Hélène Karcher (1998)
Comment des centaines de milliers de gens tous différents vont-ils réagir en absorbant le même médicament ? C’est la question que se pose tous les jours Hélène Karcher, chef de projet chez Novartis Pharma en Suisse, à Bâle. A priori, rien de nouveau sous le soleil : les groupes pharmaceutiques, lorsqu’ils mettent au point de nouvelles molécules, cherchent toujours à prévoir les réactions de chaque type de population : diabétiques, cardiaques, femmes enceintes, etc. Sauf qu’Hélène Karcher et son équipe (quatre-vingts personnes aujourd’hui) ont industrialisé le processus : ils ont mis au point des algorithmes qui permettent de faire tourner des modèles prédictifs puissants sur des ordinateurs. La jeune femme, qui est la seule polytechnicienne sur place, a décroché en 2011 le prix Pierre-Faurre de la Fondation de l’École.
Avant d’atterrir à Bâle en 2006, cette Toulousaine mariée à un Suisse Allemand avait eu l’occasion de se frotter à une autre culture, celle de la côte Est des États-Unis. Elle a en effet bénéficié de plusieurs bourses pour faire une thèse de biophysique au célèbre Massachussets Institute of Technology (MIT). Hélène Karcher a étudié la façon dont les cellules « surréagissent » en fonction de leur environnement mécanique, en situation de stress comme dans les plaques artérielles. Via des modèles informatiques, et in vitro.
Avoir lu ses classiques
Même s’il existe des affinités entre scientifiques du monde entier, ces séjours ont forcément été un choc culturel. Aux ÉtatsUnis, par exemple, on se spécialise beaucoup plus, analyse Hélène Karcher : « On est valorisé pour la chose que l’on sait faire. Cela tient au fait qu’il y a moins de couches sociales, moins de hiérarchie. On progresse donc dans sa carrière par rapport à ce qu’on a à vendre, ce qui est moins vrai en France. » Le système de valeurs est tout autre dans notre pays, où la culture tient une place immense, même dans la vie professionnelle : « Il faut avoir lu ses classiques et connaître les grandes lignes de l’histoire. Un bon citoyen doit aussi se tenir au courant de l’actualité », explique la jeune femme, qui se considère toujours, malgré ses compétences pointues, comme une « généraliste » : « Je ne suis pas la personne d’un domaine précis. C’est pourquoi Polytechnique me convenait mieux qu’une université », souligne-t-elle.
Autre cri du cœur : « À l’X, nous avons appris à mener un raisonnement mathématique et logique rigoureux, du début jusqu’à la fin, en maîtrisant toutes les hypothèses. Cet apprentissage manque souvent aux Américains. »
Ni privilège, ni échec
En revanche, les femmes ont plus de place dans la sphère professionnelle outreAtlantique, souligne Hélène Karcher : « Alors qu’en Suisse, on s’attend souvent à ce que la femme s’occupe des enfants plus que son mari, aux États-Unis il y a beaucoup plus d’égalité professionnelle. Les femmes ne sont pas pénalisées par le congé maternité, qui ne dure de toute façon que six semaines, et qui n’est pas financé par l’employeur. Les hommes ont droit au même congé. » Pourquoi y a‑t-il si peu de femmes à des postes haut placés en Europe, dans le domaine scientifique et technique ? « C’est une culture. On essaie généralement de remplacer les gens qui partent par d’autres ayant le même style, et donc on reprend des hommes.Au moins, à l’X nous avons passé un concours, et donc été sélectionnées de manière rationnelle, ce qui est impossible dans le monde du travail. » Il n’y avait que 12 % de femmes admises en 1998, lorsque Hélène Karcher est entrée à Polytechnique. Mais la proportion était également la même en prépa, signe qu’il n’y a eu « ni privilège, ni échec », se félicite la jeune femme.