Henri Becquerel, un Polytechnicien dans l’Histoire
Une remarquable exposition organisée à la bibliothèque de l’X sur le thème « Henri Becquerel, prix Nobel, polytechnicien » a célébré, du 12 octobre au 30 novembre 1996, le centenaire de la découverte de la radioactivité. Elle a été inaugurée par une conférence prononcée à l’occasion de la présentation au Drapeau de la promotion 1995. En 1903, le troisième prix Nobel de physique était décerné pour moitié à Henri Becquerel, pour moitié à Pierre et Marie Curie, pour la découverte de la radioactivité. Ce phénomène et ses conséquences ont directement marqué l’histoire du XXe siècle. Henri Becquerel l’avait découvert, Pierre et Marie Curie en avaient montré l’importance et l’étendue. La forte personnalité de Marie Curie, la véritable légende qui s’attache à son nom, et la stature scientifique exceptionnelle de Pierre Curie, mort prématurément en 1906 dans un accident de la circulation, ont un peu masqué la part première d’Henri Becquerel dans cette découverte.
À cela s’ajoute une série de préjugés à l’égard de la personnalité scientifique de Becquerel. Ces préjugés sont particulièrement sensibles dans la littérature scientifique française, on ne les retrouve pas, bien au contraire, dans les textes anglo-saxons. On donne parfois de lui l’image d’un physicien chanceux, qui en développant par hasard des plaques photographiques supposées vierges, a trouvé sans le vouloir un phénomène important. C’est méconnaître la rigueur et la perspicacité d’un expérimentateur d’exception. Un physicien héritier d’une longue tradition familiale, qui se démarquait légèrement de la grande tradition des physiciens et mathématiciens issus de l’X au XIXe siècle. Cet homme modeste et tranquille fait partie de la gloire de l’X. Il lui a valu son premier prix Nobel de physique, le seul jusqu’à présent. Le destin l’a placé au carrefour de plusieurs chemins de la science et de l’histoire. Ce bref récit rappelle les étapes et le contexte de sa découverte.
Henri BECQUEREL en 1890 © Collection particulière
Le lundi 24 février 1896, dans une brève communication à l’Académie des sciences1, Henri Becquerel fait part à ses collègues d’une observation très attendue. Il a soigneusement enveloppé dans du carton noir des plaques photographiques, achetées à l’usine des frères Lumière, qui produit 15 millions de plaques photographiques par an. Il les a recouvertes de lamelles cristallines de sulfate double d’uranium et de potassium, et a exposé le tout au soleil sur le bord de sa fenêtre. Cinq heures plus tard, en développant ses plaques, fortement protégées de la lumière du soleil, Becquerel a découvert qu’elles étaient impressionnées. Un rayonnement invisible est capable de traverser le carton noir. Si l’on interpose des objets métalliques entre le sel d’uranium et la plaque, on voit leur silhouette se dessiner sur les clichés. Les matériaux sont plus ou moins opaques à des rayons invisibles. Le court rapport de Becquerel est factuel, presque laconique.
Henri Becquerel a 43 ans. Il est entré à l’X en 1872, en est sorti dans le Corps des Ponts et Chaussées. C’est un homme modeste et doux. La communauté scientifique apprécie sa culture, son expérience et la finesse de son jugement, mais on voit davantage en lui un continuateur plutôt qu’un créateur. On le considère surtout comme le porte-parole d’une tradition. Il est le troisième membre de la dynastie des Becquerel qui, depuis le début du siècle, se succèdent tant à l’Académie qu’au Muséum2.
Son grand-père Antoine-César (1788−1878, X 1806), après avoir combattu dans la guerre d’Espagne de 1810 à 1812, s’était lancé dans la physique. Il y avait laissé une oeuvre considérable, notamment sur l’électricité. Élu à l’Académie des sciences en 1829, il avait collaboré avec Ampère, Gay-Lussac et Biot, et correspondait fréquemment avec Faraday. Son père, Alexandre-Edmond (1820−1891), reçu à l’École normale supérieure et à l’X, avait préféré démissionner pour devenir l’assistant de son propre père au Muséum. Élu à l’Académie des sciences en 1863, il avait fait des travaux importants en électricité, en magnétisme et en optique. Il avait étudié les réactions photochimiques, était devenu un maître de la photographie. Il avait le premier mis en évidence la partie ultraviolette du spectre solaire. Il était un expert mondial en matière de phénomènes de luminescence.
Henri Becquerel est professeur à l’X depuis l’année précédente, mais sa nomination a déclenché l’indignation de son collègue Alfred Cornu (X 1860) président de l’Académie des sciences, qui ne lui trouve pas suffisamment d’autorité scientifique. Il a travaillé sur un sujet qui passionne : l’action directe du champ magnétique sur le rayonnement ; il n’a pas obtenu de résultat notable. Il a fait son travail de thèse sur l’absorption de la lumière par les cristaux anisotropes. Un an après avoir soutenu sa thèse de doctorat en 1888, il est élu à l’Académie des sciences ! Depuis sa thèse, Henri Becquerel a sérieusement délaissé la recherche et préfère se consacrer à ses enseignements, à l’X et au Muséum.
La découverte de la radioactivité est indissociable de celle des rayons X. Au moment où l’Académie prend connaissance des observations de Becquerel, elle est en grande effervescence. Depuis plusieurs semaines, on ne parle que de lumière, de photographie et de rayons X. Le lundi 20 janvier, en effet, en fin de séance, Arsène d’Arsonval a fait découvrir à ses collègues une photographie qu’ils n’ont jamais imaginée. Elle a été envoyée par deux médecins, Paul Oudin et Toussaint Barthélémy. On y voit les os à l’intérieur d’une main vivante. Le cliché a été obtenu par Wilhelm Conrad Röntgen à Würtzburg. La main est celle de sa femme.
C’est quelques mois plus tôt que Röntgen a découvert ces rayonnements invisibles et pénétrants, qu’il nomme de la lettre de l’inconnu, « X‑strahlen », les rayons X. Il s’est intéressé aux étranges rayons cathodiques qui se propagent dans le vide à l’intérieur du tube de Crookes, ancêtre de notre actuel tube de télévision. On s’interroge beaucoup, à cette époque, sur la nature de ces rayons électriques : est-ce que ce sont des ondes, ou bien des corpuscules ? En 1894, ses maîtres, Hertz et Lenard, ont constaté que les rayons cathodiques peuvent traverser un hublot métallique placé sur la paroi du tube. Lenard a donc décidé de les étudier en eux-mêmes, à la sortie. Pour protéger la zone expérimentale de tout rayonnement lumineux, il barde le tube et le hublot de feuilles opaques de plomb et d’étain.
Le 8 novembre 1895, Röntgen répète ces expériences. Il suit très exactement la procédure expérimentale de Lenard à un détail près. On ne sait pourquoi, c’est avec du carton noir et non du plomb qu’il enveloppe le tube3. Il y a là, sur la table, loin du tube, un écran enduit sur une de ses faces de platino-cyanure de baryum fluorescent. À sa stupéfaction, à chaque décharge du tube cet écran devient luminescent, et cela même s’il est à plus de deux mètres. Un rayonnement invisible inconnu semble filtrer au travers du carton noir pour aller exciter la fluorescence de l’écran.
Röntgen devient fébrile, il est inquiet, « C’est une chose si extraordinaire qu’on va dire que je suis devenu fou ! » Ce qu’il voit est tellement stupéfiant que, pour se convaincre lui-même, il recommence l’expérience des dizaines de fois. Ces rayons sont-ils vraiment pénétrants, peuvent-ils véritablement traverser la matière ? En interposant sa main entre le tube et l’écran, il voit se dessiner les os de ses phalanges, entourés de la pénombre de ses chairs. Les corps sont plus ou moins opaques à ces rayons inconnus. Il prend sa femme à témoin, et, pour convaincre le monde de la réalité de ce qu’il voit, il fixe ces images sur des plaques photographiques. « J’ai des photographies de l’ombre des os de la main, d’un ensemble de poids enfermés dans une boîte ! » écrit-il. Ces images de l’invisible frappent l’imagination. En quelques années, les hôpitaux s’équipent. Le Kaiser s’en fait faire une démonstration personnelle.
Lorsqu’ils découvrent la radiographie, le lundi 20 janvier, les académiciens sont émerveillés. Le mathématicien Henri Poincaré (X 1873) a reçu un exemplaire de l’article de Röntgen4, la physique le passionne. Il y a là Henri Becquerel, qui, fasciné comme Poincaré, s’interroge sur le point d’émission de ces rayons invisibles. Poincaré fait remarquer que la réponse se trouve dans l’article de Röntgen :« Il est certain que l’endroit de la paroi qui a la plus vive fluorescence doit être considéré comme le centre principal d’où les rayons X rayonnent dans toutes les directions. » Les rayons X sont émis au point d’impact des rayons cathodiques sur le verre, où l’on observe une vive fluorescence5.
Fluorescence, le mot clé est prononcé. Les phénomènes de luminescence des corps ont toujours fasciné. La phosphorescence, qui persiste plus longtemps, et la fluorescence d’une durée très brève sont des émissions lumineuses que certains corps produisent après avoir eux-mêmes été éclairés6. La première question que se posent Becquerel7 et Poincaré8 est de savoir s’il n’y a pas un lien entre les rayons X et la fluorescence. Se peut-il que les rayons de Röntgen accompagnent d’autres phénomènes de luminescence, ou de fluorescence, quelle qu’en soit la cause ?
Par tradition familiale, Henri Becquerel est mieux placé que quiconque pour mener à bien cette analyse. Son grand-père Antoine-César s’était pris de passion pour la phosphorescence lors d’un voyage à Venise, en découvrant le spectacle de la lagune, illuminée par des algues phosphorescentes. Cette passion l’avait mené jusqu’à élever des vers luisants, et surtout à faire collection de minéraux phosphorescents. Son père, Alexandre-Edmond était un maître en la matière. Les corps qu’il avait le plus étudiés dans ce domaine étaient les sels d’uranium, dont il possédait une grande quantité. Il avait construit un ingénieux phosphoroscope pour mesurer l’intensité et la durée de la phosphorescence9, et il avait notamment observé que les sels d’uranium avaient une phosphorescence beaucoup plus forte que tous les autres corps.
Henri Becquerel tente, dès le lendemain, de vérifier si les substances fluorescentes émettent des rayons X pendant leur fluorescence. Il n’est pas le seul à tenter l’expérience. Ses premiers essais sont des échecs. Mais, au bout de quelques jours, il pense à utiliser des sels d’uranium. Pourquoi de l’uranium ? Chance, intuition géniale, a‑t-on dit, la longue tradition familiale y est évidemment pour beaucoup. « Les résultats de Röntgen ne justifiaient pas vraiment cette idée, dira-t-il plus tard, mais les sels d’Urane possédaient des propriétés de luminescence très extraordinaires, et il était véritablement tentant de procéder à cette investigation. »
Il possède une quantité notable de ces composés d’uranium, qui ne sont jusque-là que des curiosités, sans grande application. L’uranium ne présentait guère d’autre intérêt à l’époque. Il avait été découvert en 1789 par le chimiste allemand Martin Klaproth qui l’avait baptisé en l’honneur de la planète Uranus. En 1841, Eugène Péligot avait montré que le corps isolé par Klaproth était un oxyde d’uranium, et avait isolé le métal lui-même. On utilisait les sels d’uranium comme colorants dans les céramiques, mais il trouvait peu d’applications lorsque, en 1869, il avait glorieusement pris la 92e et dernière place dans le tableau périodique de Mendeleïev.
D’où la note du 24 février. Becquerel sait que pour provoquer la fluorescence d’un corps, on doit l’exposer à la lumière. Il faut exposer au soleil l’uranium, mais pas la plaque photographique qui va détecter les rayons X. Il enveloppe, par conséquent, ses plaques dans du carton noir, et met les cristaux de sels d’uranium par-dessus. Après exposition, il constate que les plaques ont été impressionnées. Tout semble confirmer l’idée que l’uranium émet des rayons X pendant sa fluorescence. Certes, les taches observées sur les plaques photo sont bien ténues, beaucoup moins spectaculaires que les images de Röntgen. Mais elles sont bel et bien présentes !
À ce moment, Becquerel ne se doute pas que sa découverte n’est absolument pas là. Sa découverte vient une semaine plus tard. Il veut répéter son expérience le 26 et le 27 février. Hélas ! Paris est recouvert de nuages. Becquerel abandonne ses échantillons dans un tiroir, remettant son expérience à plus tard. Avant de reprendre ses travaux, le dimanche 1er mars, il développe par acquit de conscience ses plaques photographiques, dont tout laisse à penser qu’elles sont vierges, l’uranium étant à l’abri du soleil. À sa stupéfaction, elles sont, au contraire, fortement impressionnées !
Dans la fin de sa communication à l’Académie10, le lundi 2 mars, il réserve un coup de théâtre à ses collègues. « Les mêmes lames cristallines, placées dans les mêmes conditions et au travers des mêmes écrans, mais dans l’obscurité et à l’abri de l’excitation de radiations incidentes produisent encore les mêmes impressions photographiques. Le soleil ne s’étant pas montré, j’ai développé les plaques photographiques le 1er mars en m’attendant à trouver des images très faibles. Les silhouettes apparurent, au contraire, avec une grande intensité. » L’impression de ses plaques est totalement indépendante de la fluorescence de l’uranium. Le sel d’uranium émet des rayons pénétrants qu’il ait ou non été exposé à la lumière solaire.
« Les expériences que je poursuis en ce moment pourront, je l’espère, apporter quelques éclaircissements sur ce nouvel ordre de phénomènes. » dit-il en conclusion. Un nouvel ordre de phénomènes en effet. Becquerel prendra progressivement conscience que sa découverte est un phénomène majeur de la nature !
Suivons maintenant la démarche de l’expérimentateur. Ses premières investigations sont des opérations de contrôle, habituelles à cette époque, pour établir les effets électriques de ses rayonnements. Becquerel découvre rapidement que, comme les rayons X, ses rayons ionisent l’air avoisinant. Mais sa préoccupation principale est de comprendre quelle excitation est à l’origine de l’effet. La phosphorescence, la fluorescence sont en effet provoquées par des excitations lumineuses, les rayons X sont provoqués par l’impact des rayons cathodiques sur la matière. Quel est donc, dans le même cadre de pensée, l’agent excitateur responsable de l’émission de ce rayonnement nouveau ?
Il maintient quelques cristaux dans l’obscurité, pensant qu’ils vont se désexciter, et ainsi devenir plus aptes à être excités de nouveau. À sa surprise, ils conservent tout leur pouvoir actif sur une durée bien supérieure à tout phénomène de phosphorescence connu. Peut-on quand même établir une relation entre l’intensité de la phosphorescence et ce rayonnement nouveau ? Il essaie toute une série de cristaux luminescents. Seuls ceux qui contiennent de l’uranium émettent des rayonnements invisibles. Il traite chimiquement des sels de nitrate d’uranium de façon à faire disparaître leur phosphorescence ; après le traitement, ces cristaux continuent d’émettre les rayonnements invisibles. Il essaie des cristaux d’uranium non phosphorescents, ces derniers émettent aussi des rayonnements. Enfin, il essaie un disque d’uranium métallique, que lui a préparé le chimiste Henri Moissan, et constate que le métal est trois ou quatre fois plus actif que les sels.
Les sels d’uranium phosphorescents émettent spontanément des rayons pénétrants. Des composés d’uranium non fluorescents donnent le même effet. Les matériaux fluorescents sans uranium ne donnent pas d’effet. Le 18 mai, à la fin de cette première campagne d’investigations, Becquerel annonce11 que la source de ces « rayons uraniques » pénétrants, comme il les baptisera à la fin de 1896, l’agent « radioactif » (ce terme viendra plus tard, de Marie Curie) c’est, par conséquent, l’Uranium lui-même12, « J’ai donc été conduit à penser que l’effet était dû à la présence de l’élément uranium dans ces sels, et que le métal donnerait des effets plus intenses que ses composés. »
Becquerel est un expérimentateur. Il a peu de goût pour les théories, les siennes ou celles des autres. En revanche, la rigueur et la créativité de sa démarche sont étonnantes. Il a en permanence une attitude critique sur tous ses résultats, sur toutes ses idées. Il est prêt à abandonner toute spéculation, aussi enthousiasmante soit-elle, face à la réalité des faits. Ce ne sont que les faits qui l’intéressent : les faits et leur enchaînement logique.
Au départ, il agit de façon rationnelle pour vérifier une idée logique. Il suppose que les rayons X accompagnent la fluorescence et veut le prouver. Cela fonctionne d’abord admirablement. Sans sa persévérance, ce ne serait qu’un exemple, oublié maintenant, de la confirmation expérimentale d’une idée fausse. Sa découverte survient lorsqu’il démontre que le phénomène qu’il a imaginé n’existe pas ! La première découverte de Becquerel est qu’un phénomène n’existe pas, il en découvre alors un autre : la radioactivité. De fait, la phosphorescence des sels d’uranium était causée par les rayons pénétrants qu’il avait mis en évidence, et non l’inverse. Becquerel a tourné le dos à la phosphorescence familiale.
On se pose évidemment la question de savoir pourquoi Becquerel a éprouvé le besoin de développer des plaques vierges ? Pourquoi ce geste ? Goût du détail, inspiration géniale ? Crookes, qui était venu lui rendre visite ce dimanche 1er mars, est admiratif13 : c’est avant tout le réflexe d’un très grand physicien. Becquerel a expliqué qu’il s’attendait à trouver un faible effet : la phosphorescence disparaît progressivement, c’était une bonne occasion d’estimer l’émission évanescente. Une découverte est toujours un coup de chance, mais celle-là est la preuve d’un coup d’oeil exemplaire et d’un esprit toujours en éveil. La tradition familiale était passée par là.
On mesure combien ce geste heureux a pu être envié, voire jalousé, par certains contemporains qui, sans doute, se jugeaient plus dignes que lui de bénéficier de la main de la providence. Certains iront jusqu’à mettre en question la paternité de sa découverte. On chuchote, par exemple, qu’Abel Niepce, neveu de Nicéphore, s’était aperçu en 1857 que du carton imprégné de nitrate d’uranium voilait les plaques photo, et que les Becquerel étaient au courant !
Entre le printemps 1896 et la fin de 1897, Becquerel perd progressivement de l’intérêt pour ses rayons. À ses sept notes de 1896, succèdent deux autres en 1897, puis pratiquement plus rien. La communauté internationale ne prend pas immédiatement la mesure de sa découverte. Le physicien anglais Silvanus P. Thompson a, d’ailleurs, fait une observation semblable à la fin février 1896. Il a publié en juin14, et a nommé l’effet « hyperphosphorescence ». En apprenant, par Stokes, les résultats de Becquerel, il a abandonné ses investigations. Les rayons X occupent toute la scène scientifique. Ils donnent de bien meilleures images, et sont plus faciles à manipuler que l’uranium, une rareté. Et puis, la découverte de Röntgen semble avoir ouvert la porte à toute une foule de rayonnements étranges, comme la lumière noire de Gustave Le Bon15. Les rayons uraniques passent un peu inaperçus. Becquerel, lui-même, s’est tourné vers un autre effet qui le fascine : l’effet Zeeman, qui démontre l’action directe du magnétisme sur la lumière !
Le deuxième souffle vient, on le sait, à partir de 1898, avec les travaux de Pierre et Marie Curie et ceux de G. C. Schmidt, en Allemagne, suivis par ceux de Rutherford, à Cambridge puis à Montréal, avec Soddy et Hahn, de Ramsay, en Angleterre, d’André Debierne, un proche des Curie, et de Paul Villard à Paris, de Friedrich Oskar Giesel, Meyer, von Schweidler, Elster et Geitel en Allemagne. Marie Curie dispose d’un instrument original : l’électromètre de Pierre Curie, qui utilise la piézoélectricité16, et permet de réaliser des mesures de précision. La découverte que, parmi les éléments connus, seul le thorium émet des rayons pénétrants, puis la découverte et la séparation du polonium et du radium, dont les rayonnements sont un million de fois plus intenses que ceux de l’uranium, donnent une impulsion nouvelle et déterminante à la radioactivité.
Les résultats de Marie Curie ramènent Henri Becquerel à sa découverte. Il se lie aux Curie, dont il présente les communications à l’Académie des sciences, et leur apporte son appui17. Pierre et Marie Curie lui prêtent du radium, avec lequel il fait de nouvelles expériences. Il entretient une correspondance fréquente avec Pierre Curie ; ils publieront ensemble.
Pendant cette deuxième période, Henri Becquerel obtient une série de résultats, dont le plus marquant est sans doute l’identification du rayonnement bêta. À la fin de 1899, ayant en tête les effets magnéto-optiques de ses tout premiers travaux et l’effet Zeeman, il veut étudier l’effet d’un champ magnétique sur les rayonnements émis par le radium. Une fois encore, il va faire volte-face par rapport à son idée de départ. Il constate en effet qu’une partie des rayonnements radioactifs porte de l’électricité, ce qu’aucun rayonnement spontané n’a jamais fait. Il lui vient donc l’idée de fabriquer des faisceaux de rayons chargés, avec un collimateur, et de mesurer leur déflexion par un champ magnétique. C’est exactement ainsi qu’a procédé J. J. Thomson, deux ans plus tôt, quand il a prouvé que les rayons cathodiques sont des faisceaux d’électrons.
Le 26 mars 1900, Becquerel montre que les rayons du radium dévient de la même façon que les rayons cathodiques de Thomson. Becquerel démontre ainsi qu’une composante des rayonnements de la radioactivité, le rayonnement « bêta », consiste en une émission d’électrons18. Pour la première fois, on trouve une formule mathémathique dans son travail : RH = (m/e) v, qui donne le rayon de courbure de la trajectoire d’une particule de charge e et de masse m dans un champ magnétique H. Il vient de réaliser la première expérience moderne d’identification d’une particule élémentaire par la courbure de sa trajectoire dans un champ magnétique.
Cette découverte fondamentale sera suivie, peu après, par celle des rayons alfa, noyaux d’hélium ionisé, de charge positive et de grande masse, identifiés par Rutherford et Soddy. Becquerel manquera de peu l’identification de la composante neutre, les rayons gamma, plus pénétrante, semblable aux rayons X de Röntgen, que Paul Villard met en évidence en 1900.
Les trois composantes de la radioactivité sont ainsi identifiées en 1900. Une découverte frappante, dans cette période, concerne l’énergie dégagée. Becquerel s’est toujours posé la question de savoir quelle est la source d’énergie responsable de ce nouveau rayonnement. Il a sa part dans l’explication, que l’on doit à Rutherford, de l’origine atomique du phénomène. C’est Pierre Curie qui, le premier, s’aperçoit que cette énergie est considérable. Il mesure qu’à masse égale, le radium dégage une énergie colossale, un million de fois supérieure à toute énergie de combustion connue, ce qui constitue la première reconnaissance de l’énergie nucléaire. C’est, dans ces découvertes, l’aspect qui frappera le plus l’attention du public et des médias. En 1904, on peut lire dans le St Louis Post Dispatch : « Un grain du mystérieux radium sera montré à l’Exposition universelle. Sa puissance est inimaginable. Avec ce métal, tous les arsenaux du monde pourraient être détruits. Il pourrait rendre la guerre impossible ! »
Les effets biologiques de ce dégagement d’énergie, d’abord découverts par Walkoff et Giesel, sont observés par Becquerel, encore une fois en expérimentateur chanceux, si l’on peut dire. Pierre Curie lui a prêté un échantillon de radium, dans une ampoule scellée ; Becquerel met l’ampoule dans sa poche et rentre chez lui. Au bout de quelques heures il constate une rougeur, qui se transforme en quelques jours en une plaie, semblable à une brûlure. La blessure met longtemps à cicatriser ; il y a une nécrose des tissus. Lorsqu’il fait part de cette observation à Pierre Curie, ce dernier fait l’expérience, sur lui-même et sur son épouse, et se livre à des expériences plus radicales sur des cobayes. Bientôt, tous les physiciens du domaine se livrent à ce jeu dangereux. La radiothérapie vient de naître ; Becquerel et Curie publieront ensemble sur ce sujet en 1901.
Le destin a placé Henri Becquerel à plusieurs charnières de l’histoire. Tout d’abord, la découverte de la radioactivité est un tournant exceptionnel parce qu’elle ouvre la voie à la physique nucléaire, à l’énergie nucléaire, et à la physique des particules élémentaires. En 1911, Rutherford établira l’existence des noyaux atomiques. Le neutron sera identifié par Chadwick en 1932. En 1933, Frédéric et Irène Joliot-Curie découvriront la radioactivité artificielle. Cette charnière de la physique est aussi une charnière de l’histoire du monde, puisqu’en décembre 1938, quelques mois avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Hahn et Strassmann vont découvrir la fission nucléaire. Frédéric Joliot, au début de 1939, comprendra les réactions en chaîne, la possibilité de produire l’énergie nucléaire et de fabriquer des armes nucléaires, et déposera, avec Halban et Kowarski, une série de brevets sur le sujet. En 1942, le premier réacteur nucléaire, construit par Fermi, divergera à Chicago.
En partageant le prix Nobel 1903 entre Henri Becquerel et Pierre et Marie Curie, l’Académie royale de Suède a donné un coup de patte au destin. Elle a scellé un lien entre deux grandes familles de physiciens. La dynastie Becquerel avait traversé tout le XIXe siècle. Elle avait côtoyé les plus grands noms depuis Monge, Gay-Lussac, Biot, Ampère, Faraday, jusqu’à Poincaré, Röntgen, et Rutherford. La famille Curie, aux cinq prix Nobel, marquera le XXe.
La date de la découverte est, elle aussi, exceptionnelle. On a beaucoup dit qu’elle aurait pu avoir lieu n’importe quand, dans le demi-siècle qui avait précédé. Tout était à disposition, l’uranium, la photographie, le soleil. Or, elle se situe dans une décennie unique dans l’histoire de la physique, de 1895 à 1905, où, dans une transition abrupte, vont se succéder les grandes découvertes qui mènent à la physique contemporaine19.
En 1895, Röntgen découvre les rayons X, et Lorentz établit la théorie de l’électron. En 1896, Becquerel découvre la radioactivité, qui débouchera, nous l’avons dit, sur la physique nucléaire à partir de 1898. En octobre 1896, Zeeman prouve l’influence directe d’un champ magnétique sur le rayonnement, qui est à la base de l’actuelle imagerie par résonance magnétique. En 1897 J. J. Thomson découvre l’électron, première particule élémentaire, et protagoniste essentiel de la physique et de la technologie modernes. Le mois de décembre 1900 voit Max Planck jeter la première pierre de la théorie quantique. En 1905 Einstein énonce la théorie de la relativité.
Cette époque est fertile dans beaucoup d’autres domaines. Louis Pasteur et Claude Bernard ont donné une formidable impulsion à la biologie et à la médecine. Une nouvelle génération de mathématiciens, Appell, Poincaré, Picard, Hadamard, Painlevé, Borel et Élie Cartan, prend son essor en France. Georg Cantor crée la théorie des ensembles en 1895. Berthelot, Wurtz et Charles Friedel donnent à la chimie une dimension nouvelle.
La technologie subit un bond qui annonce la deuxième révolution industrielle. L’invention de la communication hertzienne par Marconi en 1895 va mener à la radio et aux tubes électroniques. Les télécommunications transforment tous les secteurs d’activité ; l’usage du téléphone se répand rapidement. L’électricité prend une place de plus en plus importante dans la vie courante comme dans l’industrie. Daimler et Benz en Allemagne, Panhard et Peugeot en France ouvrent l’ère de l’automobile en 1890. Le pneumatique gonflable Michelin apparaît en 1895. Le premier Salon de l’automobile se tient à Paris en 1898, sur l’esplanade des Invalides. Le public se prend de passion pour l’aviation, naissante.
L’art et la culture ne sont pas en reste. La première projection du cinématographe des frères Lumière a lieu le 28 décembre 1895, au Grand Café, boulevard des Capucines à Paris. Les impressionnistes se font admettre au musée du Luxembourg en 1896. Rodin exécute son Penseur et son Balzac en 1890. Les opéras de Wagner font salle comble. Alfred Jarry publie Ubu roi en 1896, et André Gide Les Nourritures terrestres, en 1897.
Dans cette époque bouillonnante de créativité, on peut s’interroger sur le fait qu’Henri Becquerel ait été le seul polytechnicien à recevoir, au début du XXe siècle, cette récompense hautement symbolique qu’est le prix Nobel de physique20. Il y a eu d’autres prix Nobel parmi ses contemporains, les Curie bien sûr, Lippmann en 1908, Jean Perrin en 1926 pour la physique, Moissan en 1906, Marie Curie en 1911, Grignard et Sabatier en 1912 pour la chimie, sans compter la médecine et la littérature. Cela contraste avec la gloire de l’École polytechnique au début du XIXe siècle : les Biot, Fresnel, Carnot, Arago, Le Verrier et bien d’autres n’auraient certes pas déparé le palmarès du prix Nobel.
La réponse est qu’à cette époque, l’École polytechnique pense très peu à la science. Elle n’y pense plus depuis longtemps. Elle souffre du malheur de la France qui ne se remet pas de la débâcle de 1871. La détresse s’apprend jusque sur les bancs de l’école primaire, où figurent en pointillé les contours de l’Alsace et de la Lorraine. Rien ne semble pouvoir effacer le coup moral sinon un rétablissement de la situation antérieure par les armes. Les expéditions coloniales, qui se poursuivent, n’apaisent rien. Cette situation contraste avec celle des pays voisins. La Reine Victoria règne sur un Empire britannique au sommet de sa splendeur. L’Allemagne poursuit une progression rapide sur tous les plans. Le Kaiser a congédié Bismarck en 1890. Il se considère comme supérieurement intelligent, et affirme à qui veut l’entendre qu’il mène l’Allemagne vers des jours glorieux. Il est de ces hommes qui, par leur vanité et leurs certitudes, envoient le monde au malheur et au désastre.
C’est ce qu’a fait Louis-Napoléon Bonaparte en France. La situation politique est tourmentée. Le Boulangisme a laissé des traces. Le terrorisme et l’anarchisme font des ravages. Caserio assassine le président de la République Sadi Carnot le 24 juin 1894 alors que le président du Conseil, Casimir Périer, vient de faire voter les « lois scélérates » qui répriment, dans un même texte, tant l’anarchisme que l’agitation syndicale. Les scandales politiques se multiplient, la classe politique est déconsidérée. Le président de la République Jules Grévy a démissionné en 1887 à la suite du trafic des décorations où est mêlé son gendre.
Le scandale de l’affaire de Panama éclabousse toute la classe dirigeante. On a tenté d’étouffer l’affaire jusqu’en 1891, mais la collusion entre la haute finance et le pouvoir est trop importante. Clemenceau lui-même a utilisé les fonds pour financer ses caisses électorales. D’autres ont reçu des chèques en échange de leur vote. La dépression économique des années 1880 a provoqué le krach de la banque de l’Union Générale. Les répercussions politiques et idéologiques sont considérables. L’antisémitisme fait rage. Alfred Dreyfus est arrêté en octobre 1894. Condamné et dégradé en décembre, il est déporté à l’île du Diable, en Guyane.
Beaucoup de scientifiques considèrent que la défaite et la démoralisation du peuple français sont le résultat d’une attitude négative vis-à-vis de la science et des techniques depuis une cinquantaine d’années. Louis Pasteur, le plus illustre d’entre eux, qui meurt en 1895, est convaincu des valeurs humaines de la science, il pense qu’elle seule peut tirer le pays de l’ornière. Il faut revenir, dit-il, à ce qui a fait la force et la gloire de la Révolution et du Premier Empire : tous les savants qui ont construit la République. Et l’École polytechnique a été une formidable pépinière de savants.
Mais l’École polytechnique, dans cette fin de siècle, ne produit plus de savants. Entre 1871 et 1914, l’armée absorbe environ 70 % des polytechniciens. Près de 60 % d’entre eux terminent leur carrière au grade de capitaine ! Beaucoup sont tentés de « pantoufler?, mais ils rencontrent, comme leurs camarades des corps civils, une méfiance de la part des industriels. En effet, la formation des polytechniciens n’est pas adaptée aux industries d’avant-garde qui sont en train de se développer. L’École centrale a précisément été créée en 1839 par un polytechnicien, pour former ces ingénieurs d’élite que l’industrie réclame à grands cris et que Polytechnique ne semble plus savoir produire.
À la suite d’un rapport du ministre de la Guerre au président de la République, Sadi Carnot, un décret du 13 mars 1894 réorganise l’École. L’objectif semble bien défini : « mettre nos officiers, nos ingénieurs et nos savants dans un état de supériorité incontestable sur leurs rivaux de l’étranger. » On évoque l’école rivale de la rue d’Ulm21 « Nous avons envers nos élèves des devoirs que l’École normale remplit énergiquement envers les siens : elle écarte de leur route tous les obstacles. » Le rôle des polytechniciens dans la société est en cause.
Mais les points de vue des politiques, des militaires et des scientifiques divergent sur le fond. « Il existe un manque de correspondance entre l’enseignement propre à l’École et les exigences pratiques des services qui s’y recrutent. La part des questions abstraites est trop forte (…) les décisions se placent dans les mains des savants les plus abstraits qui ne peuvent se subordonner aux nécessités des applications pratiques. » Le rapport du général Ladvocat, inspecteur général de l’École, le 14 juin 1894 est sans ambiguïté. En mai 1895, le général André, commandant l’École, lance que « depuis plusieurs années, pour avoir voulu enseigner le superflu à nos élèves, on a manqué de leur enseigner le nécessaire. »
À l’inverse, Alfred Cornu, président de l’Académie des sciences, plaide fortement pour de solides études scientifiques : « Par suite des applications croissantes de la physique et notamment de l’électricité, toutes les branches des services publics exigent une connaissance approfondie des lois mathématiques qui régissent les transformations de l’énergie. » Le président du Conseil de perfectionnement, le général Peaucellier, lui répond, cinglant, « L’École n’a pas été créée pour faire des candidats à l’Institut et il n’y a pas un dixième des officiers qui aient à se servir de l’outillage perfectionné dont parle Monsieur Cornu. »
À cette époque, l’École polytechnique ne sait plus former ses élèves ; les diverses exigences sont trop contradictoires. Des trois mots de sa devise, elle ne peut retenir que le premier, la Patrie. La France a, certes, besoin d’ingénieurs pour son développement. Elle a d’abord besoin de soldats, pour recouvrer son âme.
Henri Becquerel, de la promotion 1872 et Henri Poincaré, de la promotion 1873, font partie du petit lot de ceux qui, vestiges de la gloire passée de l’X, portaient encore, à cette époque difficile, le flambeau de la science. Le destin de la radioactivité les a associés.
En 1896, personne, à l’École polytechnique, ne se doute que quatre ans plus tard, quand la Fée électricité émerveillera les visiteurs de l’Exposition universelle de 1900 au Grand Palais, va débuter la Belle Époque, une période particulièrement heureuse. Personne ne peut se douter, bien entendu, que cinq ans plus tard, le 27 mars 1901, naîtra un certain Louis Leprince-Ringuet, qui, avec ses élèves, dont André Lagarrigue22 et Bernard Grégory, redorera plus tard le blason terni de la science à l’X, ainsi que le feront Laurent Schwartz, Jean Mandel et d’autres. Personne ne se doute que le 11 décembre 1903, indifférent au passé, le Roi de Suède fera d’un polytechnicien modeste et tranquille, un symbole du siècle à venir.
Henri Becquerel est mort d’un accident cardio-vasculaire au Croisic, le 25 août 1908, à l’âge de 56 ans, dans la maison familiale de sa seconde épouse, fille de E. Lorieux, ingénieur général des Mines. Il venait, deux mois avant, de rejoindre son ancien professeur de taupe du lycée Louis-le-Grand, le mathématicien Gaston Darboux, comme secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences.
Je remercie vivement tous ceux qui m’ont conseillé et aidé dans l’élaboration de ce texte, et tout particulièrement Madame Madeleine de Fuentes, conservateur de la bibliothèque de l’École polytechnique, Mademoiselle Claudine Billoux et Monsieur Jean-Bernard Debreux, archivistes de la bibliothèque de l’École polytechnique. Je remercie Monsieur et Madame Bonneviot pour leur très aimable accueil dans la propriété familiale de Châtillon-Coligny. Je dois beaucoup à Madame Francine Masson, conservateur de la bibliothèque de l’École des Mines de Paris et ancien conservateur de la bibliothèque de l’École polytechnique, ainsi qu’à Monsieur Emmanuel Grison, ancien directeur de l’Enseignement et de la Recherche de l’X, avec qui j’avais découvert le personnage d’Henri Becquerel lors de l’acquisition, grâce à la COGEMA, de ses notes de cours. -
_______________________________________________
1. H. Becquerel : Sur les radiations émises par phosphorescence, compte rendu Acad. SC. Paris 122, 420 (1896).
2. Son fils Jean (1878−1953, X 1897), professeur au Muséum, répétiteur puis examinateur à l’X, fut élu membre de l’Académie des sciences en 1946, au fauteuil de Jean Perrin.
3. On saura plus tard que les rayons X sont arrêtés par le plomb, utilisé par Lenard, mais pas par le carton.
4. W. C. Roentgen, Sitzber. physik-med. Ges. Würtzburg, 137, déc. 1895.
5. Les rayons X proviennent, comme la fluorescence, du réarrangement des électrons des atomes de la cible, arrachés par l’impact des électrons incidents.
6. Il n’y a pas de véritable différence entre fluorescence et phosphorescence au plan fondamental ; ces deux effets résultent d’une émission lumineuse par des électrons excités. Dans les atomes ou dans les molécules, la désexcitation est très brève, dans certains cristaux, comme les sulfures de zinc ou de cadmium, des impuretés absorbent beaucoup d’énergie, les temps de désexcitation sont plus longs, la phosphorescence de ces corps persiste plus longtemps.
7. H. Becquerel, Recherches sur une propriété nouvelle de la matière, Paris, Firmin-Didot, 1903, page 3 : « Je me suis tout de suite demandé si tous les corps phosphorescents n’émettaient pas de semblables rayonnements. Je fis part de cette idée le lendemain à Monsieur Poincaré… »
8. Dans son enthousiasme, il arrivait à Poincaré de perdre un peu la mémoire ; ainsi publia-t-il un article le 30 janvier 1896 (H. Poincaré, Revue Gén. des Sciences, 7, 52 , 1896) où il reprit la conjecture de Becquerel sans le citer : « Ne peut-on pas alors se demander si tous les corps dont la fluorescence est suffisamment intense n’émettent pas, outre les rayons lumineux, des rayons X de Roentgen quelle que soit la cause de leur fluorescence ? » (Les italiques sont de Poincaré.)
9. C’est grâce à cet appareil qu’Edmond Becquerel avait démontré que le phénomène qu’en 1852 Stokes avait nommé fluorescence, était de la phosphorescence de courte durée.
10. H. Becquerel : Sur les radiations invisibles émises par les corps phosphorescents, compte rendu Acad. SC. Paris 122, 501 (1896).
11. H. Becquerel : Émission des radiations nouvelles par l’uranium métallique, compte rendu Acad. SC. Paris 122, 1086 (1896).
12. À ce moment, la conclusion de Becquerel sur la nature du phénomène est un peu confuse. Il ne parle pas d’origine atomique du phénomène, mais considère qu’il a observé pour la première fois la phosphorescence d’un métal
13. W. Crookes, Proc. Roy. Soc. A 83, XX, 1910.
14. S. P. Thompson, Phil ; Mag. 42, 103, 1896.
15. Chaque semaine, depuis le 27 janvier 1896, Arsène d’Arsonval présentait une communication de Gustave Le Bon sur la « lumière noire ». Ce dernier proclamait qu’il avait, deux ans plus tôt, établi dans le plus grand secret que des formes de lumière traversent les corps opaques : il affirmait avoir photographié cette lumière noire qui pénétrait, d’après lui, les châssis des appareils. Le lundi 24 février 1896, la note des frères Lumière, qui savaient ce que photographier veut dire, est sans équivoque : « La mauvaise fermeture des châssis photographiques, leur défaut d’étanchéité, sont encore des causes d’erreurs fréquentes, dans les expériences du genre de celles qui nous préoccupent. Nous croyons pouvoir conclure que la lumière noire, dont il a été plusieurs fois question dans les comptes rendus, ne serait que de la lumière blanche, à l’abri de laquelle on ne se serait pas placé d’une façon suffisamment rigoureuse. »
16. L’électromètre de Pierre Curie est un perfectionnement de celui construit par Charles Friedel en 1869, pour étudier la pyroélectricité. L’explication de la piézoélectricité avait été le premier grand succès scientifique de Pierre Curie, en collaboration avec son frère Jacques, dans le laboratoire de Charles Friedel.
17. Le statut social de Becquerel, de famille bourgeoise bien introduite dans les milieux parisiens, contrastait avec celui des Curie, d’origine modeste, faisant face à des difficultés matérielles. Il apparaît qu’Henri Becquerel a toujours été d’une extrême bienveillance à l’égard de ses jeunes collègues. Il parvint même à faire nommer Pierre Curie comme répétiteur auxiliaire à l’École polytechnique, malgré l’opposition d’Alfred Cornu. Pierre Curie, qui fut nommé six mois plus tard à la Sorbonne, n’occupa cette fonction que brièvement.
18. Becquerel constate que certains de ces électrons ont des vitesses considérables, proches de celle de la lumière. Les formules habituelles du mouvement des électrons marchent mal, sauf à admettre une masse différente de la masse connue. Becquerel le note, en disant que ce résultat incite à trouver de nouvelles idées sur l’inertie de la matière. La relativité pointait ; Becquerel avait devant lui, sans le savoir, une de ses conséquences.
19. Premiers prix Nobel de physique : 1901, W. C. Röntgen, pour la découverte des rayons X ; 1902, H. A. Lorentz et P. Zeeman, pour la théorie de l’électron et du rayonnement ; 1903, H. Becquerel et P. et M. Curie ; 1904, J. W. S. Rayleigh, pour la découverte de l’Argon ; 1905, P. Lenard, pour les rayons cathodiques ; 1906, J. J. Thomson, pour la découverte de l’électron ; 1907, A. A. Michelson, pour ses méthodes interférométriques et ses mesures de la vitesse de la lumière ; 1909 G. Marconi et C. F. Braun pour la communication télégraphique sans fil. En Chimie, on note : 1904, W. Ramsay pour la découverte de l’hélium, et 1908, E. Rutherford pour l’identification des rayons alfa et des atomes d’hélium ionisés.
20. Henri Poincaré, proposé pour le prix en 1910 et 1912, est mort prématurément en 1912.
21. Avant 1871, l’École normale supérieure n’avait produit qu’un nombre limité de scientifiques de renom : Jules Jamin (38), Louis Pasteur (43), Élie Mascart (58), Gaston Darboux (61), Édouard Branly (65) et Gabriel Lippmann (68). Dans les vingt années suivantes, on trouve les noms des mathématiciens Paul Appell, Émile Picard, Jacques Hadamard, Élie Cartan et Émile Borel, des physiciens Marcel Brillouin, Pierre Weiss, Jean Perrin et Paul Langevin, du chimiste Paul Sabatier, etc.
22. Seule une mort soudaine, devant ses étudiants le 14 janvier 1975, a privé André Lagarrigue (X 1944) du prix Nobel, comme le reconnaît unanimement la communauté scientifique. André Lagarrigue avait découvert les Courants Neutres qui ancraient en 1973 la théorie complète de la radioactivité bêta.