Giacomo Puccini : Manon Lescaut
Le roman, rédigé sous forme de mémoires, de l’abbé Prévost (1731) est à l’origine de trois opéras, tous à connaître. L’opéra d’Auber est le moins connu. Sa redécouverte au Théâtre impérial de Compiègne en 1990, avec les jeunes Annick Massis et Élisabeth Vidal, a montré pourtant la grande qualité de cette œuvre et de ce compositeur. La mise en musique la plus célèbre est celle de Jules Massenet (1884), l’opéra le plus célèbre du compositeur avec Werther. Mais mon préféré est, de loin, l’opéra de Puccini.
C’est le premier opéra de Puccini (1893) qui ait été un succès et qui soit encore joué régulièrement. Après Manon Lescaut allaient suivre les succès que sont les formidables La Bohème (1896), Tosca, Madame Butterfly. Avant Manon Lescaut, Puccini avait déjà composé plusieurs opéras, dont Edgar, très rarement joué, et surtout Le Willis, presque jamais représenté ni enregistré, alors que tout Puccini y est en germe. Je conseille d’écouter une fois Le Willis dans l’enregistrement définitif, réalisé par Lorin Maazel, Plácido Domingo et Renata Scotto (1979, Sony), expérience très satisfaisante pour découvrir le jeune Puccini et la genèse du style qui le rendra célèbre. Mais, si le public ignore totalement Le Willis et Edgar, il connaît mal également Manon Lescaut, de même que les derniers opéras achevés de Puccini, Le triptyque, La rondine et La fille du Far-West.
Musicalement, les quatre actes du Manon Lescaut de Puccini sont de plus en plus beaux, représentant tout d’abord la rencontre de Manon à la fois avec le bel étudiant Des Grieux et le riche Géronte, puis le choix fait par Manon de la vie de bohème plutôt que du confort d’une belle entretenue, puis le départ de Manon en exil aux États-Unis, et enfin sa mort dans les bras de Des Grieux dans l’Ouest américain (épisode manquant chez Massenet). Le quatrième acte a d’ailleurs la particularité de ne montrer que les deux personnages principaux durant tout l’acte.
Ce DVD est l’occasion idéale pour découvrir ou approfondir Manon Lescaut. La production londonienne de Covent Garden en 2014 est parfaite, musicalement et scéniquement. Le chef anglo-italien Antonio Pappano dirige l’ensemble, sans baguette, avec une grande finesse mais aussi une grande énergie et forte détermination et avec une superbe distribution. Jonas Kaufmann tout d’abord, à juste titre le plus célèbre ténor actuel, nous enchante de sa voix chaude et de son style parfaitement adapté à la musique vériste. Le ténor allemand chantant en italien le rôle d’un étudiant parisien (lisant Camus) est parfaitement crédible. Sa partenaire Kristine Opolaïs a atteint désormais une reconnaissance internationale parfaitement justifiée, avec les qualités qu’elle montre dans cette production en Manon, capable de faire ressentir la souffrance et les sentiments douloureux, comme la joie de vivre et le désir. Les deux barytons jouant les rôles mauvais de l’affreux frère Lescaut et du barbon libidineux Géronte sont absolument au niveau d’une bonne représentation de Covent Garden.
La scénographie, on l’a dit, est très réussie. Définitivement transcrit à l’époque moderne, les jeunes étudiants ressemblent aux adolescents d’American Pie ou autres films d’ado hollywoodiens. Le décor tournant représente tour à tour un immeuble design, une salle de jeu, l’appartement moderne classe et en même temps de très mauvais goût de Manon devenue cocotte qui passe trois actes très court vêtue, un plateau de jeu télévisé où un présentateur gominé fait son choix pour le départ aux Amériques, et le désert américain et toute sa sécheresse. L’allumeur de réverbères du troisième acte devient un éclairagiste du théâtre moderne de Covent Garden, et ainsi de suite.
Un dernier mot au sujet du célèbre, et superbement joué, intermezzo, placé entre les second et troisième actes, il reprend pourtant les thèmes du quatrième acte, montrant que la souffrance et la mort du dernier acte sont déjà toutes entières dans la situation de fin du second acte. La musique de cet intermezzo (et donc de la mort de Manon au quatrième acte) est issue d’une très belle œuvre antérieure de Puccini, le Quatuor Crisantemi (Les Chrysanthèmes, 1890), morceau particulièrement poignant.