Don Carlo de Giuseppe Verdi

Giuseppe Verdi : Don Carlo

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°803 Mars 2025
Par Marc DARMON (83)

Magni­fique docu­ment que ce Don Car­lo fil­mé en direct à Salz­bourg en 1986, où Kara­jan dirige cet opé­ra toutes les décen­nies depuis les années 50.

Comme on le sait, pour sim­pli­fier, les opé­ras de Ver­di se classent en trois caté­go­ries. Tout d’abord les opé­ras extrê­me­ment connus, à juste titre, ceux qu’on appelle la tri­lo­gie popu­laire (La Tra­via­ta, Rigo­let­to, Le Trou­vère) aux­quels on ajoute géné­ra­le­ment Aida. Ces quatre opé­ras sont par­mi les opé­ras les plus repré­sen­tés au monde (avec Car­men, La Flûte enchan­tée, Tos­ca, La Bohème…). La seconde caté­go­rie sont les opé­ras mécon­nus anté­rieurs, période qu’il appe­lait ses années de galère. Puis les opé­ras de la matu­ri­té, pos­té­rieurs à la tri­lo­gie popu­laire (1851−1853), tous remar­quables et tous insuf­fi­sam­ment connus. Dont Simon Boc­ca­ne­gra, La Force du des­tin, Un Bal mas­qué, tous des chefs‑d’œuvre, mais bien moins connus que les quatre pre­miers cités. Don Car­los fait par­tie de cette catégorie.

Don Car­los est créé en fran­çais en 1866, cinq ans avant la ver­sion ita­lienne, Ver­di sup­pri­mant dans la ver­sion ita­lienne le pre­mier acte qui se passe en France. Don Car­los devient Don Car­lo, que Kara­jan dirige ce soir-là. C’est donc la ver­sion en 4 actes, meilleure dra­ma­ti­que­ment, qui nous jette dès le début au cœur de l’intrigue, mais qui nous prive du coup de foudre entre l’infant et la prin­cesse de France et du coup de ton­nerre dans la forêt de Fon­tai­ne­bleau (la paix du Cateau-Cam­bré­sis, 1559, fait que le roi Phi­lippe II d’Espagne épou­se­ra fina­le­ment lui-même la fille d’Henri II et de Cathe­rine de Médi­cis, et donc la sœur des trois der­niers rois valois de France, pro­mise pour­tant à l’infant Carlos).

Le livret est ins­pi­ré de Schil­ler, comme pour les opé­ras des années de galère Jeanne d’Arc, I mas­na­die­ri et Lui­sa Mil­ler. Le drame de Schil­ler reprend des faits réels de la cour de Phi­lippe II d’Espagne. C’est une vraie pièce de l’âge des lumières (1787), où par exemple le per­son­nage du mar­quis de Posa, comme le Figa­ro qua­si contem­po­rain de Beau­mar­chais, est repré­sen­ta­tif du cou­rant huma­niste pré­sent chez beau­coup d’intellectuels de l’époque. Le mar­quis de Posa, ami de l’infant Car­los, prend clai­re­ment des risques vis-à-vis de l’aristocratie et du cler­gé (ici, le Grand Inqui­si­teur d’Espagne demande sa tête).

Sous la direc­tion de Kara­jan, l’Orchestre phil­har­mo­nique de Ber­lin est la pre­mière star de cette pro­duc­tion. Ils sont magni­fiques dans les quatre pré­ludes, les cuivres par exemple pour l’ouverture et le pré­lude du der­nier acte, les cordes pour le pré­lude du troi­sième acte.

Et quelle pré­sence de tous ces artistes ! ils crèvent l’écran, par le timbre, la pro­jec­tion. Le ténor José Car­re­ras à la voix de soleil illu­mine le rôle de l’infant mau­dit et malade. Mais, dans cette Espagne si ter­rible du XVIe siècle, où se joue un drame poli­ti­co-reli­gieux, c’est Fer­ruc­cio Fur­la­net­to (le roi Phi­lippe II) qui appa­raît comme le plus impres­sion­nant, aus­si bien sur le plan vocal que sur le plan dra­ma­tique. Il incarne un sou­ve­rain sinistre et tyran­nique dans son grand air pour basse du début de l’acte III : Ella giam­mai m’amo… Sans par­ler de son affron­te­ment assez ter­ri­fiant avec le Grand Inqui­si­teur (Mat­ti Sal­mi­nen, grande basse wag­né­rienne et ver­dienne, lui aus­si remarquable).

Les autres grands rôles sont for­mi­dables éga­le­ment, Pie­ro ‑Cap­puc­cil­li, grand bary­ton ver­dien très pré­sent à l’opéra de Paris à l’époque, la mez­zo grecque Agnes Balt­sa, tous excel­lents. Un mot spé­cial pour la sopra­no Fiam­ma Izzo, une des der­nières décou­vertes de Kara­jan à la fin de sa vie, et superbe dans ce film, mais qui déci­da de quit­ter la vie musi­cale vers ses trente ans pour se consa­crer au cinéma.

La pro­duc­tion, réa­li­sée avec le sou­tien de notre regret­té ami Michel Glotz, et l’enregistrement fil­mé qui nous est ‑par­ve­nu sont sai­sis­sants dès le début (au tom­beau de Charles Quint, empe­reur visi­ble­ment pour­tant encore vivant). L’image en 43 fait natu­rel­le­ment son âge, mais quelle musique ! Cette prise en direct est bien plus vivante que beau­coup d’opéras fil­més avec Kara­jan à l’époque, qui étaient sou­vent en play-back et donc très sta­tiques mal­gré leur beau­té (conseillons tou­te­fois mal­gré cela Madame But­ter­fly, Otel­lo…).


José Car­re­ras, Pie­ro Cap­puc­cil­li, Fiam­ma Izzo, Fer­ruc­cio Furlanetto
Orchestre Phil­har­mo­nique de Ber­lin, direc­tion Her­bert von Karajan

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