Habitat et villes : passer des bonnes intentions aux actes
La mise en œuvre de l’objectif de développement durable n° 11 : « faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables », fait prendre conscience qu’habitat et villes font le lien entre tous les ODD. La clé de la réussite résidera dans la définition de politiques publiques cohérentes, partagées et mesurables.
À regarder de plus près les objectifs du développement durable, j’ai eu un doute : ne s’agirait-il pas d’un jargon technocratique onusien, sans lien avec nos politiques publiques ? Prenons l’intitulé de l’objectif 11 : « faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables ». Comment s’intéresser à un thème aussi mal exprimé, exaspérant collage de mauvaise traduction de concepts anglo-saxons et de verbiage à la mode ? Et pourtant, je voudrais convaincre le lecteur qu’une fois franchie cette première impression négative, la démarche se révèle fructueuse et porteuse d’avenir. Je m’appuierai pour cela sur le rapport de 2017 du CGEDD écrit par Marie-Hélène Aubert, Geneviève Besse et Philippe Bellec.
La démarche de l’Agenda 2030 est novatrice sur au moins trois aspects : tout d’abord, elle fixe des cibles à atteindre dans tous les domaines du développement de façon universelle ; ensuite, elle exige de rendre compte des résultats obtenus à travers des indicateurs et des critères communs ; enfin, elle implique cohérence et transversalité des politiques publiques, encourageant une participation accrue de tous les acteurs de la société civile aux décisions qui les concernent.
REPÈRES
Les conférences Habitat de l’ONU sur le logement suivent un cycle de vingt ans : 1976, 1996 et 2016, et forment une caisse de résonance qui accélère la prise en compte dans les politiques publiques des grandes thématiques urbaines. En 1976, à Vancouver, Habitat I reconnaissait l’importance des villes et de l’urbanisation ; en 1996, à Istanbul, Habitat II soulignait l’importance du développement durable. Habitat III, dont la France coprésidait la préparation, s’est déroulée à Quito en Équateur, du 17 au 20 octobre 2016. Elle a débouché sur l’adoption d’un « nouveau programme pour les villes ».
Des cibles universelles
La liste des cibles manifeste le caractère transversal et stratégique de cet objectif qui marque « la reconnaissance que les villes font le lien avec tous les objectifs (Habitat III, 2016) » : 11.1 D’ici à 2030, assurer l’accès de tous à un logement et des services de base adéquats et sûrs, à un coût abordable, et assainir les quartiers de taudis ; 11.2 Assurer l’accès de tous à des systèmes de transport sûrs, accessibles et viables, à un coût abordable, en améliorant la sécurité routière, notamment en développant les transports publics, une attention particulière devant être accordée aux besoins des personnes en situation vulnérable, des femmes, des enfants, des personnes handicapées et des personnes âgées ; 11.3 D’ici à 2030, renforcer l’urbanisation durable pour tous et les capacités de planification et de gestion participatives, intégrées et durables des établissements humains dans tous les pays ; 11.4 Redoubler d’efforts pour protéger et préserver le patrimoine culturel et naturel mondial ; 11.5 D’ici à 2030, réduire nettement le nombre de personnes tuées et le nombre de personnes touchées par les catastrophes, l’accent étant mis sur la protection des pauvres et des personnes en situation vulnérable ; 11.6 D’ici à 2030, réduire l’impact environnemental négatif des villes par habitant, y compris en accordant une attention particulière à la qualité de l’air et à la gestion des déchets ; 11.7 D’ici à 2030, assurer l’accès de tous, en particulier des femmes et des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées, à des espaces verts et des espaces publics sûrs ; 11.a Favoriser l’établissement de liens économiques, sociaux et environnementaux positifs entre zones urbaines, périurbaines et rurales en renforçant la planification du développement à l’échelle nationale et régionale ; 11.b D’ici à 2020, accroître nettement le nombre de villes qui adoptent et mettent en œuvre des politiques et plans d’action intégrés en faveur de l’insertion de tous, de l’utilisation rationnelle des ressources, de l’adaptation aux effets des changements climatiques et de leur atténuation et de la résilience face aux catastrophes, et élaborer et mettre en œuvre une gestion globale des risques de catastrophe à tous les niveaux ; 11.c Aider les pays les moins avancés à construire des bâtiments durables et résilients en utilisant des matériaux locaux.
“Le taux
de surpeuplement des logements
progresse en France”
Des indicateurs communs
Dans la ligne de l’évaluation des politiques publiques, les cibles des ODD sont accompagnées d’une batterie d’indicateurs mesurables.
Les États peuvent définir leur propre jeu d’indicateurs. Un groupe de travail du Conseil national de l’information statistique (Cnis), présidé par Jean-René Brunetière (67), a proposé en juin 2018 un tableau de bord de
98 indicateurs pour le suivi des ODD par la France.
Pour l’ODD 11, quatre indicateurs spécifiques sont retenus : le taux de surpeuplement des logements (comme le mentionne le rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre 2018, l’enquête nationale Logement 2013 montre pour la première fois une aggravation du phénomène : le nombre de personnes concernées a nettement progressé entre 2006 et 2013, puisque 7 656 000 personnes vivent désormais dans un logement en surpeuplement « modéré » , contre 6 865 000 en 2006, soit une hausse de 11,5 %, et 934 000 personnes en surpeuplement « accentué », contre 797 000 en 2006, soit une hausse de 17,2 %) ; l’artificialisation des sols ; les déchets collectés par les municipalités et le traitement des déchets par type de traitement ; enfin le niveau moyen annuel de particules fines dans les villes.
L’Insee mesure aussi quatre autres indicateurs qui, bien qu’affectés à titre principal à d’autres ODD, complètent le suivi de l’ODD 11 : consommation de produits phytosanitaires, proportion de la population desservie par une eau non conforme, part modale des transports collectifs de voyageurs et de marchandises dans le transport intérieur terrestre, confiance de la population dans les institutions.
On le voit, le thème de l’habitat et de la ville n’est pas le plus simple à mesurer compte tenu de sa transversalité, mais l’effort mérite d’être fait : des indicateurs territoriaux sont à construire avec et par les habitants, qui feraient écho aux travaux de l’OCDE et de la France sur le bien-être territorial, en particulier la loi Éva Sas. Si cette loi ne concerne que l’échelon national, le gouvernement serait bien avisé de s’inspirer des collectivités territoriales pour rattraper le retard de la France en matière de nouveaux indicateurs.
La loi Éva Sas
La loi du 13 avril 2015, dite loi Éva Sas, vise à la prise en compte de 10 indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. Ces indicateurs sont inclus dans les 98 indicateurs de suivi des ODD.
Cohérence et transversalité des politiques publiques
Les collectivités territoriales sont souvent porteuses d’une dimension plus transversale, en établissant des diagnostics, en formulant des engagements vérifiables, en suscitant la participation des citoyens. Comme il est écrit dans la contribution de la France au sommet Habitat III de Quito en 2016, « les villes sont les premières confrontées à l’obligation d’inventer des solutions aux maux créés par notre modèle de développement ».
À l’inverse, les politiques publiques nationales restent encore trop souvent traitées « en silos ». Or, la mise en œuvre d’une véritable transition écologique en dépend. Par exemple, la France a développé des politiques de logement efficaces, qui ont cherché à éradiquer les taudis dès les années 60. Pour autant, elle ne s’inscrit pas toujours dans une bonne trajectoire : problème de coût du logement, résurgence des bidonvilles (on dénombre 571 bidonvilles en France, où vivent 16 000 personnes…), des sans-abris, etc. Le CGEDD recommande d’aborder cette politique de façon systémique, en mentionnant qu’un des points d’alerte pour la France porte sur le coût du logement, frein à la mobilité et à l’emploi, facteur d’exclusion sociale et de ségrégation spatiale et d’artificialisation des sols.
Une participation accrue
Pour « renforcer les capacités de planification et de gestion participatives, intégrées et durables des établissements humains dans tous les pays », l’ONU retient la proportion de villes dotées d’une structure de participation directe de la société civile à la gestion et à l’aménagement des villes, fonctionnant de manière régulière et démocratique. L’Insee retient la part du territoire national couverte par des schémas de cohérence territoriale (Scot). L’indicateur national choisi ne répond pas au libellé de l’indicateur onusien. La gestion participative, mesurée par la proportion de villes dotées de structures de participation directes, peut apparaître comme un point à renforcer en France.
Le sujet est d’autant plus sensible qu’il a été l’un des points forts de la conférence Habitat III, qui a mobilisé beaucoup d’acteurs de la société civile (citoyens, entreprises, ONG…).
Il nous faut aller plus loin
Plusieurs recommandations peuvent être formulées : d’abord, mieux coordonner les politiques du logement et des transports ; ensuite, faire porter un effort particulier des politiques publiques sur le coût du logement ; progresser sur les stratégies de résilience, construire des outils et des indicateurs territoriaux adaptés à la diversité des territoires ; enfin, compléter les indicateurs nationaux, y compris en fournissant des indicateurs de qualité, pour répondre à la dimension sociale et sociétale de l’ODD 11.
L’édition 2018 du Forum politique de haut niveau a été l’occasion de passer en revue six ODD, dont l’ODD 11. Comme le mentionne le point d’étape présenté par la France à cette occasion, « l’ODD 11 nous pousse à aller plus loin, l’ensemble des cibles étant particulièrement important pour les personnes vulnérables ». Une attention particulière doit être apportée à l’Outre-mer.
Évaluation de politiques publiques à partir d’objectifs énoncés et d’indicateurs partagés, politiques territoriales contre actions en silos, mobilisation citoyenne comme enjeu de développement durable : on voit comment l’analyse d’un seul ODD a permis d’aborder des sujets à fort impact pour nos concitoyens d’aujourd’hui et de demain.