Guerres
La célébration des guerres passées, qui associe désormais vainqueurs et vaincus en des cérémonies en quelque sorte œcuméniques, est un rite rassurant, à la fois expiatoire et propitiatoire : « Plus jamais ça ! » psalmodient hommes politiques et médias.
La musique n’y manque pas qui, après avoir exalté les combats, pleure les morts, souvent en des œuvres de commande : il faut bien vivre. Et bien de ces œuvres parfois monumentales, destinées à l’origine à des cérémonies uniques, sont des chefs‑d’œuvre intemporels.
Britten – War Requiem
Ainsi du War Requiem de Benjamin Britten, commandé pour la consécration de la cathédrale de Coventry, reconstruite après sa destruction en 1940 par la Luftwaffe : pièce théâtrale extraordinaire, d’une ampleur inhabituelle, dont l’orchestration s’écrit par moments sur 48 portées et qui nécessite deux chefs d’orchestre, dont un pour l’ensemble de chambre qui accompagne les trois solistes : soprano, ténor, baryton.
Ce surdimensionnement pourrait détourner l’auditeur potentiel ; eh bien, il aurait tort, car c’est bien là un chef‑d’œuvre absolu, au même titre que, au XIXe siècle, le Requiem de Verdi dont il s’inspire en partie, et qui provoque l’émotion au premier degré si l’on prend soin d’en suivre le texte en français : texte en partie en latin – c’est une messe – auquel font contrepoint les poèmes déchirants du grand poète Wilfrid Owen, tué pendant la Première Guerre mondiale.
Pour cette œuvre hors du commun, il fallait une distribution exceptionnelle : la très belle et émouvante Anna Netrebko, Ian Bostridge au timbre reconnaissable entre tous, aussi convaincant dans Britten que dans la Passion selon saint Jean ou les Songs de Noël Coward, le baryton Thomas Hampson, l’orchestre et les chœurs de l’Académie nationale de Sainte-Cécile (Rome) (décidément un des meilleurs ensembles d’aujourd’hui) dirigés par Antonio Pappano1.
Pour les pyrrhoniens qui en douteraient encore, cette œuvre et cet enregistrement confirment que le compositeur du Tour d’écrou et de Peter Grimes est un des créateurs majeurs du XXe siècle.
Beethoven – Missa solemnis
Comme Britten pour son War Requiem, Beethoven considérait que sa Missa solemnis était la plus grande œuvre qu’il ait jamais écrite. Au-delà de la liturgie, c’est un véritable oratorio, dont la composition s’étala sur quatre ans, et que l’on peut à bon droit placer au-dessus de la 9e Symphonie : tout l’art de Beethoven s’y manifeste : grands déploiements symphoniques et choraux, adagios à pleurer, fugues à la fois magistrales et subtiles, etc.
L’enregistrement qu’en ont fait il y a quelques mois le Collegium Vocale Gent et l’Orchestre des Champs-Élysées, avec la soprano Marlis Petersen – dont la voix chaude et dépourvue de vibrato rappelle celle d’Elisabeth Schwarzkopf –, la mezzo Gerhild Romberger, le ténor Benjamin Hulett et le baryton David Wilson-Johnson, dirigés par Philippe Herreweghe2, est à la hauteur de cette œuvre superbe et poignante, qui réconciliera avec Beethoven ceux qu’agace le caractère parfois grandiloquent de ses symphonies.
On notera que l’Agnus Dei évoque les bruits de la guerre et que Beethoven a ajouté dans ses dernières ébauches « à la fin, les timbales en signe de paix ».
Varia
De Beethoven, on citera pour les amateurs de piano-forte l’enregistrement des sonates Clair de lune, Waldstein et La Tempête par Alexis Lubimov3 sur une copie contemporaine d’un Érard de 1802, le premier piano de concert français. Le disque est accompagné d’un livret très complet sur la technique des pianos-pianos-forte.
À propos de guerres, il faut écouter, sous le titre « Combattimenti ! », un très bel enregistrement, par Le Poème Harmonique dirigé par Vincent Dumestre, de trois œuvres de Monteverdi4 : Le Combat de Tancrède et de Clorinde, À présent que le ciel et la terre, Lamentation de la Nymphe.
La place manque pour commenter ces pièces avant-gardistes et délectables du Seicento, auxquelles se joint une découverte, La Fiera di Farfa, sorte d’opéra bouffe avant la lettre de Marazzoli, à écouter toutes affaires cessantes.
Et pour ajouter un peu de sérénité en cette période de Noël, on a plaisir à citer un très joli enregistrement de Christmas Carols, très opportunément hors des sentiers battus, par la Maîtrise des Bouches du Rhône (chœur d’enfants) accompagnée à la harpe5 : des chants de Noël de Gustav Holst, Zoltan Kodaly, John Thomas et surtout, pour boucler la boucle, de celui qui est souvent où on ne l’attend pas : le merveilleux Benjamin Britten.
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1. 1 CD WARNER.
2. 1 CD PHI.
3. 1 CD ALPHA.
4. 1 CD ALPHA.
5. 1 CD PARSIPHONE.