Gestion du risque et spatial : des usages aujourd’hui, de nouvelles perspectives pour demain
Hélène de Boissezon, expert en observation de la terre, et Sandrine Lafont, expert en télécommunications par satellite au CNES (Centre national d’études spatiales), font pour nous l’état des lieux des solutions satellitaires qui permettent notamment de mieux gérer les risques auxquels nous sommes exposés. Entretien.
L’observation de la Terre permet aujourd’hui de couvrir l’intégralité du cycle de risque. Qu’en est-il ?
Hélène de Boissezon : Le premier système de gestion des situations de crise a été mis en place il y a plus de 20 ans. Il s’agit de la Charte internationale Espace et catastrophes majeures, un dispositif créé par le CNES et l’Agence Spatiale Européenne, qui ont très vite été rejoints par l’Agence Spatiale Canadienne. L’idée de départ a été de mettre à disposition gratuitement et dans des délais les plus rapides possibles les moyens d’observation de la Terre de ces trois entités, dans des situations de crises et de catastrophes naturelles majeures uniquement. Les guerres civiles et les conflits armés étant bien évidemment exclus. Aujourd’hui, ce dispositif compte 18 membres, soit la grande majorité des agences spatiales mondiales en observation de la terre. Gratuitement et sur la base du « best effort », ils fournissent des images satellites traduites en cartographies rapides (quelques heures après réception de l’image) des zones touchées par des catastrophes ou des crises de grande ampleur afin d’avoir rapidement un état des lieux à partir duquel les secours et les autorités pourront organiser et gérer les situations de crise.
Depuis 2012, nous disposons aussi du service européen Copernicus Emergency Management Service (CEMS) qui vient compléter la Charte, avec un périmètre d’action plus important, grâce à un budget européen conséquent et des contrats avec des industriels. CEMS active et programme en urgence les satellites de manière coordonnée et mutualisée avec le dispositif pionnier en cas de besoin, et propose un portfolio de produits cartographiques standardisés. Ce programme européen vient industrialiser le recours aux images et données spatiales dans le cadre d’une catastrophe ou d’une crise majeure en introduisant des standards de service élevés aux industriels en termes de qualité, de délais, contenu en information…
Ces deux dispositifs sont exclusivement utilisés par un utilisateur unique par pays. En France, ce point focal est le Centre opérationnel de gestion interministérielle de crise (COGIC) qui relève du ministère de l’Intérieur. Dans le cas de CEMS, les activations sont validées par l’Emergency Response Crises Center au niveau européen.
Dans la gestion du risque de manière globale, d’autres services CEMS peuvent aussi être utilisés :
- Le « Risk and Recovery Mapping » : les images issues de l’observation de la Terre dans les semaines, voire les mois, qui suivent une crise sont une source d’informations pertinentes pour la reconstruction plus résiliente d’un territoire sinistré afin de réduire les risques et diminuer le niveau de vulnérabilité ;
- Les « Early Warning Services » : des services d’alerte et de surveillance continue pour anticiper les risques d’incendie des forêts, d’inondations, de sécheresse… Quand l’occurrence d’un risque se précise, une alerte est émise au niveau européen et/ou mondiale.
Grâce à Copernicus, l’Europe dispose d’outils et de services qui couvrent l’ensemble du cycle du risque, de la prévention à la gestion opérationnelle des catastrophes. Des efforts sont toutefois encore nécessaires pour leur faire gagner en visibilité et pour que les acteurs territoriaux s’en saisissent pleinement.
Comment cela se décline-t-il au niveau des télécommunications ?
Sandrine Lafont : Parce qu’elles ne dépendent pas d’infrastructures au sol, le principal avantage des télécommunications spatiales est leur accessibilité rapide et en tout lieu. En zone de risque ou sinistrée, même si les moyens terrestres sont coupés, détruits ou ne sont plus opérationnels, ou sont tout simplement saturés, elles permettent aux équipes de secours sur le terrain de communiquer entre elles et avec leurs centres de commandement.
En France, trois quarts des services départementaux d’incendie et de secours sont équipés d’un moyen satellitaire. Si les équipes de secours utilisaient jusque-là essentiellement la voix, le développement des nouvelles technologies leur permet d’accéder à des systèmes plus complets et des applications métiers, avec envoi de photos, de vidéos et d’autres informations et données du terrain vers le centre de commandement. Les solutions satellitaires permettent et accompagnent cette évolution des usages.
La localisation est un autre apport majeur du spatial. Elle permet de donner la position des hommes et des moyens. Elle s’appuie notamment sur la constellation européenne Galileo, qui atteint aujourd’hui sa pleine maturité.
Il ne faut plus parler de « GPS » mais de GNSS ou Global Navigation Satellite System, qui englobe Galileo et les autres systèmes satellites mondiaux. Dans un téléphone ou un objet connecté, le récepteur GNSS combine tous les signaux. Pour un usager critique, le signal sécurisé Galileo permet de garantir l’autonomie stratégique de l’Europe pour cette fonction de localisation.
Dans cette continuité, qu’est-ce-que GovSatCom ?
S.L : Actuellement, chaque pays européen se base sur des moyens de télécommunications satellitaires commerciaux, et sur des satellites gouvernementaux quand il en dispose. GovSatCom est une première étape européenne, afin d’avoir un moyen communautaire de communication à destination de l’ensemble des acteurs gouvernementaux étatiques et européens, et des organismes privés d’importance vitale (énergie, eau…), par partage des moyens satellitaires commerciaux et nationaux existants. Cette volonté politique européenne est notamment portée par le commissaire Thierry Breton, avec pour objectif de mettre en place dans une deuxième étape une constellation européenne souveraine de satellites pour couvrir les besoins avancés de communication gouvernementale dans des situations de crise ou de catastrophes majeures, et pour la gestion de la sécurité de l’Europe comme la surveillance de la sécurité aux frontières ou la communication avec les ambassades.
Sur la question du climat et la gestion du risque climatique, comment évolue le rôle du spatial ?
H. B. : Toutes les modélisations et prévisions météorologiques s’appuient en grande partie sur des observations satellitaires. Depuis déjà plusieurs décennies, le satellitaire permet d’anticiper les risques climatiques avec des Variables Climatiques Essentielles (ECV) mesurées à 60 % à partir d’images satellitaires qui permettent non seulement d’anticiper les risques, mais aussi de faire des projections climatologiques sur le long terme. Ces dernières sont utiles aussi bien dans une démarche d’adaptation au changement climatique que d’atténuation des effets de ce changement à un niveau local.
Pour affiner notre connaissance de l’impact du changement climatique, nous capitalisons sur les images fournies par les satellites Sentinels (S1, S2 surtout) de Copernicus et Pléiades. Ces images permettent de mieux appréhender et comprendre les vulnérabilités des territoires, notamment lors d’événements extrêmes (inondation, feux de forêt…). L’analyse des impacts permet de définir avec plus de pertinence les mesures nécessaires pour atténuer ces vulnérabilités, réduire le risque et s’adapter avec plus d’efficacité aux phénomènes climatiques qui vont s’amplifier dans les décennies à venir.
S’il existe déjà des systèmes opérationnels pour la gestion de l’urgence, des efforts doivent encore être fournis pour les services climatiques au niveau local. Dans ce cadre, le CNES est à l’initiative de la création du Space for Climate Observatory (SCO) en 2018 qui regroupe une trentaine d’agences spatiales et organisations onusiennes et dont la vocation est d’apporter des solutions à la problématique de l’adaptation au changement climatique.
L’idée du SCO est de mettre en place des démonstrateurs de services climatiques destinés aux décideurs sur les territoires et qui intègrent l’observation de la Terre. Le SCO travaille ainsi sur une palette d’outils d’aide à la décision sur des sujets divers comme la gestion du trait de côte, l’impact des inondations extrêmes, la biodiversité, les sécheresses…
Le point commun de ces outils est l’utilisation des images satellites pour apporter aux décideurs une visibilité et une connaissance plus fine du risque climatique sur leur territoire, de son impact et de son évolution afin qu’ils puissent optimiser leur prise de décision.
Toutefois si le spatial est une composante importante de la lutte contre le changement climatique, pour un meilleur impact, les informations qu’il apporte doivent être recoupées avec celles qui viennent du terrain, mais aussi avec des expertises et des analyses complémentaires (économiques, sociologiques…).
En bref
Envie d’en savoir plus ? Le CNES est à la disposition de tous les professionnels français pour les conseiller sur les usages satellitaires, au service du développement de leurs missions et activités. Connectbycnes.fr