Gestion des risques : « La seule analyse du passé ne suffit clairement plus »
Les conséquences exceptionnelles et inattendues de la pandémie ont replacé la question de l’analyse des risques au cœur des préoccupations des assurances qui doivent aujourd’hui repenser leur modèle pour mieux appréhender des risques divers, plus fréquents et aux conséquences plus importantes. François Fournié, directeur général France MSIG, nous en dit plus.
Quelques mots pour nous présenter MSIG AG.
MSIG AG est un assureur de risques industriels et de sociétés de service. Nous assurons essentiellement des grandes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire. Au-delà de la souscription, nous mettons à leur disposition différents services :
- La prévention avec une dimension d’analyse des risques et de leur optimisation au bénéfice de nos clients ;
- La gestion des sinistres et de crise dans certains cas.
- Nous délivrons des contrats qui couvrent soit les biens de nos assurés en cours de construction ou d’exploitation, ainsi que les conséquences financières d’un dommage, soit les responsabilités de nos assurés : responsabilité civile générale ou professionnelle, responsabilité des dirigeants, responsabilité environnementale. Nous offrons aussi une couverture d’assurance pour les expositions de nos assurés aux risques « cyber ».
Nous sommes le partenaire de 80 % des entreprises du CAC 40 et avons un volume de primes encaissées qui s’élève à 200 millions d’euros en France. Nous sommes la succursale de MSIG Insurance Europe AG, dont le volume d’encaissement en Europe (hors Royaume-Uni) est d’environ 450 millions d’euros.
Pandémie, réchauffement climatique, RSE ou encore risque cyber poussent les assureurs à revoir et repenser leur modèle. Qu’avez-vous pu observer ?
Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas de risques nouveaux. La pandémie, les événements naturels qui peuvent être la conséquence du réchauffement climatique, sont des risques connus, tout comme les risques découlant de la RSE et des expositions des systèmes d’information, que nous appréhendons depuis déjà une bonne décennie. C’est leur intensité et leur fréquence qui ont changé. La pandémie est venue nous confirmer que le marché de l’assurance n’estime plus ces expositions à leur juste valeur.
Prenons l’exemple des pertes d’exploitation, dont nous avons beaucoup entendu parler, depuis le début de la crise sanitaire. Si le risque lié à la pandémie était connu, ses conséquences financières étaient mal évaluées. Sa probabilité de survenance était sous-estimée, tout comme ses conséquences sur l’activité dans le cadre de confinements, fermetures totales… Et comme la pertinence d’un contrat ne peut réellement être mesurée et vérifiée que dans le cadre d’un sinistre, nous avons également pu nous rendre compte que les contrats n’étaient pas bien rédigés.
En parallèle, la crise a mis en évidence un problème de communication. Les assurés doivent pouvoir mieux cerner et comprendre les risques auxquels ils sont exposés et la probabilité de leur survenance.
Plus particulièrement, sur des risques comme ceux liés à la RSE, les assureurs sont aussi exposés. Qu’en est-il ?
En effet ! C’est un risque qui se développe fortement et qui n’impacte pas seulement nos clients mais nous aussi. Le risque RSE impacte les entreprises sur le plan de la responsabilité civile générale, mais aussi sur le plan de la responsabilité des dirigeants en fonction des mises en cause possibles. C’est aussi une exposition qui est soumise à une règlementation très contraignante et qui se durcit de plus en plus.
Les assureurs ont également une responsabilité dans ce domaine. La couverture des centrales énergétiques utilisant les énergies fossiles est devenue un véritable enjeu. Les compagnies d’assurance en ne délivrant plus de garanties sur ces centrales contribueront à l’abandon progressif de celles-ci. Ce sont des sujets qu’il est essentiel d’appréhender alors que la transition énergétique et écologique est un enjeu stratégique pour les entreprises.
Qu’est-ce que cela implique pour les assureurs ?
L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des risques connus, combinée à l’apparition de risques nouveaux imposent au marché de l’assurance une gestion optimisée des risques, une remise en question continue et une mise à jour régulière de leur appréhension. Dans le cadre de leur activité, les assureurs ont bâti des politiques tarifaires basée la plupart du temps sur l’analyse de la fréquence des événements passés. L’enjeu est, aujourd’hui, d’avoir une estimation tenant compte de l’évolution future des risques afin de les tarifer correctement.
Le modèle de raisonnement traditionnel de l’assurance a du bon : analyser le passé pour mesurer la probabilité de survenance de sinistres dans un avenir proche. Néanmoins dans une période de profondes mutations, avec une accumulation de la valeur dans des zones exposées, une augmentation de la fréquence des événements et des conséquences assurables plus importantes, la seule analyse du passé ne suffit clairement plus.
Les raisons sont simples : si le risque augmente de manière continue, le passé ne peut en aucun cas être pris comme une référence pour estimer la potentielle survenance des sinistres et leur quantification. En outre, sur un plan financier, quand nous assurons une entreprise, nous connaissons le montant de la prime, mais nous n’avons pas de visibilité claire et précise sur le montant du remboursement en cas de sinistre, même si nous procédons à des analyses pour déterminer le sinistre maximal possible, sa récurrence potentielle… Ces estimations qui se basent sur une fréquence, des conséquences et une intensité identiques à celles du passé, sont obsolètes dans un contexte marquée par une incertitude grandissante.
Si l’analyse du passé ne suffit plus pour quantifier et évaluer les risques, quelles sont les alternatives qui s’offrent aux assureurs ?
Nous sommes face à la nécessité de repenser notre raisonnement et notre méthodologie pour appréhender les risques, en intégrant notamment ces nouveaux facteurs déterminants que sont l’augmentation de la fréquence et de l’intensité.
Aujourd’hui, l’ensemble des acteurs du marché y travaillent, mais nous ne sommes pas encore totalement au point. Nous capitalisons d’ores et déjà sur les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle et ses algorithmes pour faire des projections qui intègrent ces facteurs. Nous devons encore fournir des efforts considérables pour progresser en matière d’analyse prédictive. Nous devons également faire évoluer nos algorithmes pour pouvoir faire des simulations de ce type.
Nous en sommes encore aux prémices de cette transformation majeure de notre secteur qui impactera également la relation avec nos assurés. Nous devrons, en effet, nous inscrire dans une démarche d’échanges avec ces derniers pour leur permettre de mieux comprendre les analyses et les projections que nous réalisons afin de déterminer leurs primes. Au-delà de notre façon de travailler, c’est aussi notre relation avec nos assurés qui a vocation à évoluer.
Selon vous quels sont les principaux enjeux auxquels le secteur est confronté sur le moyen terme ?
Le premier enjeu, à mon sens, est celui du capital humain. Pour appréhender au mieux ces enjeux et ces évolutions toujours plus rapides et fréquentes, le secteur doit pouvoir s’appuyer sur des actuaires et des souscripteurs aux compétences avérées. Face à la multiplication des risques, il est aussi important d’avoir des équipes spécialisées par typologie de risque afin de mieux comprendre les métiers de nos assurés et leurs évolutions.
Cette connaissance fine des risques et des assurés est plus que jamais fondamentale, car une quantification et une tarification erronées des risques peuvent mettre en danger la pérennité même d’une assurance, si elle ne dispose pas des réserves financières adéquates. Il y a donc également un enjeu fort de montée en compétences à tous les plans (juridique, analyse des risques, prédiction, tarification…) et d’optimisation des processus pour aborder avec toujours plus de pertinence la gestion des risques des entreprises et le développement de nouveaux risques. Si nous ne le faisons pas, les acteurs des nouvelles technologies, eux, le feront.