Hexana, une start-up industrielle et innovante au service d’un nucléaire durable
Sylvain Nizou, président de Hexana, nous présente cette jeune pousse technologique française qui capitalise sur le nucléaire pour apporter des solutions concrètes aux problématiques de décarbonation et d’efficacité énergétique des industries les plus énergivores. Rencontre.
Quel est le contexte autour de la création de Hexana ?
Hexana est une start-up industrielle et une spin-off du CEA qui a vu le jour dans un contexte marqué par le défi de la décarbonation des industries lourdes et de la dépendance aux combustibles fossiles, mais aussi par la relance du nucléaire voulue par le président Emmanuel Macron dans son discours de Belfort en 2022. Cette volonté a été suivie de l’appel à projet France 2030 « Réacteurs Nucléaires Innovants » qui vise l’émergence de nouveaux acteurs français dans la conception de réacteurs nucléaires permettant notamment une meilleure gestion des substances radioactives.
En sa qualité d’acteur de l’innovation et de la recherche dans le monde de l’énergie nucléaire, le CEA a organisé un concours interne en mars 2022. Parmi les 11 projets présentés par des salariés du CEA, dans le top 3, il y avait mon projet, qui était très orienté marché et business de décarbonation et s’articulait autour de l’idée que les nouvelles technologies nucléaires SMR de 4e génération peuvent répondre aux enjeux industriels de décarbonation, et le projet de Paul Gauthé et Jean-Baptiste Droin, articulé autour de la technologie des réacteurs nucléaires à neutrons rapides (RNR) refroidis au sodium.
Hexana, née de la fusion de ces deux projets, incarne donc la rencontre des mondes de la décarbonation industrielle et de l’innovation au service d’un nucléaire durable, et bénéficie aujourd’hui de l’accompagnement du CEA, et du groupe EDF dans son développement.
Hexana travaille donc sur un réacteur nucléaire modulaire à neutrons rapides refroidi au sodium. De quoi s’agit-il ?
Hexana propose de concevoir des réacteurs modulaires de 400 MW thermiques fabriqués en usine. Notre solution innovante est ensuite assemblée et intégrée par paires, sur site, à proximité des grands centres industriels. C’est une solution de cogénération qui génère à la fois de la chaleur à haute température (jusqu’à 500°C) et de l’électricité ultra bas carbone, avec une flexibilité de puissance considérable. En termes d’empreinte carbone, nous avons une émission de CO2 inférieure à 2,5 g par kWh d’électricité produite. Cela représente la plus faible émission de CO2 parmi toutes les solutions de production d’énergies, qu’elles soient renouvelables ou nucléaires.
Notre solution est un réacteur SMR de 4e génération, dit AMR (Advanded Modular Reactor). Il utilise le combustible nucléaire MOX, qui est un mélange entre du plutonium et de l’uranium appauvri. Il n’est pas fabriqué à partir d’un uranium extrait des mines et qu’il faut ensuite enrichir, mais à partir de matières issues du retraitement des combustibles usés d’EDF. Cette démarche permet d’engager la fermeture du cycle du combustible nucléaire et de réduire sa dépendance aux importations de ressources énergétiques comme aux aléas géopolitiques à celui qui peut s’en prévaloir.
Quels sont les atouts de votre solution technologique ?
Hexana développe une solution unique et innovante en s’appuyant sur un cœur technologique mature, la technologie des RNR sodium, qui fait partie du patrimoine technologique français.
Valoriser cette technologie présente pour Hexana l’avantage de ne pas avoir à requalifier des matériaux, de repasser par un prototype, de concevoir et qualifier un nouveau combustible… Cela nous permet de viser directement la mise en service d’une tête de série industrielle à l’échelle 1 (800 MWth / 300 MWe) dès 2035 sur un site français. Pour les investisseurs et les clients, ce parti pris contribue à dérisquer le projet.
D’un point de vue plus opérationnel, la réalisation de 2 réacteurs par installation combinée à la fabrication modulaire réduit les coûts et le temps nécessaire à la fabrication.
De par la nature du combustible que nous utilisons et sa grande disponibilité, nous participons à la stabilisation et à la maîtrise durable des prix de l’énergie au profit de la réindustrialisation et du regain de compétitivité de l’outil industriel de nos clients.
Enfin, l’une des innovations embarquée dans le projet réside dans l’implantation d’un stockage de chaleur sous forme de sels fondus positionné entre le réacteur et son cycle de conversion. Cette architecture particulière apporte de la flexibilité et élimine par conception toutes possibilités d’interactions entre le sodium et l’eau au profit d’une sûreté accrue.
L’ensemble de ces atouts qui inclue la réduction des déchets nucléaires, principe propre aux RNR, rend ce projet de filière AMR sodium particulièrement crédible et singulier parmi la diversité des solutions actuellement explorées.
Hexana contribue donc à accélérer la production d’énergie décarbonée et à défossiliser l’industrie. À quels niveaux apportez-vous des solutions ?
Si la grande majorité des industriels s’est engagée dans une démarche de décarbonation, l’électrification demeurant une option prioritaire efficace, certains ne disposent pas encore de solutions à la bonne échelle offrant un service énergétique compatible avec leurs procédés. Encore aujourd’hui, le carbone et l’hydrogène extraits des hydrocarbures fossiles restent le socle de notre civilisation industrielle du point de vue de l’énergie comme de la matière qu’ils représentent. Or, les avancées technologiques dans la production d’hydrogène bas carbone, la capture du CO2, le dessalement de l’eau et la production de carburants de synthèse (e‑fuels, eSAF) permettent de réduire, voire supprimer le recours à de nouvelles extractions fossiles pour répondre à ces besoins d’hydrocarbures carbonés non fossiles, à condition d’être en mesure de sécuriser une capacité de production considérable d’énergie bas carbone.
En fournissant aux industriels de la chaleur et de l’électricité bas carbone, nous les aidons à se défossiliser, à s’engager dans une économie circulaire du carbone, sans leur imposer de grosses transformations dans leurs procédés ou leurs infrastructures. Cette démarche est très attendue par le transport lourd et longue distance (aérien, fret maritime) qui revendique des besoins de carburants défossilisés considérables (kérosène, méthane ou méthanol de synthèse pas exemple).
Enfin, le stockage thermique qui offre des rampes de puissance similaires à celle des turbines à gaz naturel permet par sa flexibilité d’accommoder l’intermittence de sources renouvelables sans réduire le facteur de charge du réacteur. C’est une solution gagnante pour tous.
Quels sont vos enjeux ?
Sur le plan technologique, nous travaillons sur l’industrialisation de notre système afin de garantir un déploiement et une mise en service rapides et à un coût compétitif.
En parallèle, il s’agit d’encourager la structuration et le développement d’une filière autour du combustible MOX RNR. Nous travaillons activement avec nos partenaires et l’État pour qu’un soutien cohérent soit aussi apporté pour que son démarrage industriel soit effectif à horizon 2035 afin de garantir notre capacité à relever le défi de la neutralité carbone pour 2050.
Au-delà, même si la technologie RNR sodium est connue des autorités de sûreté, nous avons un enjeu de réglementation et de licencing. Dans ce processus, Hexana a la chance de pouvoir compter sur l’expertise de son équipe, sur les acquis de la filière mais aussi sur ses partenaires.
Enfin, nous avons bien évidemment un enjeu humain. Nous recrutons de nombreux talents aux profils variés pour développer Hexana et passer à l’échelle industrielle ! Ce ne sont pas moins de 45 salariés qui nous rejoindront ces prochains mois pour construire l’histoire d’Hexana dans nos locaux d’Aix-en-Provence.
Quelles sont les prochaines étapes pour Hexana ?
Nous travaillons sur les études de conception sur les briques innovantes de notre concept, et sur l’analyse de cas d’usages spécifiques avec nos partenaires, qu’ils soient spécialistes des études d’implantation, des analyses de risques, de la conversion d’énergie ou futurs clients consommateurs. En parallèle, nous lançons actuellement notre première levée des fonds. Si nous disposons déjà d’investisseurs de référence comme le CEA, nous souhaitons ouvrir le capital de la société dès la pré-seed fin 2023 à d’autres investisseurs. Il est donc encore temps de nous approcher pour découvrir cette belle aventure entrepreneuriale Made-In-France mais qui ambitionne de commercialiser sa technologie bien au-delà de l’Hexagone ! Enfin, nous espérons aussi être lauréats de l’AAP France 2030 « Réacteurs Nucléaires Innovants » ce qui confortera la pertinence de notre stratégie et contribuera au financement de notre développement.