Grands vins de Sauternes : Yquem, Fargues et Rieussec
Le Sauternes, considéré comme l’un des plus grands vins blancs liquoreux du monde, est à la fois le nom d’un vin et d’un village, situé à 40 kilomètres au sud de Bordeaux. Ce qui caractérise la région de Sauternes, au sud des Graves, est son microclimat, particulièrement propice à la production de vins liquoreux à partir de raisins attaqués par la pourriture noble ou Botrytis cinerea. Le Sauternais est en effet traversé par le Cirons, une rivière froide, qui se jette dans la Garonne, fleuve plus chaud, favorisant ainsi l’apparition de brumes matinales qui favorisent le développement du Botrytis cinerea alors que le sud de la région des Graves bénéficie souvent en automne d’après-midi ensoleillés, qui empêchent un développement trop rapide du champignon. Le Botrytis cinerea décolore les baies, les recroqueville et concentre leur teneur en acide et en sucre. À partir de ces raisins, on produit un vin riche, onctueux et mielleux, relevé par une forte acidité qui met en valeur les saveurs sucrées du vin. Sans cette acidité, très présente, bien qu’elle ne s’impose pas lors de la dégustation, ce grand vin liquoreux paraîtrait trop sucré.
Le vignoble d’Yquem s’étend sur une croupe de 102 hectares, au sommet de laquelle se trouvent le château et ses dépendances. L’encépagement est constitué de sauvignon (20 %) et de sémillon (80 %). Le sémillon est parfaitement adapté aux conditions particulières du Sauternais. Il est riche, séveux, et fournit au vin charpente et volume. Le sauvignon, plus précoce et moins régulier que le sémillon, apporte ses arômes puissants et son incomparable finesse. Rendements très faibles (cinq fois moins qu’un cru classé du Médoc), chaque pied de vigne ne donne qu’un verre d’yquem… Aléas du climat, difficultés de vinification, tout se combine pour justifier la rareté de ces vins, dont la production moyenne varie entre 60 et 70 000 bouteilles par an.
Certaines années, il n’y a pas d’yquem. Ce fut le cas en 1910, 1915, 1930, 1951, 1952, 1964, 1972, 1974, 1992. Par sa qualité constante, par ses références historiques (une récente dégustation organisée en février 1999 a porté sur une verticale d’yquem allant de 1991 à… 1784), yquem cru s’est affirmé comme le plus grand vin liquoreux du monde et le plus mythique des grands crus bordelais ; d’ailleurs le classement de 1855 situe yquem à part dans la classe qu’il est seul à occuper de “ premier cru supérieur ”.
Gravement endommagé lors d’un incendie en 1687, le château de Fargues ne fut jamais reconstruit et laisse apparaître à travers les brumes du Sauternais des ruines spectaculaires qui pourraient servir de décor pour un film. Non classé en 1855 parce qu’il y avait alors fort peu de vignes blanches sur la propriété, fargues, qui appartient aux Lur- Saluces, bénéficie du même degré d’exigence qu’yquem.
La conduite de la vigne, les modes de vendange et de vinification sont similaires, à ceci près que fargues n’est pas fermenté dans des barriques neuves, mais dans des barriques ayant déjà servi à faire du château‑d’yquem. La superficie des vignes est de 13 hectares, et la répartition de l’encépagement est la même que pour yquem (20% sauvignon, 80 % sémillon).
Le château Rieussec est situé sur la commune de Fargues, un ruisseau le sépare d’Yquem. Le vignoble s’étend sur 75 hectares avec 90 % de sémillon, 7 % de sauvignon et 3 % de muscadelle. Dans le vin, le sauvignon est rarement utilisé, il est surtout gardé pour le “R” de Rieussec, le vin blanc sec du domaine.
Le terroir est assez hétérogène avec une forte présence de graves et, par endroit, du sable avec des couches d’argile en dessous. La présence de l’argile expliquerait la couleur de rieussec, légèrement plus foncée que celle d’yquem. Rieussec a été racheté fin 1984 par les Domaines Barons de Rothschild et fait donc partie de cette grande famille de crus prestigieux qui englobe également château-lafite à Pauillac et l’évangile à Pomerol. Un nouveau chai a été construit en 1989. Rieussec est vinifié dans des cuves en inox mais élevé jusqu’à trente mois en barriques neuves.
À table le sauternes est un vin impérieux, qui risque d’écraser les vins suivants par la puissance et la richesse de ses arômes. La solution consiste à le placer en fin de repas, ou à faire suivre le plat qu’il accompagne d’une tasse de consommé double en guise de transition, pour restaurer les capacités gustatives des convives. Si cette solution n’est pas retenue, il faut le faire suivre d’un médoc jeune, bien chargé en fruit et en tannins, ou d’un hermitage.
Les sauternes accompagnent très bien le foie gras mais aussi certains poissons comme le bar, l’alose, le saumon, particulièrement quand ils sont préparés avec une sauce crémée.
Il va aussi très bien avec les crustacés et notamment le homard, des volailles comme la pintade à la crème et aux truffes, ou les ris de veau. C’est aussi un merveilleux partenaire du roquefort. En fin de repas, il s’accorde bien avec les fruits (notamment les pêches) et tous les desserts à base d’amandes, comme le pithiviers, ou encore des gâteaux à base de Cointreau.
Une dégustation récente a donné les résultats suivants :
Château de Fargues 1994
Robe dorée. Nez discret sur des notes florales de tilleul et d’acacia et des arômes de pâte de coing, typique du millésime 1994. La bouche est riche, très fraîche, soutenue par une belle acidité et une longue finale.
Château‑d’Yquem 1994
Robe or pâle limpide et brillante. Nez encore réservé sur des arômes de vanille, de miel et de foin coupé, avec une note fruitée de pêche blanche. Belle attaque, grasse et soyeuse et étonnante corpulence en bouche, suivie d’une grande longueur sur une finale bien nette. Un vin encore jeune, déjà agréable, mais avec un grand potentiel de développement.
Château Rieussec 1989
Robe jaune aux reflets dorés. Nez intense, sur des arômes d’abricot, de marmelade d’orange et de fruits tropicaux. L’attaque est douce, la bouche est crémeuse, très sensuelle, avec beaucoup de matière. Un vin riche et onctueux soutenu par une belle structure acide qui lui apporte de la fraîcheur. Superbe finale, très longue.
Château‑d’Yquem 1988
Le millésime 1988 a été à Yquem d’une qualité exceptionnelle ; c’est un des millésimes du siècle, avec 1921, 1937 et 1967. Ce vin a aujourd’hui une robe d’un bel or profond. Au nez, on distingue des arômes de poire, de figue et de caramel, mais aussi de miel et d’agrumes confits. En bouche, il est riche, onctueux et concentré, avec beaucoup de complexité et d’élégance. Un magnifique yquem qui se déguste déjà bien mais est promis à un bel avenir.