Goodwin, restructuration en temps de crise : enjeux et incertitudes
Céline Domenget Morin, associée spécialisée dans le domaine de la restructuration et du retournement d’entreprises au sein du cabinet Goodwin, nous livre son analyse de la situation actuelle entre crise, confinement, déconfinement, lente reprise de l’activité et reconfinement.
Entre crise, confinement et arrêt de l’activité, la crise de la Covid-19 a fortement impacté le domaine de la restructuration et du retournement d’entreprise. Quelles sont les tendances qui ont été exacerbées et les conséquences nouvelles de la crise ?
Le début de la crise et le confinement ont été accompagnés de nombreuses mesures visant à préserver la trésorerie des entreprises face à un arrêt généralisé de l’activité. Le chômage partiel, le gel des charges sociales et certains impôts ainsi que le PGE sont les principaux outils d’aide qui ont été mis à disposition des entreprises. À notre niveau, nous avons été essentiellement mobilisés sur les PGE, certains étant plus difficiles à obtenir notamment pour les entreprises qui connaissaient des difficultés avant la Covid-19. Le cabinet Goodwin a néanmoins enregistré très peu de procédures collectives. La distribution reste le secteur le plus touché, avec principalement des dossiers connus depuis de nombreuses années comme Camaïeu, La Halle ou encore Orchestra.
“Alors que le retour à la normale n’est pas annoncé avant 2024,
se pose la problématique de la sauvegarde de l’outil industriel,
mais aussi de l’adaptation de la structure à son niveau réduit d’activité. ”
Lors de la crise de 2008, la tendance était de se limiter à un « amend & extend », en adaptant les ratios financiers à respecter tout en reportant la maturité de la dette. Les problèmes n’étaient donc pas traités en profondeur, ce qui a pu donner lieu à une succession de phases de négociations jusqu’à une prise de contrôle par les créanciers au bout de quelques années. Avec cette crise, on observe le phénomène inverse avec une volonté d’adresser les sujets de fond. Ainsi, si le business n’apparaît pas comme assez résilient, on se dirige plutôt vers une opération capitalistique ou pour les cas les plus difficiles, une procédure collective avec appel d’offres en plan de cession quand la continuité n’est pas possible…
En parallèle, la crise de la Covid-19 a exacerbé d’autres tendances : le partage d’efforts entre les différentes parties prenantes d’un dossier, notamment lors de la mise en place d’un PGE. Aux côtés des banques, il est, par exemple, demandé aux actionnaires de participer à la couverture des besoins de financement ou encore aux autres créanciers de reporter une ou plusieurs échéances d’intérêts ou la maturité finale dans les dossiers les plus difficiles. Cela se traduit aussi par des engagements de la part des emprunteurs et des actionnaires : céder une filiale afin de se concentrer sur le cœur de métier, rechercher des partenaires pour renforcer la structure capitalistique.
Avec le déconfinement et la lente reprise économique, qu’avez-vous observé ?
Post-confinement, un certain nombre d’activités ont connu un bon redémarrage en juin et juillet. Cela n’a cependant pas été le cas pour les secteurs qui ont été fortement touchés par les mesures sanitaires : l’évènementiel, les salons professionnels, le tourisme et la restauration. Dans le monde de l’industrie, l’aéronautique est un des domaines les plus touchés. Le secteur dépend essentiellement des capacités d’investissements des compagnies aériennes puis des avionneurs, or les mesures prises à nouveau depuis septembre et l’incertitude quant à la reprise du trafic aérien complexifient la situation. Alors que le retour à la normale n’est pas annoncé avant 2024, se pose la double problématique de la sauvegarde de l’outil industriel et de l’adaptation de la structure à son niveau réduit d’activité. L’enjeu, commun à d’autres secteurs est d’être en capacité de redémarrer l’activité une fois la reprise amorcée, sans perte de savoir-faire.
Plus généralement, les entreprises doivent pouvoir être en mesure de financer leurs achats, l’investissement dans leur outil industriel alors que les résultats et la rentabilité sont affectés par la crise avec des notations bancaires ou assurances-crédit dégradées.
Dans ce contexte, pouvez-vous nous rappeler le positionnement de votre cabinet ainsi que ses expertises en matière de restructuration ?
Goodwin est un cabinet américain classé dans le top 30 mondial. Nos équipes interviennent dans tous les secteurs de l’économie sur des opérations d’envergure nationale et internationale, en particulier dans les domaines de la finance, du capital-investissement, de l’immobilier, des technologies, des biotechs et des sciences de la vie.
À Paris, le cabinet compte une cinquantaine d’avocats. L’activité restructuring du cabinet a débuté en juillet 2019. Elle couvre l’ensemble des besoins en matière de retournement et de redressement : renégociation de dettes, distressed M&A, accompagnement de sociétés en difficulté ou de leurs créanciers dans le cadre de procédures amiables (mandat ad hoc et conciliation) et de procédures d’insolvabilité (sauvegarde, sauvegarde accélérée, redressement et liquidation judiciaire), contentieux liés. Nous travaillons en coordination avec l’équipe corporate du cabinet sur tous les dossiers avec une dimension capitalistique (notamment cession de filiales ou de branche d’activité, entrée d’un nouveau partenaire au capital, conversion de dette en capital…) et l’équipe financement sur tous les dossiers de restructuration financière.
“Cet automne est marqué par un durcissement de la situation…
il est tout aussi important de rechercher des solutions pérennes afin d’éviter des entreprises zombies.”
Le second trimestre et le début de l’été ont notamment été marqués par la mise en place de nombreux PGE pour lesquels nous sommes intervenus côté emprunteur, banques ou créanciers obligataires à qui il était demandé des efforts. Néanmoins, notre activité est bien plus large. Côté société, Goodwin accompagne l’équipe dirigeante sur le diagnostic de la situation, la détermination des solutions, le choix de la procédure adaptée et la mise en place de la solution retenue avec des négociations plus ou moins lourdes, avec les différents créanciers (banques, créanciers obligataires, hedge funds), y compris en cas de procédure d’insolvabilité. Côté créanciers, notre intervention comprend également un diagnostic de la situation et des évolutions possibles permettant de déterminer la meilleure stratégie de négociation. Enfin, nous intervenons aux côtés d’investisseurs sur des dossiers de distressed M&A dans le cadre de procédures amiables ou en plan de cession.
Actuellement, autour de quels besoins vous sollicitent les entreprises et vos clients ? Comment pouvez-vous les accompagner ?
Cet automne est marqué par par un durcissement de la situation, Goodwin est donc rappelés sur d’anciens dossiers pour évaluer les nouveaux besoins et relancer de nouvelles négociations. Nous sommes aussi appelés sur de nouveaux dossiers où les mesures qui ont été prises au printemps ne sont pas suffisantes ce qui implique de lancer des renégociations lourdes, avec recherche de « new money ». Cela montre que, dans certains cas, l’adossement est indispensable ou que la procédure d’insolvabilité est la seule solution.
Quelles pistes de réflexion pourriez-vous donner à nos lecteurs autour de cette thématique ?
Le premier enjeu tourne autour de la gestion de la trésorerie. C’est elle qui donne le tempo : elle permet de savoir quelles sont les mesures urgentes à prendre et de combien de temps l’entreprise dispose pour trouver la bonne solution. Au-delà, les bouleversements pour l’ensemble du tissu économique sont tels qu’il est tout aussi important de rechercher des solutions pérennes afin d’éviter d’avoir des entreprises « zombies » qui, privées des moyens nécessaires à leur développement, seront condamnées à terme.
Enfin, la directive européenne adoptée qui va être transposée dans le droit français d’ici juin 2021 va contribuer à structurer les négociations autour de la valeur : alors que le droit français de l’insolvabilité considéré quelque fois à tort, comme pro-actionnaire, la directive confirme un certain équilibre. Ainsi un actionnaire ne pourra, par exemple, garder la main sur un dossier de restructuration que si la valeur d’entreprise est supérieure à l’endettement financier net ou bien s’il décide d’accompagner l’entreprise en réinvestissant. In fine, la directive incite à encore mieux anticiper.