Gérer et réduire le risque de collision dans l’espace
Le ciel est encombré de débris de toute taille. Pour les orbites très basses la désintégration par rentrée dans l’atmosphère se produit rapidement. Ce n’est plus le cas à 1 200 km, à une altitude où l’on veut lancer des milliers de satellite en constellation. Pour le moment, ces débris sont suivis par radar et catalogués. Des modélisations sont en cours pour descendre la limite de suivi de 10 à 1 cm. Ultérieurement, on envisage de développer un « chasseur » pour collecter ces débris.
Autrefois notre dernier horizon, l’atmosphère terrestre n’est plus qu’une mince couche de gaz qui nous protège d’un environnement hostile où les variations thermiques et les radiations rendent la vie presque impossible.
La conscience écologique moderne est née avec les premières images qui, depuis les satellites de la guerre froide, ont montré le frêle équilibre de notre monde. Micromégas est passé du fantasme aux écrans de télévision.
Soixante ans plus tard, l’orbite terrestre fait partie de notre économie en rendant accessibles un grand nombre de services en télécommunications, cartographie, météorologie et surveillance.
L’industrie spatiale génère aujourd’hui environ 300 milliards d’euros de chiffre d’affaires à l’échelle mondiale avec une forte croissance soutenue par le secteur privé et les enjeux liés à la sécurité. Cette industrie a gagné en maturité fiabilité qui se rapprochent de ceux des technologies terrestres.
REPÈRES
La collision entre les satellites Iridium-33 et Kosmos-2251 en 2009, qui a généré plus de 1 000 débris de plus de 10 cm et des dizaines de milliers de plus de 1 cm, a marqué la dernière décennie et est représentative des risques de collision qui se multiplient dans l’espace.
Plus d’un million de débris en orbite
Au cours du développement de l’ère spatiale, l’homme a laissé dans l’espace des centaines d’objets intacts (derniers étages de lanceurs, satellites en fin de vie, pièces annexes) dont certains ont explosé ou causé des collisions, et qui représentent toujours un danger pour l’exploitation de l’orbite terrestre.
“Le lancement de près de 15 000 satellites en orbite basse est prévu pour les dix prochaines années”
Aux orbites les plus basses, la traînée de l’atmosphère résiduelle dissipe l’énergie cinétique des objets en orbite sur une échelle de temps de quelques mois ou années, ce qui entraîne une diminution du demi-grand axe de la trajectoire elliptique, jusqu’à ce que l’échauffement thermique dégrade les matériaux. Sauf exception, comme pour des matériaux particulièrement denses et résistants (réservoirs de vaisseaux spatiaux en titane) ou pour des objets très massifs (faible rapport surface sur volume), les objets sont intégralement brûlés dans l’atmosphère avant de toucher le sol terrestre.
Cependant, au-delà de 400 km, la densité de l’atmosphère devient si faible que les effets de la traînée ne se font sentir que sur l’échelle du siècle. Ainsi, on estime à près d’un million le nombre d’objets de plus de 1 cm et on recense plus de 17 000 objets de plus de 10 cm.
Des objets catalogués et suivis
Ces objets sont détectés et suivis par des radars terrestres souvent propriété des armées nationales, à l’instar du réseau de surveillance de l’espace (Space Surveillance Network, SSN) aux États-Unis ou du radar Graves en France.
Fins de vie moins incertaines
Alors qu’un satellite de télécommunications en orbite géostationnaire coûte de l’ordre de 200 millions d’euros, le prix d’un satellite de OneWeb sera d’à peine quelques millions d’euros (pour les premières générations), pour une masse dix fois inférieure.
Les processus de fabrication sont standardisés et automatisés, avec des méthodes inspirées de l’industrie automobile. L’industrie spatiale pourra sûrement faire face sur le long terme à ce défi, mais la transformation des modes de production induit beaucoup d’incertitude, notamment sur le taux d’échec de la manœuvre de désorbitation en fin de vie.
La figure 1 montre la distribution des objets catalogués par l’US Air Force en altitude et en inclinaison du plan d’orbite. On y distingue les orbites héliosynchrones, autour de 800 km et avec des inclinaisons proches de 95°. Ces orbites, particulièrement utiles pour l’observation de la Terre, présentent de loin la plus forte densité de débris, avec près de 10-7 objets de plus de 10 cm par km³.
L’orbite géostationnaire, qui sert de relais notamment pour les télécommunications et la télévision, est également encombrée. Historiquement, une grande part des bénéfices de l’activité spatiale est réalisée par les opérateurs de satellites de télécommunications en orbite géostationnaire.
Le prix des bandes passantes a fortement chuté en 2016 et 2017 pour ce type de services et on prédit aujourd’hui que la couverture internet par des mégaconstellations en orbite basse deviendra un enjeu économique majeur qui pourrait bouleverser le statu quo.
La menace des mégaconstellations de satellites
La trace de l’Homme dans l’espace. Densité d’objets référencés en fonction de l’altitude et de l’inclinaison du plan d’orbite.
Boeing a annoncé la mise en orbite de 2 956 satellites à 1 200 km, tout comme le consortium Airbus OneWeb qui a déjà commencé à Toulouse la fabrication en série des 1 000 satellites également destinés à rejoindre des orbites à 1 200 km.
SpaceX a rejoint la course en 2015 avec sa constellation Starlink de plus de 4 425 satellites sur des orbites entre 1 100 et 1 325 km. Au total, le lancement de près de 15 000 satellites en orbite basse est prévu pour les dix prochaines années.
Même si certaines de ces annonces resteront lettre morte, cela représente un enjeu sans précédent pour l’ensemble de l’industrie spatiale. Le secteur des télécommunications internet est fortement compétitif, notamment avec la concurrence de technologies terrestres telles que la fibre optique, et tous les coûts de développement, qualification, production et exploitation doivent être tirés vers le bas.
Des orbites plus basses donc plus risquées
Afin de limiter la puissance du satellite (et donc son coût) et la latence lors de la communication, les opérateurs ont intérêt à choisir une orbite la plus basse possible. Or le premier minimum de la courbe de la densité de débris en fonction de l’altitude se trouve aux alentours de 1 200 km.
Collisions en cascade
en cascade Le seuil du syndrome de Kessler, qui prédit que les collisions en cascade entre des objets inertes en orbite puissent faire augmenter le nombre de débris de façon exponentielle même en l’absence de nouveaux lancements, risque d’être atteint en quelques années à peine.
Ce seuil est déjà atteint en orbite héliosynchrone mais avec un temps caractéristique de l’ordre du siècle.
Le syndrome de Kessler pose un problème éthique important puisqu’un comportement irresponsable risquerait de priver les générations futures de l’accès à l’espace.
Tous les opérateurs se projettent donc sur des orbites comprises entre 1 100 et 1 300 km. Les satellites défaillants et restant inertes sur leur orbite intersecteront la trajectoire de centaines d’objets appartenant à différents concurrents, les obligeant à manœuvrer pour éviter une collision.
La figure 2 présente un graphe de la probabilité d’occurrence d’un événement lié à une activité humaine en fonction de son coût pour les assureurs, déterminé à partir de différentes sources publiques. Ces données, représentées en échelle logarithmique, ne constituent qu’un ordre de grandeur.
La courbe de tendance verte représente l’intervalle dans lequel un risque est acceptable pour le secteur privé. On observe que l’opération de satellites en orbite héliosynchrone est d’ores et déjà une activité particulièrement risquée. Le risque de collision pour les premiers satellites de OneWeb ou de Starlink autour de 1 200 km sera largement acceptable mais la multiplication de constellations avec une fiabilité imparfaite fera augmenter le risque de collision de plusieurs ordres de grandeur et peut compromettre leur rentabilité.
Modéliser l’évolution des débris pour gérer les risques associés
Pour répondre aux besoins des opérateurs de mégaconstellations en termes de gestion du risque lié aux collisions en orbite, de nouveaux services ont été conçus et développés par la société Share My Space, créée en juin 2017. Elle donne accès à des modèles d’évolution de la densité de débris spatiaux actualisés quotidiennement, en prenant en compte l’ensemble des satellites du client dans le calcul du risque global.
Cela permet de réagir en temps réel aux événements qui se produisent sur les orbites d’exploitation, en ajustant les paramètres des futurs satellites, avec éventuellement des impacts sur le design (par exemple pour le système propulsif), et de s’assurer que les niveaux de fiabilité sont satisfaisants sur le long terme. Une version web simplifiée de l’outil de simulation Indemn est disponible gratuitement à la demande.
Suivre les débris de 1 cm à 10 cm
Principaux risques liés à l’activité humaine en 2018. La probabilité annuelle est représentée pour un élément (un logement, un automobiliste, ou un passager aérien moyen…). La zone verte représente une région de risque acceptable par la société. La flèche représente la tendance pour la prochaine décennie..
Les bases de données actuelles ne recensent que les débris de plus de 10 cm qui ne représentent que 2 % des objets pouvant causer des collisions sévères. La nécessité d’une meilleure caractérisation des objets dont la taille typique est comprise entre 1 et 10 cm a été soulignée par plusieurs acteurs.
Par ailleurs de nouveaux algorithmes sont en cours de développement pour identifier les débris de ce type à partir des données des radars. Cette identification permettra de prévenir un grand nombre de collisions pour lesquelles les opérateurs ne sont pas protégés à l’heure actuelle.
En outre, cette cartographie contribuera à améliorer significativement le modèle statistique d’Indemn. Ce logiciel est un outil de modélisation du risque, donc il s’adresse naturellement aux assureurs des mégaconstellations.
Des technologies pour capturer les débris
Dans une perspective de long terme, Share My Space contribue au développement de technologies qui permettront de capturer plusieurs débris sur des orbites voisines avec un chasseur qui acheminera les objets vers un centre de stockage en orbite, en vue de leur recyclage.
Un consortium est en cours de définition avec notamment le Centre spatial de l’École polytechnique.