“ Horizon 2020 ” : une volonté européenne
Lorsque, en 1983, sous l’impulsion d’Étienne Davignon, commissaire belge en charge de l’achèvement du marché intérieur et des affaires industrielles, la Commission européenne lança le programme ESPRIT (European Strategic Program on Research in Information Technology) – cela sans cadre légal, puisque la politique de recherche ne faisait pas partie de ses attributions –, l’ambition était de relever un des grands défis du moment, après l’échec du projet Unidata où l’on avait voulu fusionner Bull et les activités informatiques de Philips et Siemens.
S’unir pour être plus fort, les États-Unis d’Europe à la hauteur des États-Unis d’Amérique. Ensuite, la réalité, celle d’une union de pays indépendants, aux solidarités économiques partielles, inégaux quant à leur développement scientifique et technologique, reprit ses droits.
REPÈRES
Les programmes européens de recherche et de développement (et désormais d’innovation) font partie du quotidien des chercheurs publics et privés dans tous les pays de l’Union. Ils sont devenus, avec le programme Erasmus, le principal moyen de circulation des personnes et des idées en Europe, et c’est d’autant plus remarquable qu’ils sont nés en marge, et avec un autre objectif.
Ouverture intereuropéenne
L’ambition se reporta sur l’ouverture inter-européenne, la constitution de réseaux trans-frontières, en favorisant les pays les plus faibles.
Un budget en croissance
Les difficultés n’ont pas nui à une montée en puissance régulière tout au long de l’histoire des programmes-cadres. La recherche et l’innovation sont devenues au fil du temps l’une des grandes priorités européennes. Malgré la crise économique majeure qui frappe l’Europe, les budgets ont continué et continueront à croître, sauf une baisse en 2014. Les engagements sont pris pour sept ans, et c’est un gros avantage par rapport aux programmes nationaux, soumis à l’annualité budgétaire.
Cela sur l’ensemble du champ, pas seulement l’informatique. En même temps, on s’orienta vers l’amont, les recherches dites précompétitives où les entreprises sont censées ne pas être en concurrence. La préoccupation produits-marchés s’estompa. Si bien que la Commission eut du mal à afficher des résultats perceptibles par les citoyens ordinaires.
La montée en puissance de la Chine, les effets de la mondialisation furent une autre raison pour introduire davantage d’aval, impliquer plus fortement les entreprises.
Affronter la crise
Les États-Unis d’Europe à la hauteur des États-Unis d’Amérique
L’objectif de communication entre chercheurs européens étant atteint, place aux moyens d’affronter la crise, la concurrence des États- Unis et de l’Asie du Sud-Est. Le septième programme- cadre, 2007–2013, doté de 50 milliards d’euros, fut en partie un champ d’expérimentation : participation des entreprises à la programmation avec les agendas stratégiques de recherche et les Joint Technology Initiatives, partenariats public-privé.
Avec des précautions, car dans cette union à 28, la volonté de jouer entre meilleurs ne peut faire disparaître le souci d’élever le niveau des autres.
D’autre part, le marché commun et l’ouverture à la concurrence restent le fondement de l’Union : le financement d’activités plus proches du marché ne va pas sans débats ni règles de sauvegarde. De fait, le partage de résultats propres à la recherche coopérative a ses limites, de même que la solidarité économique entre les acteurs. Et le montage des consortiums de recherche consomme beaucoup d’énergie pour un résultat incertain, compte tenu de la sévérité de la sélection.
Des programmes attractifs
Face à cette complexité, on pourrait s’étonner de l’attractivité des programmes européens, alors qu’il ne s’agit chaque année que d’une dizaine de milliards d’euros pour 28 pays qui en dépensent 250 milliards en recherche et développement.
Mais ce ne sont pas les pays qui se portent candidats, ce sont des entreprises et des laboratoires ; en proportion de leurs ressources, les meilleurs laboratoires publics dépassent les 10%, ce qui est très incitatif. Les entreprises ont pu être plus réservées, avec un intérêt variable selon les secteurs.
“ Horizon 2020 ”, le nouveau programme
Les longs et difficiles débats entre Commission, gouvernements, Conseil des ministres et Parlement européen ont abouti à un résultat particulièrement positif, compte tenu de la situation actuelle : doter de 79 milliards d’euros courants un programme 2014–2020 de recherche, de développement, de démonstrations et d’innovation de l’Union européenne, prenant en compte le souci de compétitivité des entreprises grâce à l’innovation.
Ce ne sont pas les pays qui se portent candidats, ce sont des entreprises et des laboratoires
Il finance jusqu’à 100 % des coûts éligibles des projets de recherche et d’innovation jugés les plus prometteurs par des jurys internationaux.
Le financement se fait essentiellement sur projet et, pour la partie industrielle, sur projets collaboratifs multipartenaires issus d’au moins trois pays, à l’exception de « l’instrument PME » qui autorise une PME très novatrice à se porter candidate seule.
Les évaluations sont réalisées par des experts indépendants, sur trois critères : l’excellence de la science et de la technologie, l’impact en particulier économique et social, la qualité du consortium et de la mise en œuvre.
Trois piliers
Ce programme est organisé en trois piliers :
- excellence de la science – doté de 22 milliards d’euros ,
- leadership industriel – doté de 15 milliards d’euros ,
- défis de société (grande nouveauté pour un programme de recherche s’adressant aussi aux entreprises, doté de 27 milliards d’euros).
Excellence de la science
Ce premier pilier prolonge l’expérience (réussie) du Conseil européen de la recherche (ERC), qui a lancé des appels à candidatures pour financer les meilleures équipes européennes de recherche scientifique.
Il ne pose pas de problèmes de principe : il n’y a pas d’enjeux économiques immédiats, la compétition internationale est de même nature que celle à laquelle les chercheurs sont constamment soumis pour leurs publications.
Deux autres actions sur la mobilité des chercheurs et les technologies futures et émergentes complètent ce pilier.
Primauté industrielle : technologies de leadership européen
Le leadership dans les technologies clés génériques (KET) et les technologies industrielles (12,1 milliards d’euros) concerne les TIC, les nanotechnologies, les matériaux avancés, les biotechnologies, les systèmes de fabrication et de transformation avancés et l’espace.
Il s’agit d’ores et déjà d’une grande première pour l’Europe
L’accès aux financements à risque (2,6 milliards d’euros) permet de créer un effet de levier pour les financements privés et le capital-risque. L’innovation dans les PME a un budget de 0,6 milliard d’euros.
Au moins quatre nouveautés peuvent être mentionnées : la priorité accordée aux technologies génériques clés (KET), l’extension du financement à des lignes pilote ou à des démonstrateurs industriels, le soutien jusqu’à l’arrivée sur le marché d’un projet de développement novateur présenté par une PME, sans qu’elle ait besoin de s’associer à quiconque, l’innovation tirée par l’aval et plus particulièrement par la commande publique.
Défis de société
Cette nouveauté est le résultat d’un rapport de 2008 qui reprenait le constat de la faiblesse relative des financements de l’Union européenne en recherche et développement par rapport à celui des financements nationaux : quelque chose comme 5⁄95.
Avions-nous si peu de choses à faire en commun ? Rappelant les deux grandes aventures communes du CERN et de l’espace, inspirées par la nécessité puisqu’elles dépassaient manifestement les capacités d’un pays isolé, il recommandait d’identifier de grands défis de société sur lesquels se réunir.
Cela s’est traduit dans “ Horizon 2020 ” par l’architecture suivante :
- santé, changement démographique et bien-être : 6,7 milliards d’euros ;
- sécurité alimentaire, agriculture durable & bioéconomie : 3,5 milliards d’euros ;
- énergie sûre, propre et efficace : 5,3 milliards d’euros ;
- transports intelligents, verts et intégrés : 5,7 milliards d’euros ;
- changement climatique, gestion des ressources et matières premières : 2,8 milliards d’euros ;
- des sociétés inclusives : 1,2 milliard d’euros ;
- des sociétés sûres : 1,5 milliard d’euros.
La suite dira comment ces dénominations assez larges seront comprises, quels partenariats se constitueront, quelles propositions seront présentées et comment elles seront évaluées.
Mais il s’agit d’ores et déjà d’une grande première pour l’Europe : les projets ne sont plus sollicités sur une base technique, mais sur leur capacité à répondre à des questions sociétales identifiées et chiffrées.
Avec environ 50 000 candidatures françaises soumises en réponse aux appels à projets de la CE au cours du 7e PCRD, l’intérêt pour le programme a été incontestable. Cependant, le tableau ci-dessous rappelle que 2% des opérateurs, au premier rang desquels le CNRS et le CEA, ont obtenu plus de 50% des financements. En sept ans, environ 1700 établissements publics et entreprises français ont été sélectionnés et financés. | Intensité des participations françaises au programme « Coopération » du 7e programme-cadre (2007−2013) | ||||
2007 à 2013 | Nombre de participants |
Nombre de participations |
Part du financement cumulé |
Nombre de projets |
|
Grands participants | 2,3 % | 46,3 % | 51,2 % | 29 et plus | |
Participants réguliers | 4,0 % | 14,4 % | 20,7 % | 10 à 29 | |
Participants occasionnels | 34,1 % | 25,9 % | 19,5 % | 2 à 9 | |
Monoparticipants | 59,5 % | 13,5 % | 8,6 % | 1 |
Initiatives technologiques conjointes
Une partie est déjà identifiée, la prolongation des partenariats public-privé en cours sous le nom d’Initiatives technologiques conjointes (JTI) :
- ECSEL : composants électroniques et systèmes embarqués ;
- FCH : piles à combustible et hydrogène ;
- IMI : médicament innovant ;
- Clean Sky : aérien propre ;
- Bio Based Industry : biotechnologies ;
- ShiftRail (2015−2016 ?) : ferroviaire.
Chacune a des règles de financement spécifiques, avec des proportions variables Union-gouvernements et public-privé.
S’y ajouteront des partenariats public-privé contractuels, sorte de « préaffectation » des financements consacrés aux défis : usines du futur, efficacité énergétique des bâtiments, véhicules verts, Internet du futur, industrie de transformation durable, robotique, photonique, calcul à haute performance.
Les 15 principales catégories d’acteurs du 7e PC |
Participation française
Dans ce qu’on connaît aujourd’hui des résultats du 7e PCRD, les acteurs français n’ont récupéré que 12,1 % des financements, alors que la dépense française en R&D représente 15,9 % du total des pays de l’Union. Le rapport des deux proportions donne un indicateur de performance : il est égal à 0,8, au lieu de 0,68 pour l’Allemagne et 1,38 pour le Royaume- Uni. De ce point de vue, celui-ci est le grand gagnant des coopérations européennes, d’autant que sa cotisation au budget total de l’Union est minorée : 12,3 %, au lieu de 16,7 % pour la France et 19,5 % pour l’Allemagne.
Pour la période 2014–2020 qui s’ouvre, si nous voulions porter notre proportion de financement à celle de notre cotisation globale, nous devrions présenter 25 000 candidatures françaises supplémentaires. Où les trouver ?
Le graphique ci-dessus rappelle à quel point les résultats d’un pays sont conditionnés par la structuration de sa recherche. Les universités britanniques, très fortes, sont les premières bénéficiaires des contrats européens. Ce modèle se retrouve aux Pays-Bas. En Allemagne, la répartition est remarquablement égale : universités, organisations de recherche technologique et entreprises font à peu près le même score.
Encore des progrès à faire
Les grands organismes de recherche français sont les seconds bénéficiaires, derrière les universités britanniques. Nos entreprises soutiennent favorablement la comparaison avec les entreprises allemandes au regard de la différence de taille des deux économies.
Ce sont nos universités à forte activité de recherche qui ont le plus de progrès à faire.
Les acteurs français n’ont récupéré que 12,1 % des financements
L’ANRT publie chaque année un palmarès de la recherche collaborative universitaire dans le programme-cadre de recherche de l’Union européenne (classement dit des Capucines).
Les deux premiers français, l’Institut Mines- Télécom et l’université Paris-VI, n’arrivent qu’en 65e et 66e position, très loin des grandes universités britanniques (Londres, Oxford, Cambridge), belges, suisses, néerlandaises, danoises, suédoises, etc. Certes, les équipes universitaires françaises sont mêlées à celles du CNRS et de l’Inserm ; cela rend le décompte difficile, mais ne remet pas en cause le constat.
C’est pour une part celui du progrès que les universités françaises devraient faire en recherche technologique. Mais, et cela risque d’être encore plus sensible dans Horizon 2020, les grandes universités étrangères ont de remarquables capacités de combinaisons entre disciplines différentes.
Pouvoir croiser les compétences scientifiques et techniques « dures » avec l’économie, le management de l’innovation, l’analyse de systèmes, etc., sera précieux. Au-delà de l’objectif « mercantile », Horizon 2020 nous incitera à combler quelques-unes de nos lacunes.