Gestion des risques et performances : comprendre le développement de l’évaluation extra-financière
En l’espace d’une dizaine d’années, la RSE a changé de statut : initialement portée par une poignée de convaincus, elle s’est progressivement développée (notamment grâce à des obligations réglementaires croissantes), jusqu’à amener les investisseurs à questionner son impact sur les performances financières des entreprises. Le développement
de l’évaluation extra-financière se place dans ce contexte et interroge ainsi les liens entre RSE et gestion des risques (et opportunités) extra-financiers.
La RSE peut être définie comme la contribution des entreprises au développement durable via la gestion de leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). D’un domaine « idéaliste » de conviction, elle est devenue ces dernières années incontournable dans la gestion de différents risques.
REPÈRES
Le 25 septembre 2018, une étude de l’Association française de la gestion financière (AFG) et du Forum pour l’investissement responsable (FIR) montrait que l’investissement responsable (IR) représentait 1 081 milliards d’euros en France.
Les enjeux du développement de la RSE
Pour les émetteurs, il s’agit d’abord d’un enjeu de conformité réglementaire du fait du renforcement des obligations juridiques liées au développement durable. En effet, différents textes visent aujourd’hui, d’une part, à assurer l’existence de politiques de gestion des risques ESG au sein des entreprises (loi Sapin II, loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères ou encore RGPD) et, d’autre part, à renforcer la transparence de ces dernières sur leurs pratiques RSE. L’annonce récente de la création d’un statut d’« entreprise à mission » dans la loi Pacte, va également dans le sens d’une redéfinition du rôle de l’entreprise, dont l’évaluation ne peut plus être limitée à la seule rentabilité économique. Cette croissance des risques réglementaires relatifs au développement durable est également marquée par la montée en puissance de risques réputationnels et financiers. Celle-ci est perceptible dans l’attention croissante que portent la société civile et les investisseurs à ces sujets, et se traduit notamment par de vives réactions des consommateurs et du marché aux controverses (incarnées par le développement de pratiques comme la consommation responsable, le boycott, l’engagement actionnarial ou le désinvestissement).
La croissance des risques ESG a conduit les entreprises à se saisir de ces sujets. Une étude réalisée cette année par Tennaxia auprès d’une centaine d’entreprises (cotées ou non) de tailles et de secteurs variés montrait par exemple qu’elles avaient formalisé une politique RSE à 85 %, publié leurs objectifs RSE à 80 %, communiqué sur leur contribution aux objectifs de développement durable de l’ONU à 69 % et affiché des objectifs s’inscrivant dans une trajectoire bas carbone à 53 %. La diffusion de bonnes pratiques RSE atteste ainsi d’une meilleure gestion des risques ESG par les émetteurs. Elle pose dans le même temps un défi aux investisseurs : intégrer l’évaluation des risques et performances ESG à la gestion financière.
Gaïa Rating
Gaïa Rating mène chaque année une campagne de collecte et d’analyse de données ESG couvrant des PME-ETI cotées en France et en Europe. Sur la base de ces informations, les sociétés sont notées sur leur niveau de transparence et de performance. Cette notation est utilisée par des sociétés de gestion de premier plan dans leurs processus de gestion et décisions d’investissement. Fondée il y a dix ans sur la conviction que les PME-ETI sont une source d’innovation considérable pour le développement durable, l’agence propose un modèle d’évaluation adapté à leurs contraintes. Le dialogue, mené avec les entreprises en complément de l’analyse de leur reporting, apporte approfondissements et nuances à l’opinion des analystes. Il donne aux entreprises un droit de regard sur leur évaluation et permet de mettre leurs résultats en perspective.
Le 15 octobre au palais Brongniart, les équipes de Gaïa Rating ont présenté les résultats de leur 10e campagne d’évaluation. Cet événement a réuni plus de 200 entreprises, investisseurs et analystes. Il a été l’occasion de faire un premier bilan des résultats de la campagne 2018. En termes de tendance, la note générale des entreprises croît continuellement attestant des progrès réalisés par ces dernières. Les témoignages des lauréats et nouveaux entrants de l’indice ont confirmé que le processus de notation prenait bien en compte leurs contraintes. Les entreprises interrogées ont notamment loué le travail de préremplissage effectué par les analystes, précisant qu’il leur permettait d’avoir le temps de dialoguer activement et de comprendre le référentiel d’évaluation. La pertinence et le dynamisme de la méthodologie ont également été soulignés.
L’efficacité du processus de notation a permis l’obtention d’un taux de disponibilité de l’information supérieur à 89 % lors de la dernière campagne d’évaluation.
Finalement, la soirée a permis de récompenser les entreprises les plus avancées en 2018 : ESI Group (CA < 150 M€), Wavestone (150 M€ < CA < 500 M€) et Gecina (CA > 500 M€).
Investir pour demain
L’investissement responsable (IR) consiste en l’intégration de critères ESG dans la décision d’investissement. Ainsi, il permet l’identification des risques extra-financiers de long terme en complément d’une analyse financière classique. Il se développe rapidement (+ 14 % en France l’année dernière), poussé par des changements réglementaires. En 2016, l’article 173 de la loi Transition écologique et énergétique (TEE) formulait, pour la première fois, des obligations d’information pour les investisseurs institutionnels sur leur gestion des risques climatiques, et plus largement sur l’intégration de paramètres environnementaux et sociaux dans leur politique d’investissement. Cette loi visait à démocratiser l’utilisation de l’analyse extra-financière et à diffuser l’idée qu’une saine gestion des risques ESG permet de limiter les risques financiers.
Plus encore, l’hypothèse selon laquelle une bonne gestion extra-financière serait un facteur de performance qui supplante progressivement la vision de l’intégration ESG comme un outil de gestion des risques qui permettrait « d’éviter le pire ».
C’est d’ailleurs cette conviction qui a poussé EthiFinance à créer Gaïa Rating il y a dix ans, une agence de notation extra-financière disposant d’une méthodologie adaptée aux spécificités des PME-ETI, jusque-là ignorées par les analystes ESG. L’agence dispose aujourd’hui d’une base de données ESG sur plus de 500 Small & Mid Caps et publie chaque année l’indice Gaïa, qui regroupe ses soixante-dix meilleures valeurs et surperforme depuis sa création en 2009 le CAC 40 (de plus de 100 % depuis 2015 !) et le CAC Mid & Small.
Vers une gestion unifiée des risques financiers et extra-financiers ?
Cette surperformance invite à dépasser l’approche de gestion de risques en repensant l’IR en termes d’opportunités et d’innovations. En cela, il s’agit de se tourner vers les émetteurs qui anticipent mieux l’avenir et adaptent leurs pratiques, ainsi que leurs produits et services. C’est le sens de la déclaration de performance extra-financière (DPEF), qui entrera en vigueur cette année. Elle impose aux entreprises de publier un reporting mettant en cohérence leur modèle d’affaires, les principaux risques ESG auxquels elles sont exposées, les politiques mises en œuvre pour y répondre et les résultats de ces politiques. Elle permettra ainsi aux investisseurs d’identifier les émetteurs ayant intégré la RSE à leur stratégie globale.
Ces nouvelles tendances questionnent plus largement la séparation des analyses financière et extra-financière. Elles interrogent les pratiques des investisseurs et ouvrent la voie à de nouveaux modèles d’évaluation et de gestion intégrant des risques financiers et ESG. C’est d’ailleurs le chemin pris par EthiFinance dans le cadre de son rapprochement avec Spread Research. En effet, en alliant de fortes compétences en notation crédit et extra-financière, le groupe travaille aujourd’hui à l’élaboration de modèles permettant d’intégrer l’analyse ESG à la gestion des risques liés au crédit. Reposant sur la conviction qu’une saine gestion ESG aide à prévenir les risques financiers, ces modèles sont pionniers en ce qu’ils entendent proposer une gestion unifiée des risques financiers et extra-financiers.
Le développement de la RSE crée ainsi de nouvelles obligations pour les entreprises et les investisseurs. Il est également porteur d’opportunités, notamment en matière de performances financières. Il apparaît dès lors nécessaire, tant du point de vue de la gestion des risques, que de celui de la gestion d’actifs, de travailler à la réconciliation des risques et des performances financières et extra-financières.
RSE : ce que la loi impose aux entreprises
• Déclaration de performance extra-financière (DPEF) : remplace l’article 225 de la loi Grenelle II pour les exercices ouverts au 1er septembre 2017. Elle consacre l’obligation de publier un reporting extra-financier sur quatre thèmes – environnement, social, droit de l’homme et lutte contre la corruption – pour les entités de plus de 500 salariés cotées (à partir de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires ou 20 millions d’euros de total bilan) et non cotées (à partir de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires ou de total bilan). Leur déclaration devra contenir : une présentation de leur modèle d’affaires, une analyse de leurs principaux risques RSE, une description des politiques et diligences associées et les résultats de ces politiques. La DPEF fait ainsi passer la logique du reporting extra-financier de l’exhaustivité à la pertinence et établit une obligation de vérification par un OTI.
• Loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères : oblige depuis cette année les sociétés françaises de plus de 5 000 salariés en France et les sociétés étrangères de plus de 10 000 salariés en France à établir et publier un plan de vigilance pour prévenir les risques en matière d’environnement, de droits humains et de corruption sur leurs propres activités mais aussi celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs, en France et à l’étranger.
• Loi Sapin II : concerne les entreprises de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros et établit, depuis 2017, huit obligations pour les entreprises en matière de lutte contre la corruption : adoption d’un code de conduite (1) et d’un dispositif d’alerte interne (2), réalisation d’une cartographie des risques (3), définition de procédures de contrôle comptable (4) et d’évaluation (5) à l’égard des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires, déploiement d’un dispositif de formation des collaborateurs (6), d’un régime disciplinaire (7) et d’un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre (8).
Ce que la loi impose aux investisseurs
• Article 173 de la loi TEE (Transition écologique et énergétique) : instaure, depuis 2016, des obligations d’information pour les investisseurs institutionnels sur leur gestion des risques liés au climat, et plus largement l’intégration de paramètres environnementaux et sociaux dans leur politique d’investissement. Le décret d’application de l’alinéa 6 de l’article 173 prévoit des obligations de reporting différentes selon la taille des institutions financières. Ces obligations de reporting consistent tout d’abord à présenter la démarche générale de prise en compte des enjeux ESG dans la politique d’investissement. Ainsi les gestionnaires de fonds doivent indiquer dans leur rapport annuel la liste des fonds prenant en compte ces critères et la part de ces fonds dans leurs encours totaux. Les investisseurs sont également soumis à une obligation de transparence sur leur gestion des risques climatiques. Enfin, ils doivent apporter des éléments de reporting quant à leur contribution au financement de l’économie verte. Si l’article n’impose pas de méthode de reporting les informations suivantes sont généralement attendues : présentation de la démarche générale en matière d’ESG ; prise en compte des critères ESG dans la politique d’investissement ; informations utilisées pour l’analyse et détail de la méthodologie et des résultats de l’analyse des risques.