Henry PURCELL : Didon et Enée
Didon et Énée est un opéra court, dense, qui synthétise en une heure tout le style de Purcell. Écrit dans les années 1680, il a été ignoré du temps de Purcell et peu représenté jusqu’au vingtième siècle. Il est même probable que la plus ancienne partition retrouvée, datant de la fin XVIIIe, est incomplète. Le sujet, repris depuis par Berlioz dans sa deuxième partie des Troyens, est tiré de l’Énéide de Virgile. Énée, rescapé de la chute de Troie avec son père et son fils, s’arrête à Carthage sur le chemin de la future Rome. L’amour qu’il partage avec la reine Didon est contrarié par le destin d’Énée qui est de partir établir une lignée sur les rives du Tibre, d’où naîtra l’Empire romain. Didon désespérée en mourra, et les futurs Carthaginois deviendront ennemis héréditaires des futurs Romains pour plusieurs siècles.
Christopher Hogwood fait partie de ces musiciens qui ont très tôt (il y a plus de trente ans) pris le relais des pionniers des interprétations baroques à l’ancienne, sur instruments d’époque avec le style et les phrasés de cette période, ces pionniers de ce grand mouvement étant N. Harnoncourt et G. Leonhardt dans les années soixante. Hogwood, avec Pinnock, W. Christie, F. Brüggen et bien d’autres, a contribué à généraliser ce mouvement et à rendre désormais anachroniques les interprétations des œuvres des années 1650–1780 par un orchestre moderne comme les réalisaient Karajan, Klemperer, Beecham…
La production filmée à Covent Garden en 2009 est très intéressante. Les décors sont simplissimes mais suffisants, et la production vaut principalement pour ce que l’on en entend, la mise en scène et les chorégraphies de Wayne McGregor, qui animent les passages purement instrumentaux et les chœurs. Les décors sont sobres, économiques, voire minimalistes car McGregor considère que la musique a déjà un énorme impact émotionnel. Il a choisi d’animer les chanteurs pour que leurs mouvements accompagnent le chant (McGregor explique lors d’une interview qu’il utilise le fait que 80% de la communication passe sous forme gestuelle).
Musicalement, on l’a compris, nous avons, avec Christopher Hogwood à la direction, l’assurance d’avoir la restitution qui nous semble aujourd’hui la plus fidèle à l’interprétation telle qu’elle se réalisait à l’époque. Tous les chanteurs ont une prononciation parfaite (nous sommes à Londres!), et nous recommandons fortement de regarder cet opéra avec les sous-titres en anglais, très bien faits car fidèles mais pas envahissants, ce qui permet de parfaitement profiter du chant.
Sarah Connolly est magnifique, dans la lignée des grandes Didon qui l’ont précédées, toutes les grandes mezzos du XXe siècle, dont Kathleen Ferrier, Teresa Berganza, J. Baker, S. Graham. La mort de Didon au troisième acte, sur une passacaille lente, est en particulier terriblement émouvante.
L’image est magnifique : on se régale avec les costumes naturels, les mouvements des chœurs et des danseurs. Les sorcières (invention de Purcell et de son librettiste, absentes chez Virgile) sont représentées de façon originale : deux sœurs siamoises se ressemblant naturellement mais de couleur de peau différente. Elles nous épargnent les outrances vocales généralement associées à ce rôle. Vraiment un très beau spectacle, beau concentré de l’art de Purcell, à conseiller sans hésiter.