God bless America !

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°542 Février 1999Rédacteur : Jean SALMONA (56)

“ Lorsque j’entends les mots culture amé­ri­caine, je sors mon ham­bur­ger ” diraient volon­tiers cer­tains esprits cha­grins (en para­phra­sant la for­mule ignoble du nazi Rosen­berg). Et il est vrai que la culture made in USA n’a pas une bonne image en Europe, et tout spé­cia­le­ment en France, où l’on pense Dal­las et Euro­dis­ney en rêvant quo­tas ciné­ma­to­gra­phiques et autres mesures pro­tec­tion­nistes. En véri­té, il suf­fit de voir une expo­si­tion au Gug­gen­heim ou d’entendre un concert au Lin­coln Cen­ter pour se rendre compte que le dyna­misme de l’action cultu­relle, l’accès popu­laire, la créa­ti­vi­té ne sont pas de ce seul côté de l’Atlantique. Ceci est loin d’être nouveau.

Stravinski dirige Stravinski

Dans les années 50, Stra­vins­ki enre­gistre pour Colum­bia, avec l’Orchestre de Cle­ve­land dont George Szell avait déjà fait l’un des grands orchestres inter­na­tio­naux, quelques-unes de ses œuvres majeures. On reprend aujourd’hui en CD Le Bai­ser de la fée, Pul­ci­nel­la, la Sym­pho­nie en ut, L’Histoire du sol­dat, et l’Octuor pour ins­tru­ments à vent1. Ce qui fait le prix de ces enre­gis­tre­ments, plus encore que la garan­tie d’authenticité que confère tou­jours la direc­tion par le com­po­si­teur, notam­ment dans les tem­pos, c’est que Le Bai­ser de la fée est don­né en ver­sion inté­grale (42 mn), tout comme Pul­ci­nel­la (35 mn) ; vous serez sur­pris de décou­vrir des élé­ments jamais enten­dus aupa­ra­vant, comme par exemple, dans Pul­ci­nel­la, une sopra­no et un ténor. L’His­toire du sol­dat est jouée en Suite, sans réci­tant, donc concen­trée et plus forte. La Sym­pho­nie en ut, moins connue, est un chef‑d’œuvre néo­clas­sique. En prime, un extrait de répé­ti­tion, tout cela vivant, pré­cis, struc­tu­ré, créatif.

Bernstein (suite)

Sous le titre pom­peux “Bern­stein Cen­tu­ry” se pour­suit l’édition des enre­gis­tre­ments de Bern­stein à la tête du New York Phil­har­mo­nic, avec notam­ment la Pre­mière Sym­pho­nie de Mah­ler accom­pa­gnée de l’unique mou­ve­ment de la Dixième2, et, de Bar­tok, le Concer­to pour Orchestre et la Musique pour cordes, per­cus­sion et céles­ta3. Tout d’abord, le New York Phil­har­mo­nic est l’un des meilleurs du monde, aux côtés des Phil­har­mo­niques de Vienne et de Ber­lin et du Lon­don Sym­pho­ny, avec, en par­ti­cu­lier, des bois et des cuivres superbes. Ensuite, Bern­stein, que Svet­la­nov, autre grand mah­le­rien, désigne comme “ le plus grand chef d’orchestre du XXe siècle ”, fait mer­veille dans ces musiques expres­sion­nistes que sont celles de Mah­ler et Bar­tok. Et quel enthou­siasme com­mu­ni­ca­tif – on ne peut entendre le 3e mou­ve­ment de la sym­pho­nie de Mah­ler, par exemple, sans avoir envie de dan­ser – sans qu’à aucun moment la pré­ci­sion fasse défaut ! Quant au Concer­to pour Orchestre, œuvre phare de la musique du siècle, qui néces­site des musi­ciens d’orchestre de niveau soliste, et où Bar­tok, comme tout créa­teur qui sait qu’il va bien­tôt mou­rir, a essayé de tout dire, c’est, sous les mains de Bern­stein, un monu­ment de joie grave, une sorte d’hymne à l’humanité, qu’il faut écou­ter ten­du, si pos­sible par­ti­tion en main, et sans refu­ser de se lais­ser gagner par l’enthousiasme au fur et à mesure du déve­lop­pe­ment, jusqu’à l’explosion de la fugue finale.

Gershwin : standards et découvertes

À la fin de l’année Ger­sh­win, où la dif­fu­sion pho­no­gra­phique en France est res­tée très sage, très conve­nue – trop – un joli petit disque sans pré­ten­tion, mais avec des inter­prètes hors du com­mun, comme Dawn Upshaw, pré­sente quelques chan­sons extraites des comé­dies musi­cales4 : les unes clas­siques, comme Someone to watch over me ou I’ve got a crush on you, les autres incon­nues, comme Lit­tle jazz bird ou Maybe. On ne peut écou­ter cela sans voir Fred Astaire, ou plus près de nous, Man­hat­tan, hymne à New York bâti par Woo­dy Allen autour de la musique de Gershwin.

Ce n’est pas le Ger­sh­win dis­tin­gué – ou tout au moins dit sérieux – du Concer­to en fa, mais la vraie, la bonne, la joyeuse musique de Broad­way, où Ger­sh­win essaye presque de faire oublier qu’il a du génie en dis­si­mu­lant des enchaî­ne­ments har­mo­niques que Ravel n’aurait pas dédai­gnés sous une orches­tra­tion banale, d’ailleurs lais­sée sou­vent à de seconds cou­teaux, et enlu­mi­née années 1990 avec tré­mo­los de flûtes et autres enjo­li­veurs déri­soires. Sur la pochette, une pho­to des frères Ger­sh­win sor­tant d’un avion, George avec un appa­reil pho­to en ban­dou­lière. Les vrais Amé­ri­cains, même génies de la musique ou de la lit­té­ra­ture (n’est-ce pas, Heming­way ?), même pré­si­dents, ne se prennent guère au sérieux.

Oui, vive l’Amérique, Môssieu !

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1. 2 CD SONY MH2K 63325.
2. 1 CD SONY SMK 60 732.
3. 1 CD SONY SMK 60 730.
4. 1 CD NONESUCH 7559 79498 2.

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