Hommage à Claudine Hermann : une pionnière pour les femmes en sciences
Première femme professeure à l’X, Claudine Hermann, décédée le 17 juillet 2021, a été une militante engagée de la promotion des femmes dans les carrières scientifiques.
C’est avec grande tristesse que tous ceux qui ont eu la chance de connaître Claudine Hermann, élèves de l’X, collègues du département de physique et des laboratoires, et bien d’autres, ont appris sa disparition le 17 juillet dernier. Sa bienveillance souriante, son enthousiasme à faire partager son amour de la science, son souci d’équité sans agressivité ni compromission ont marqué l’École pendant trois décennies. Sa détermination à montrer aux jeunes femmes que les carrières scientifiques étaient faites pour elles, à faire prendre conscience aux responsables des organismes français et européens que les mécanismes de promotion restaient marqués par une inacceptable inégalité, marqua une nouvelle phase dans ses activités, surtout lorsque sa retraite de l’X lui en laissa le temps.
Le parcours d’une scientifique
En 1965 elle se présenta aux concours des Écoles normales supérieures car elle souhaitait enseigner dans un lycée. Reçue à l’ENSJF, l’école située à Sèvres, parallèle à celle de la rue d’Ulm pour les garçons, ses enseignantes en physique lui font découvrir l’horizon de la recherche. Si les concours de Sèvres et Ulm sont séparés, les cours sont communs… Tout n’est pas résolu pour autant. Plusieurs Sévriennes ont gardé le souvenir glaçant d’un célèbre professeur de physique, dont il vaut mieux taire le nom, qui entrait dans la salle de classe et saluait l’assistance d’un grossier « bonjour Messieurs ». Ces concours séparés permirent à notre pays de former plus de scientifiques femmes de haut niveau que dans bien des pays, mais un concours unique devint la règle en 1985. Lisons à ce sujet l’interview de Claudine recueillie par son mari Jean-Paul Hermann pour la revue des anciens de l’ENS : « Depuis la mixité […] en 1985 d’Ulm et l’ENSJF, le pourcentage de filles reçues dans les ENS en maths et physique s’est effondré. Ceci a été constaté à partir de 1995, mais quasiment aucune mesure n’a été prise pour aller contre cette situation. »
Enseignante et chercheuse à l’ENS et à l’X
Agrégée de physique en 1969, elle est désormais décidée à entreprendre une carrière de chercheuse et elle prépare une thèse de doctorat d’État au sein du Laboratoire de physique des solides de Paris-VI, sur le pompage optique dans les semi-conducteurs, qu’elle soutient en 1976. Poursuivant la recherche avec un poste d’assistante à l’ENSJF, c’est en 1980 qu’elle rejoint l’École polytechnique. Elle se partage alors entre une carrière de chercheuse au sein du Laboratoire de physique de la matière condensée de l’X, et des fonctions enseignantes comme maîtresse de conférences d’abord, puis professeure à partir de 1992, devenant la première femme à exercer cette fonction. Plusieurs ouvrages d’enseignement de physique des solides et de physique statistique, publiés par les éditions de l’X, témoignent de son désir de mettre les découvertes récentes sur la supraconductivité ou l’optique des semi-conducteurs à la portée des élèves. Les éditions Springer ont publié en 2004 son Statistical Physics avec applications à la physique de la matière condensée. Son rôle au sein de son Laboratoire de physique de la matière condensée dont elle fut directrice adjointe de 1980 à 2005, et du département d’enseignement dont elle fut longtemps vice-présidente, fut essentiel tant elle avait le don de rappeler, avec calme et bonne humeur, les règles de bonne conduite.
À la tête de l’association Femmes et Sciences
Depuis plus de vingt ans Claudine était devenue l’une de voix les plus marquantes en Europe pour tenter de faire prendre conscience à tous de la nécessité de promouvoir la place des femmes dans les sciences depuis les classes préparatoires scientifiques, les grandes écoles, jusqu’aux fonctions de chercheurs dans les organismes publics de recherche et aux fonctions professorales dans les universités. En 2000 elle fonde et préside l’association Femmes et Sciences et elle participe à plusieurs rapports sur la place des femmes. Son ouvrage de 2002 sur Les Enseignantes-Chercheuses à l’Université : demain la parité ? avec Corinne Konrad fut marquant. À l’échelle de l’Europe elle participe à un regroupement d’associations de femmes scientifiques (EPWS) qui compte environ 15 000 membres. Mais elle savait que la route était encore longue, dans la même interview pour la revue des anciens de l’ENS elle précisait : « Il n’y a de ruée nulle part des filles en maths et physique dans l’enseignement supérieur : dans les écoles d’ingénieurs entre 1995 et 2012 on est passé de 22 % à 27 % de diplômes décernés à des filles. Sur cette même période, le nombre de filles parmi les élèves français de l’X a fluctué entre 50 et 60, soit un pourcentage de filles de l’ordre de 15 % à 18 %. En parallèle, les filles sont majoritaires dans les grandes écoles relevant de la filière biologie. Les pourcentages sont analogues à l’université pour les mêmes disciplines, ce qui montre que ce n’est pas la sélectivité des filières qui repousse les filles. »
Elle laisse le souvenir d’une grande dame à ceux qui ont eu la chance de travailler à ses côtés.
« Merveilleuse prof à qui je dois le conseil de donner la priorité au plaisir que l’on prend à faire quelque chose. Immense reconnaissance pour cette conversation qui m’a tant guidée dans mon parcours académique. »
Marina Lévy (89), directrice de recherche au CNRS en océanographie
« Un jour de 1996, en première année, c’est Claudine Hermann que nous avons vue arriver pour enseigner une petite classe car l’enseignant habituel avait un empêchement. Il y avait un modèle de Drude et quelques électrons. Je me souviens bien de l’effet que ça m’a fait d’être enseignée par une femme, d’un âge qui me paraissait certain à l’époque. L’âge a une importance, et la banalité du cadre (une salle de classe) aussi. Avoir en face de soi dans un contexte de calme reconnaissance et de transmission une femme visiblement et naturellement dans le game, ce n’est pas la même chose que les coups de projecteurs sur les stars ou les jeunes pousses qu’on peut croiser de plus en plus fréquemment en conférence, vingt-cinq ans plus tard. Je note en y réfléchissant que cela manque encore de banalité. C’était une simple séance d’exercices mais j’ai vu qu’elle était professeure en majeure de physique l’année suivante. Elle était claire et simple, efficace et bien présente. Je crois que c’est une des rares fois où je me suis sentie capable de compétences cette année-là, c’est une rare fois où la petite voix jugeante s’est tue, comme elle se tait encore quand j’ose questionner sans souci les collègues oratrices alors que je ne sais pas quoi dire aux pauses café des conférences aux prestigieux orateurs masculins… C’est bien plus tard que j’ai entendu parler de Femmes et Sciences, que j’ai répondu aux enquêtes, que j’ai questionné les mécanismes, l’ambiance, l’inclusivité ou ma construction. Mais c’est sans aucun doute un point de départ et un repère, tout à fait équilibrant. »
Nadia Belabas (95), chercheuse CNRS au C2N, Centre de nanosciences et nanotechnologies