelle fois à ses compétence pour résoudre le difficile problème du passage de l’an 2000. Dans de multiples applications utilisées dans notre vie quotidienne, les logiciels n’étaient pas prévus pour passer au deuxième millénaire sans pannes graves. Attaquer ce problème de front était irréaliste ; il aurait fallu persuader tous les acteurs de vérifier puis de reprogrammer leurs applications. Impossible de traiter ce sujet de façon régalienne et directive. Gérard s’est mis au travail pendant plusieurs mois et a réussi à persuader les acteurs de protéger notre société. Le grand jour, rien ne s’est produit ? Gérard avait réussi sans bruit à résoudre une question impossible qui est restée inconnue ; empêcher sans bruit une catastrophe n’est pas gratifiant !
Gérard Théry a également été à l’origine de la création de l’option Mines pour les ingénieurs des Télécoms, préfigurant la fusion des deux corps survenue quelques années après.
Il y a quelques mois, au moment du décès de Valéry Giscard d’Estaing, Gérard Théry nous livrait ses souvenirs dans son article : La « Bataille du téléphone » sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, La Jaune et la Rouge n° 761, janvier 2021
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J’ajouterai un commentaire personnel sur la passion de Gérard pour la musique, en particulier pour Schubert et Wagner. Il a créé la Fondation France Telecom à la fin des années 70 pour soutenir entre autres l’Opera. Il m’avait chargé en 1981 d’auditer l’IRCAM dont Pierre Boulez voulait évaluer le potentiel d’applications industrielles. Il a aussi jusqu’à la fin de sa vie pratiqué le piano et organisé des concerts chez lui sur son Steinway. J’ai ainsi été invité plusieurs fois à faire des récitals de musique du XIX° siècle dans les dernières années de sa vie. Nous avions alors des discussions très nourries sur l’art de la transcription, sur les interprétations des dernières sonates de Schubert, et l’actualité de la vie musicale. C’était donc un très grand manager mais aussi un homme de grande culture.