Glenn Gould : Programmes TV 1954–1977
Ce copieux coffret de 10 DVD est un exceptionnel moyen de mieux comprendre la personnalité complexe qu’a été Glenn Gould. Ces émissions, principalement pour la télévision canadienne, mélangent interviews (sans sous-titres malheureusement, et partiellement en noir et blanc naturellement) et interprétations de nombreuses pièces. Glenn Gould nous a quittés en 1982, après seulement 25 ans de carrière internationale, et seulement moins de dix ans sur la scène, car il s’est consacré aux enregistrements dès 1964.
Dans ses interviews très intellectuelles, Glenn Gould nous éclaire de ses vues musicologiques sur une période musicale qui s’étend des virginalistes élisabéthains (Byrd, Gibbons, autour de 1600) aux compositeurs du vingtième siècle (Berg, Schoenberg, Webern, Sibelius, Hindemith, Prokofiev). Ses interviews sont toujours passionnantes, même si elles sont truffées de provocations, du type « la musique la plus merveilleuse qu’on puisse jouer au piano est celle du XVIe siècle et fut écrite pour le virginal » ou « Orlando Gibbons se trouve être mon compositeur préféré ».
On trouve aussi de façon très cocasse de courtes publicités télévisuelles où Glenn Gould fait de la réclame pour une émission de radio, où il se déguise (par exemple en Marlon Brando jeune, sur la musique du Parrain) ou joue Bach sur synthétiseur. Et des exposés musicologiques formidables, je cite notamment celui où il explique la construction d’une fugue en partant d’un thème trivial de La Mélodie du bonheur.
Bien entendu la part belle est laissée à Bach, en soliste ou en concerto (avec une liberté incroyable dans les mouvements lents de concerto). Mais on trouve aussi dans ce coffret des merveilles bien connues au disque que les connaisseurs se félicitent de retrouver en vidéo. Et même certains compositeurs absents de sa discographie (Webern, Chostakovitch).
Commençons notre commentaire par la Fantaisie pour violon et piano de Schoenberg, jouée avec Yehudi Menuhin. Elle est précédée par une conversation entre les deux artistes, où Menuhin explique qu’il ne comprend pas cette musique, qu’il l’interprète uniquement ce jour pour pouvoir jouer avec Glenn Gould qu’il admire. Et Gould explique à Menuhin comment apprécier cette musique, il est vrai difficile d’accès car il s’agit du Schoenberg le plus radical. Mais quelle leçon de musique de chambre, d’attention d’un musicien à l’autre, d’écoute réciproque ! Et c’est bien entendu la seule version de la Fantaisie de Schoenberg en vidéo. Plus accessible est l’interprétation de la Sonate pour Violon et piano n° 10 de Beethoven par les mêmes artistes, Menuhin lumineux et Gould provocant.
Notons également les extraits d’opéra (Elektra !), Gould étant capable de jouer au piano des opéras de Strauss ou de Wagner qu’il transcrit lui-même de mémoire, littéralement possédé. Strauss toujours, où il accompagne merveilleuse-ment un des quatre derniers Lieder et les Ophelia-Lieder.
Et citons aussi de nombreuses œuvres absentes de sa discographie (Burlesque et la Sonate pour violon et piano de Strauss, Sonate pour violoncelle et piano de Beethoven jouée avec énormément de facétie, Variations pour piano de Webern, Fantaisie de Debussy), toujours dans des interprétations très intéressantes.
Bien entendu tout chez Gould n’est pas culte, et on a le droit d’adorer certaines interprétations et d’en détester d’autres. J’avoue ne pas apprécier (et même haïr, du fait de la provocation permanente qu’il y intègre) ses Beethoven et ses Mozart, et pourtant adorer ses Haydn, une partie de ses Bach (Variations Goldberg bien sûr, mais aussi les Toccatas, Suites…), son disque de musique élisabéthaine, ses Brahms, ses Bizet, Strauss et Sibelius qu’il fut pendant un temps le seul à jouer.
Un passionnant coffret.
10 DVD Sony