Giuseppe VERDI : I Due Foscari
Cela faisait longtemps que Placido Domingo n’avait pas interprété un personnage en étant trop jeune pour le rôle.
Après avoir été l’un des ténors les plus importants (probablement le plus important, avec Luciano Pavarotti) des trente dernières années du XXe siècle, Domingo a entamé une seconde carrière, doublant désormais son immense répertoire de ténor (150 rôles) des grands rôles de baryton.
Lui qui a été un des plus grands Otello, Mario, José, et tant d’autres, à 77 ans, il interprète désormais, depuis 2009, Simon Boccanegra, Nabucco, Gianni Schicchi, Germont, Macbeth, et ici le doge Francesco Foscari à la fin de son règne et de sa vie (89 ans).
On sait que des vingt-six opéras de Verdi, on considère généralement trois catégories. D’abord trois opéras extrêmement connus, à juste titre, ceux qu’on appelle la trilogie populaire (La Traviata, Rigoletto, Le Trouvère, 1851–1853). Ces trois opéras sont parmi les opéras les plus représentés au monde (avec Carmen, La Flûte enchantée, Tosca, La Bohème…).
La seconde catégorie sont les opéras de la maturité, postérieurs à la trilogie populaire, tous remarquables et souvent insuffisamment connus, comme Simon Boccanegra, Don Carlos, La Force du destin, Un Bal masqué, des chefs‑d’œuvre.
La troisième catégorie sont les opéras de jeunesse (1839−1850), ceux de la période que Verdi appelait ses « années de galère », tous rarement joués et très rarement enregistrés à deux exceptions notables, Nabucco et Macbeth.
Très peu connu, quasiment jamais représenté, I Due Foscari est pourtant du niveau de Nabucco et Macbeth. Tout Verdi est là, des airs magnifiques avec des accompagnements instrumentaux efficaces ou des orchestrations diaphanes inventives et imagées (solo de harpe, de violoncelle…), des effets dramatiques phénoménaux incessants à l’orchestre, et un chœur d’introduction qui me hante depuis plus de quarante ans, lorsque j’avais enregistré à la radio une rare représentation.
Verdi y expérimente même une technique qu’il ne réutilisera pas vraiment, la projection d’un thème par personnage, véritable leitmotiv mais sans transformation, les thèmes attachés aux deux Foscari, le père et le fils, étant absolument merveilleux et font jaillir les larmes chaque fois qu’on les entend.
Le drame, d’après Byron, est simple et terrible : le doge de Venise Francesco Foscari, qui a déjà perdu ses trois autres fils, est obligé de condamner à l’exil et la mort son dernier fils Jacopo pour un crime dont il le croit innocent (il l’est effectivement).
Sous l’influence du puissant Conseil des Dix, il est sourd aux suppliques de son fils et de sa belle-fille, et prononce le verdict qui le condamne lui-même à une douleur mortelle. « Toi qui as, les yeux secs, condamné ton fils » lui reproche l’épouse de ce dernier.
La réalisation est parfaite. Cette soirée à Covent Garden a dû sa popularité à la présence de Domingo, mais le ténor Francesco Meli et la soprano Maria Agresta ne déméritent absolument pas.
Et le génie de la soirée est le chef Antonio Pappano, qui tire de son orchestre, superbement enregistré, un son riche, chaud, dynamique, vivant, l’orchestre d’opéra idéal.
Après ténor, puis baryton, Domingo entame cette année en parallèle une troisième carrière, de chef d’orchestre, avec Tosca en février à Londres, et Roméo et Juliette en mai au Met.
Exceptionnel !
Une petite minute de I due Foscari - Plácido Domingo at Teatro alla Scala
Et même l’intégrale en 3 heures 30