Huit écoles pour un projet offensif, le Polytechnicum de Saclay
REPÈRES
L’article s’appuie sur le rapport d’octobre 2010 du groupe de travail mis en place par l’AX et la Fondation de l’X, composé de François Lureau, Véronique Bauchet, Laurent Billès-Garabédian, Philippe Castillon, Bernard Dubois, Jean-Bernard Lartigue, François Xavier Martin, Robert Mizrahi, Larbi Touahir, Martin Volatier, François Vulliod.
Une opportunité unique de renforcer le modèle de l’École polytechnique
Nous vivons des temps de très forts changements, et ils concernent le devenir de l’École polytechnique qui se trouve aujourd’hui, une nouvelle fois dans son histoire, à la croisée des chemins. Rien n’est donné d’emblée de ses futurs possibles, si ce n’est que bien peu de chose restera en l’état. Il importe donc de disposer d’une analyse aussi précise que possible pour éclairer les décisions structurantes qui devront être prises à très court terme.
Trois points sont développés ci-après : l’analyse de l’environnement de l’École, l’adéquation de la formation dispensée par l’X, les relations avec le campus de Saclay et ParisTech, et les scénarios du possible, dont celui que ce groupe a présenté aux Conseils d’administration de l’AX et de la Fondation.
L’ENVIRONNEMENT DE L’ÉCOLE
Concurrences et financement
Trois facteurs fondamentaux sous-tendent l’environnement de l’École :
la concurrence mondialisée du marché des grands professeurs et chercheurs, des partenariats d’enseignement et de recherche, des diplômes, des sites et modèles universitaires, du recrutement des hauts potentiels par les entreprises – mondialisation médiatisée et exacerbée par les classements internationaux ;
la concurrence française engendrée par la réforme des universités, et les évolutions des grandes écoles elles-mêmes, en particulier les écoles de commerce dont on doit reconnaître les succès dans l’industrie et les services, comme dans la haute administration via l’ENA ;
le financement qui, s’il semble devoir être généreux à court terme grâce au Plan campus et aux investissements d’avenir, a de grandes chances d’être plus que parcimonieux à brève échéance compte tenu de l’état des finances publiques.
Dans ce contexte, le projet de campus de Paris- Saclay, une priorité du président de la République, est entré dans une phase de décision politique active. Ce projet est riche en opportunités de partenariats et en projets structurants liés aux investissements d’avenir. Il peut aussi être lourd de menaces à terme pour les projets éducatifs des grandes écoles.
La position prééminente de l’X
Près de 3000 étudiants
En termes d’effectifs, l’École polytechnique se compare très raisonnablement avec la School of Engineering du MIT : 2799 étudiants (dont 2 004 ingénieurs polytechniciens) ; 660 enseignants ; 1600 personnes dans le Centre de recherche ; 1 100 publications par an ; 700 étudiants internationaux en provenance de 60 pays ; 179 accords avec des universités étrangères.
Collectivement, les grandes écoles de ParisTech dont le destin est à Palaiseau (X, Agro, Mines, Télécom, ENSTA, ENSAE, IOGS) ont pris conscience de cette urgence.
Après des années d’immobilisme, le chemin parcouru par ParisTech ces tout derniers mois est impressionnant. Individuellement, ces grandes écoles doivent maintenant reconnaître la position prééminente de l’X à Palaiseau, sous une forme à déterminer, et agir de façon très coordonnée avec l’X pour promouvoir une solution respectant les identités de chacun tout en disposant d’une gouvernance forte et efficace.
Une compétence pluriscientifique et pluritechnique unique au monde
Les grandes écoles ont une opportunité unique de renforcer leur modèle tout en apportant une fondation essentielle pour la construction du campus de Saclay, ce qui implique une coopération à forte valeur ajoutée avec ses autres acteurs, à commencer par l’université Paris- XI et les grands organismes de recherche présents sur le Plateau.
Le système X 2000
Le cursus de trois ans délivré à l’École, plus la quatrième année, recouvre le concept original des « écoles d’application » selon le modèle de référence de formation des » ingénieurs à la française « . Il est désormais complété par la Graduate School de l’X (masters et doctorats).
Il est, malgré ses spécificités – statut militaire, gouvernance partagée par un président de Conseil d’administration et un directeur général officier général, le mieux classé des institutions françaises au Times Higher Education et continue à jouir en France et à l’étranger d’un prestige incontestable.
Principales recommandations
Le cursus ingénieur est la pierre angulaire de la formation dispensée à l’École et doit impérativement être en permanence confronté aux meilleures pratiques : un meilleur suivi d’un stage de première année, mieux ciblé et raccourci, composante initiale d’une formation comportementale (soft skills) améliorée ; la mise en place de filières différenciées (recherche, direction d’activités complexes, innovation) ; la mise en place en troisième année d’une formation systèmes complexes obligatoire pour tous les étudiants du cycle polytechnicien ; le changement d’échelle de la formation en systèmes complexes de la Graduate School, afin de former plusieurs dizaines d’étudiants chaque année ; la définition d’une appellation anglophone promotionnelle du master de fin de troisième année (ingénieur de l’École polytechnique) ; pour la filière recherche, ainsi que pour les élèves souhaitant afficher à l’international un diplôme de PhD, la mise en place d’une troisième année renforcée permettant de commencer un doctorat dès la quatrième année ; pour les autres filières, l’augmentation de la durée des stages en entreprise et l’amélioration de leur suivi ; l’intensification de la formation dans les matières autres que scientifiques ; l’établissement avec chaque élève d’un projet de cursus comprenant obligatoirement un séjour à l’étranger (université ou stage), un stage dans un environnement de recherche ainsi qu’un stage en entreprise ; l’accompagnement professionnel des anciens élèves pendant leurs premières années d’activité.
L’ADÉQUATION DE LA FORMATION
L’ingénieur du XXIe siècle
Il existe un assez large consensus entre la plupart des études françaises et étrangères pour définir les qualités de l’ingénieur qui saura répondre aux défis du XXIe siècle : une compétence pluriscientifique et pluritechnique ne se limitant pas à un seul domaine d’application ; une compétence en gestion (projets, finances, entités) ; des compétences comportementales (travail en équipe et de direction d’équipes, communication, négociation, etc.) ; une capacité à gérer la complexité (technique, organisationnelle, humaine) ; une ouverture à l’innovation et à l’entreprenariat ; une capacité à travailler dans un contexte international (langues, cultures différentes) ; une volonté d’actualiser ses connaissances tout au long de sa carrière ; une compréhension des enjeux du XXIe siècle.
La formation polytechnicienne
Avoir ou conserver un niveau d’excellence reconnu au niveau international
De toutes les formations mondiales d’ingénieurs, c’est sans doute l’X qui répond le mieux à l’impératif numéro un (compétence pluriscientifique et pluritechnique). Si on y ajoute la qualité exceptionnelle de son recrutement (qui résulte de raisons historiques et culturelles propres à notre pays, mais dont la pérennité n’est pas assurée) cela constitue l’atout essentiel de l’École dans la compétition mondiale.
Ces caractéristiques constituent des atouts significatifs dans trois types d’activités :
recherche (recherche en entreprise et recherche académique) tirant parti du caractère polyscientifique de leur formation qui devrait les rendre efficaces dans des domaines pluridisciplinaires ou se plaçant à l’interface entre plusieurs disciplines ;
direction de projets particulièrement complexes et d’entités, à condition qu’ils aient acquis une bonne maîtrise des outils de gestion et des compétences comportementales correspondantes ;
développement d’innovations pouvant éventuellement conduire à la création d’entreprises, principalement dans des domaines à forte composante technique.
Il conviendrait donc que l’École propose assez tôt aux élèves la possibilité de s’orienter vers trois filières de compétences couvrant chacun de ces types d’activités, qui demandent un dosage différent de formation scientifique, technique, comportementale et de gestion.
LE CAMPUS ET PARISTECH
Des objectifs ambitieux
La structuration du campus de Saclay est un enjeu national à la réussite duquel notre communauté peut et doit activement contribuer.
HEC apporte un complément indispensable pour la dimension économique et managériale
S’agissant de l’X stricto sensu, il est nécessaire de rappeler et de veiller à la tenue des objectifs suivants : fournir à la société française et au marché mondial des cadres supérieurs dans le management des systèmes complexes, l’innovation et la recherche pour les secteurs public et privé ; développer la pluridisciplinarité et la transversalité en s’appuyant sur une formation académique de très haut niveau ; avoir ou conserver un niveau d’excellence reconnu au niveau international ; poursuivre la politique de diversité sociale et internationale dans les recrutements ; être le moteur de la constitution sur le plateau de Saclay d’un ensemble enseignement-recherche-innovation de niveau mondial ; entretenir et développer des liens profonds avec le monde industriel ; développer l’accès à des ressources financières autres que les dotations budgétaires en vue de s’adapter progressivement à un modèle économique rénové.
On peut identifier trois scénarios pour l’École :
– un scénario stand alone,
– un scénario scientifique jouant sur l’excellence académique,
– un scénario Polytechnicum regroupant autour de l’X un ensemble de sciences et d’ingénierie.
Le scénario stand alone
L’X se concentre sur la formation d’ingénieurs dans les domaines jugés stratégiques pour l’État, en liaison avec ses écoles d’application. Sa recherche s’insère dans les initiatives de Paris-Saclay.
Si ce scénario, vu de très loin, répond aux considérations sur le rayonnement international et la recherche, il est par contre fragilisant pour le maintien de la tutelle actuelle et surtout, il paraît inopérant compte tenu du nombre des acteurs et du caractère disparate de leurs modes de fonctionnement. On ne peut se satisfaire d’un tel manque d’ambition et du refus apparent de prendre en compte l’environnement extérieur.
Le scénario scientifique
L’X développe sa vocation scientifique de haut niveau, dans tous ses cursus (ingénieurs et masters), en liaison avec Paris-XI et l’ENS Cachan.
Elle renforce la place de la recherche dans son enseignement et joue un rôle fort dans les initiatives scientifiques et industrielles du Plateau.
La capacité pour l’X d’assurer ses missions de formation risque de devenir peu crédible, notamment aux yeux du monde de l’entreprise, et la tutelle, dans ce cas, pourrait-devrait évoluer avec remise en cause de l’identité de l’École. Le risque de césure entre l’X et le monde de l’entreprise est réel et donc à éviter en préférant un scénario plus en cohérence avec le cœur des compétences de l’École.
Le scénario Polytechnicum
Trois questions
La solution du Polytechnicum pose trois questions délicates : la pérennité des identités des grandes écoles participantes et de leur cycle ingénieur dont elles restent totalement responsables, avec la perception d’être « reléguées » en troisième rang après Saclay et le Polytechnicum ; la mise en commun éventuelle de la recherche qui, outre l’accord à obtenir des grands organismes de recherche correspondants, devra être perçue par les enseignants-chercheurs comme un symbole d’excellence mondiale, image qui peut mettre du temps à se construire ; la marque, question très importante qui devra être traitée avec le plus grand professionnalisme. Une combinaison entre Polytechnique, ParisTech et Saclay devrait pouvoir satisfaire l’ensemble des parties prenantes.
Les Écoles présentes sur le site de Palaiseau, plus HEC, se logent sous une structure « abritante « , qui devient leur unique façade institutionnelle.
Elles se recentrent sur leurs cursus ingénieur et gèrent leurs équipes de recherche jusqu’à leur convergence. Elles mettent en commun leurs graduate schools et leurs installations, et se dotent d’une stratégie de recherche commune.
Ce scénario est fondé sur la perspective des bénéfices à tirer de la présence simultanée à Palaiseau, à proximité immédiate de l’X, de six autres établissements formant des ingénieurs selon les mêmes principes, auxquels HEC apporte un complément indispensable pour la dimension économique et managériale.
Les avantages du Polytechnicum
Le Polytechnicum ainsi défini forme une personnalité juridique de poids, apte à négocier pari passu avec les universités et autres « pôles » de Paris-Saclay. Il accroît la visibilité internationale (une school of engineering multidisciplinaire) ; il conforte le modèle des grandes écoles, il possède une gouvernance permettant les décisions, qui simplifie aussi la gouvernance au sein de Paris-Saclay.
Il permet également aux écoless de préserver leur personnalité et leurs tutelles (mais autorise des restructurations), il les incite à se différencier et créer une offre de formation cohérente.
Une initiative forte et visible est donc nécessaire et urgente pour donner aux Écoles une position solide au sein de Saclay, et, instruites par l’expérience de ParisTech, avec la mise en place d’une gouvernance forte de la réunion des Écoles. Il est indispensable et attendu que l’X entraîne les autres Écoles à adopter l’une des formes possibles de la solution « Polytechnicum » et à adapter ParisTech à ce projet.
Par surcroît, ce Polytechnicum sera un formidable pôle d’attraction au sein de Saclay et la visibilité mondiale deviendra un fait.
Les clés du succès
Cinq conditions clés doivent être remplies pour aller de l’avant. L’engagement suppose que les écoles de deux ministères, au minimum, acceptent la voie proposée. L’excellence veut qu’elles partagent une vision commune dans leurs recrutements en master et doctorat, et dans leur recherche. Le nom de la structure commune aura vocation à être promu comme marque. La gouvernance comprendra un président-directeur général, qui devrait être le président de l’X, au moins pour la phase de mise en place. Le financement suppose que les tutelles préaffectent les budgets des Écoles entre la part École et la part structure commune.
Commentaire
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madame
je suis heureuse de constater que le développement d’activités innovantes et de la création d’entreprises fait depuis l’origine la force de l’X et sa nature profonde : quand j’ai féquenté les bancs de l’Ecole, on ne nous parlait, comme dans la majorité des Grandes Ecoles françaises, que de grands groupes pas vraiment de création d’entreprises. J’ai du probablement manqué un cours. en tout cas, il est salutaire pour l’économie de la France que l’Ecole intervienne sur ce sujet.