Carreaux Gwilen dans leur élément

Gwilen valorise les sédiments marins en un matériau de construction bas carbone

Dossier : Vie des entreprises - Décarbonation et économie circulaireMagazine N°799 Novembre 2024
Par Yann SANTERRE
Par Mathieu CABANNES (X04)

Yann San­terre et Mathieu Cabannes (X04), asso­ciés et cofon­da­teurs de Gwi­len, nous pré­sentent leur maté­riau marin et bas car­bone aux mul­tiples appli­ca­tions au ser­vice du monde de la construc­tion. Ils nous en disent plus sur les pro­prié­tés de ce maté­riau, ses appli­ca­tions et reviennent éga­le­ment sur les pro­chaines étapes de leur déve­lop­pe­ment alors que la start-up pré­pare une levée de fonds.

Quelle a été la genèse de Gwilen ?

Yann San­terre : Gwi­len est un clin d’œil à mon enfance. En effet, Gwi­len est l’appellation en bre­ton de la Vilaine, le plus long fleuve bre­ton, au bord duquel j’ai pas­sé toute mon enfance.

Plus concrè­te­ment, depuis les années 70, l’estuaire de la Vilaine s’envase suite à la construc­tion d’un bar­rage qui a entraî­né une modi­fi­ca­tion majeure du régime sédi­men­taire de tout l’estuaire. Dans les années 90, de nom­breuses asso­cia­tions éco­lo­gistes ont régu­liè­re­ment orga­ni­sé des tra­ver­sées à pied lors des grandes marées afin de démon­trer l’impact de cette infra­struc­ture sur le cycle natu­rel de l’estuaire qui est, d’ailleurs, situé dans une zone clas­sée Natu­ra 2000.

Ingé­nieur diplô­mé des Ponts & Chaus­sées, j’ai eu la volon­té d’appréhender cette pro­blé­ma­tique comme une oppor­tu­ni­té. J’ai explo­ré de nom­breuses pistes, dont la valo­ri­sa­tion de cette res­source qui encombre l’estuaire, et plus lar­ge­ment les ports, en un maté­riau pour la construc­tion. J’ai lan­cé les pre­miers tests fin 2017. En 2019, j’ai été rejoint par Mathieu. En 2020, nous avons créé la socié­té à Brest, au cœur d’une région qui connaît bien le sujet, et au cœur d’une ville à la fois por­tuaire mais aus­si recons­truite, sym­bole fort d’un héri­tage archi­tec­tu­ral. Nous béné­fi­cions, par ailleurs, du sou­tien du Tech­no­pole, de la région et de Brest Métropole. 

Aujourd’hui, nous sommes trois asso­ciés et une dizaine de per­sonnes. Nous avons com­mer­cia­li­sé nos pre­miers pro­duits en 2022, une gamme de car­reaux muraux, et depuis nous étof­fons nos gammes et leurs applications. 

Concrètement, Gwilen transforme les sédiments marins en matériau pour le monde de la construction. Dites-nous en plus sur ce nouveau matériau et sur son mode de production.

Mathieu Cabannes : En effet ! L’ambition de Gwi­len est de pro­po­ser au sec­teur de la construc­tion de nou­velles solu­tions pour leur per­mettre d’appréhender deux pro­blé­ma­tiques majeures, les émis­sions de car­bone et la pré­ser­va­tion des res­sources, alors que chaque année en France, plus de 35 mil­lions de mètres cubes de sédi­ments sont extraits en France. 

Archi­tectes-ingé­nieurs de for­ma­tion, notre objec­tif est véri­ta­ble­ment de pro­po­ser de nou­velles alter­na­tives pour les maté­riaux de construc­tion avec un focus sur les qua­li­tés archi­tec­tu­rales de ces matériaux.

Nous avons ain­si mis au point un pro­cé­dé spé­ci­fique basé sur les pro­prié­tés intrin­sèques des sédi­ments marins. Notre pro­cé­dé s’inspire, en effet, de la dia­ge­nèse, le pro­ces­sus natu­rel de for­ma­tion des roches sédimentaires.

Au-delà, notre pro­cé­dé de trans­for­ma­tion ne néces­site pas de cuis­son à haute tem­pé­ra­ture, ce qui per­met d’économiser de l’énergie, mais aus­si des émis­sions de CO2 ! Nous n’ajoutons pas de résine, de ciment ou de liant exté­rieur pour agglo­mé­rer la matière. Nous créons plu­tôt un liant sédi­men­taire qui per­met d’envisager de nom­breuses appli­ca­tions pour notre maté­riau, qui est, par ailleurs, moulable. 

Notre maté­riau est donc aus­si facile à mettre en œuvre que le béton, ce qui per­met de réa­li­ser dif­fé­rentes formes. En plus, ses pro­prié­tés sont très proches de celles de la terre cuite, notam­ment sur le plan ther­mique et mécanique. 

Gwilen valorise les sédiments marins en un matériau de construction bas carbone

Qu’en est-il des applications ?

Y.S : L’idée de Gwi­len est de pro­po­ser des alter­na­tives qui vont venir se sub­sti­tuer à des pro­duits exis­tants et qui vont avoir un impact envi­ron­ne­men­tal plus faible. Il s’agit, par exemple, de rem­pla­cer des briques en terre cuite uti­li­sées pour des élé­ments de cloi­son­ne­ment par des briques en matière sédi­men­taire, qui répon­draient aux mêmes contraintes d’usage, régle­men­ta­tions de mise en œuvre… 

Cette approche vise à faci­li­ter l’adoption de nos pro­duits et leur inté­gra­tion dans les pro­ces­sus de construc­tion sans que les entre­prises n’aient à pré­voir d’investissements sup­plé­men­taires, l’acquisition de nou­veaux équi­pe­ments ou bien la for­ma­tion des com­pa­gnons sur les chantiers. 

Nous avons fait le choix de com­men­cer par déve­lop­per les appli­ca­tions les moins contrai­gnantes sur le plan tech­nique avec une pre­mière gamme de car­reaux pour des appli­ca­tions au mur à l’intérieur. En 2023, nous avons déve­lop­pé des appli­ca­tions pour les sols avec des contraintes d’usure, de résis­tance au poinçonnement… 

Nous nous ins­cri­vons dans une démarche de déve­lop­pe­ment de pro­duits pro­gres­sive afin de cou­vrir tou­jours plus de pro­duits de construction.

« Nous cherchons actuellement à développer ces partenariats industriels, afin de produire et commercialiser ces produits sédimentaires de substitution. »

À l’échelle d’un bâti­ment, nous nous concen­trons sur les appli­ca­tions exté­rieures pour nos car­reaux avec, par exemple, des tra­vaux en façade avec nos bri­quettes en rem­pla­ce­ment de pla­quettes en béton ou d’éléments en pierre. 

Nous pour­sui­vons, d’ailleurs, la carac­té­ri­sa­tion de notre maté­riau afin de pro­po­ser des appli­ca­tions com­plé­men­taires pour le revê­te­ment et les façades. Sur le plus long terme, nous réflé­chis­sons aus­si au déve­lop­pe­ment de pro­duits pour réa­li­ser des élé­ments de cloi­son­ne­ment inté­rieur, de la maçonnerie… 

Dans cette diver­si­fi­ca­tion des appli­ca­tions, nous res­tons néan­moins concen­trés sur la maî­trise des pro­cess et des pro­prié­tés de la pâte sédimentaire. 

À plus long terme, il s’agit aus­si de nouer des par­te­na­riats avec des indus­triels spé­cia­li­sés dans la pré­fa­bri­ca­tion de béton afin d’utiliser notre pâte sédi­men­taire en sub­sti­tu­tion du béton pour pro­po­ser des pro­duits à plus faible impact dans une logique d’association de leurs com­pé­tences en matière de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion à notre connais­sance de ce maté­riau et de ses pro­prié­tés. Nous cher­chons actuel­le­ment à déve­lop­per ces par­te­na­riats indus­triels, afin de pro­duire et com­mer­cia­li­ser ces pro­duits sédi­men­taires de substitution.

Gwilen est un matériau marin bas carbone

Vos produits ont-ils déjà été utilisés ? 

M.C : Sur la par­tie bâti­men­taire, nous en sommes encore au stade de Proof of Concepts. Mais nos pro­duits ont déjà été uti­li­sés pour des habillages inté­rieurs de res­tau­rants, dont le res­tau­rant étoi­lé Datil à Paris, des bars, des bou­lan­ge­ries, mais aus­si des bou­tiques, des espaces de coworking… 

Nos pro­duits sont aus­si uti­li­sés dans des pro­jets de par­ti­cu­liers en sub­sti­tu­tion de car­reaux de ciment ou du zel­lige marocain. 

Vous lancez aujourd’hui une levée de fonds. Quels sont les enjeux de cette démarche ?

M.C : Aujourd’hui, nous avons plu­sieurs enjeux : pour­suivre la carac­té­ri­sa­tion de notre maté­riau, tra­vailler sur l’industrialisation de notre pro­cé­dé, mais aus­si les pro­ces­sus de fabri­ca­tion pour avoir un pilote indus­triel qui nous per­met­tra de pas­ser à l’échelle. Nous pré­pa­rons donc une nou­velle levée de fonds pour accé­lé­rer notre déve­lop­pe­ment à tous ces niveaux et ren­for­cer notre équipe en accueillant de nou­velles compétences.

Quelles sont donc les prochaines étapes pour Gwilen ?

Y.S : Le prin­ci­pal objec­tif est de conce­voir et déve­lop­per un outil indus­triel afin de pas­ser à l’échelle pour indus­tria­li­ser et auto­ma­ti­ser la pro­duc­tion et l’adaptation de la pâte sédi­men­taire aux nom­breuses appli­ca­tions que nous envisageons. 

En paral­lèle, nous sommes mobi­li­sés sur un pro­gramme au pays de Brest qui vise à implan­ter la pre­mière uni­té indus­trielle de valo­ri­sa­tion des sédi­ments du ter­ri­toire afin de coor­don­ner l’accès à la res­source auprès d’une qua­ran­taine de portsFinistériens. 

La ques­tion des sédi­ments et de l’envasement repré­sente aus­si un enjeu pour la ges­tion des ports qui relève de la région, de la CCI et des com­munes, il y a là un vrai enjeu col­lec­tif qui ques­tionne le rap­port que nous entre­te­nons avec la nature, au tra­vers de nos infra­struc­tures. L’idée est ain­si de conce­voir une solu­tion de valo­ri­sa­tion inté­grée aux infra­struc­tures exis­tantes, afin d’optimiser leur fonc­tion­ne­ment et orga­ni­ser une pro­duc­tion autar­cique, au cœur des infra­struc­tures, et s’appuyant sur les réseaux en place afin de dif­fu­ser nos pro­duits. Il s’agit, par exemple, d’envisager le trans­port de cette res­source en capi­ta­li­sant sur le trans­port mari­time et fer­roviaire, ce qui per­met de réduire l’impact car­bone glo­bal de nos pro­duits tout en redy­na­mi­sant le tis­su éco­no­mique territorial.

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