God bless America !
“ Lorsque j’entends les mots culture américaine, je sors mon hamburger ” diraient volontiers certains esprits chagrins (en paraphrasant la formule ignoble du nazi Rosenberg). Et il est vrai que la culture made in USA n’a pas une bonne image en Europe, et tout spécialement en France, où l’on pense Dallas et Eurodisney en rêvant quotas cinématographiques et autres mesures protectionnistes. En vérité, il suffit de voir une exposition au Guggenheim ou d’entendre un concert au Lincoln Center pour se rendre compte que le dynamisme de l’action culturelle, l’accès populaire, la créativité ne sont pas de ce seul côté de l’Atlantique. Ceci est loin d’être nouveau.
Stravinski dirige Stravinski
Dans les années 50, Stravinski enregistre pour Columbia, avec l’Orchestre de Cleveland dont George Szell avait déjà fait l’un des grands orchestres internationaux, quelques-unes de ses œuvres majeures. On reprend aujourd’hui en CD Le Baiser de la fée, Pulcinella, la Symphonie en ut, L’Histoire du soldat, et l’Octuor pour instruments à vent1. Ce qui fait le prix de ces enregistrements, plus encore que la garantie d’authenticité que confère toujours la direction par le compositeur, notamment dans les tempos, c’est que Le Baiser de la fée est donné en version intégrale (42 mn), tout comme Pulcinella (35 mn) ; vous serez surpris de découvrir des éléments jamais entendus auparavant, comme par exemple, dans Pulcinella, une soprano et un ténor. L’Histoire du soldat est jouée en Suite, sans récitant, donc concentrée et plus forte. La Symphonie en ut, moins connue, est un chef‑d’œuvre néoclassique. En prime, un extrait de répétition, tout cela vivant, précis, structuré, créatif.
Bernstein (suite)
Sous le titre pompeux “Bernstein Century” se poursuit l’édition des enregistrements de Bernstein à la tête du New York Philharmonic, avec notamment la Première Symphonie de Mahler accompagnée de l’unique mouvement de la Dixième2, et, de Bartok, le Concerto pour Orchestre et la Musique pour cordes, percussion et célesta3. Tout d’abord, le New York Philharmonic est l’un des meilleurs du monde, aux côtés des Philharmoniques de Vienne et de Berlin et du London Symphony, avec, en particulier, des bois et des cuivres superbes. Ensuite, Bernstein, que Svetlanov, autre grand mahlerien, désigne comme “ le plus grand chef d’orchestre du XXe siècle ”, fait merveille dans ces musiques expressionnistes que sont celles de Mahler et Bartok. Et quel enthousiasme communicatif – on ne peut entendre le 3e mouvement de la symphonie de Mahler, par exemple, sans avoir envie de danser – sans qu’à aucun moment la précision fasse défaut ! Quant au Concerto pour Orchestre, œuvre phare de la musique du siècle, qui nécessite des musiciens d’orchestre de niveau soliste, et où Bartok, comme tout créateur qui sait qu’il va bientôt mourir, a essayé de tout dire, c’est, sous les mains de Bernstein, un monument de joie grave, une sorte d’hymne à l’humanité, qu’il faut écouter tendu, si possible partition en main, et sans refuser de se laisser gagner par l’enthousiasme au fur et à mesure du développement, jusqu’à l’explosion de la fugue finale.
Gershwin : standards et découvertes
À la fin de l’année Gershwin, où la diffusion phonographique en France est restée très sage, très convenue – trop – un joli petit disque sans prétention, mais avec des interprètes hors du commun, comme Dawn Upshaw, présente quelques chansons extraites des comédies musicales4 : les unes classiques, comme Someone to watch over me ou I’ve got a crush on you, les autres inconnues, comme Little jazz bird ou Maybe. On ne peut écouter cela sans voir Fred Astaire, ou plus près de nous, Manhattan, hymne à New York bâti par Woody Allen autour de la musique de Gershwin.
Ce n’est pas le Gershwin distingué – ou tout au moins dit sérieux – du Concerto en fa, mais la vraie, la bonne, la joyeuse musique de Broadway, où Gershwin essaye presque de faire oublier qu’il a du génie en dissimulant des enchaînements harmoniques que Ravel n’aurait pas dédaignés sous une orchestration banale, d’ailleurs laissée souvent à de seconds couteaux, et enluminée années 1990 avec trémolos de flûtes et autres enjoliveurs dérisoires. Sur la pochette, une photo des frères Gershwin sortant d’un avion, George avec un appareil photo en bandoulière. Les vrais Américains, même génies de la musique ou de la littérature (n’est-ce pas, Hemingway ?), même présidents, ne se prennent guère au sérieux.
Oui, vive l’Amérique, Môssieu !
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1. 2 CD SONY MH2K 63325.
2. 1 CD SONY SMK 60 732.
3. 1 CD SONY SMK 60 730.
4. 1 CD NONESUCH 7559 79498 2.