Huit grandes tendances mondiales appelées à changer l’économie bancaire
Quand il était président de HSBC, Sir John Bond a déclaré un jour : » Les banques sont fondamentalement un jeu d’effet de levier sur les économies dans lesquelles elles opèrent. » Si nous nous plaçons dans cette perspective, comment regarder les tendances qui affecteront l’industrie bancaire au cours des dix aux vingt prochaines années ?
Si prédire les cycles courts est difficile, il est possible d’esquisser les tendances de long terme à travers l’impact combiné des huit changements que nous mettons en évidence ici.
L’âge des marchés de capitaux
Les actifs financiers mondiaux devraient quasiment quadrupler et passer de 136 000 milliards de dollars en 2004 à plus de 500 000 milliards de dollars en 2020. Cette croissance des actifs financiers va dépasser celle du PIB. Banque d’investissement, gestion d’actifs et banque privée en profiteront massivement.
La croissance est généralement le produit d’un cercle vertueux. Les techniques de titrisation deviennent toujours plus sophistiquées à mesure que la technologie de la désintermédiation s’améliore, tout cela permettant au capital de trouver des profils de risque différenciés (et non corrélés). Il est déjà possible de titriser et de négocier des risques aussi différents que les catastrophes naturelles, le défaut de paiement sur un prêt bancaire, la valeur d’un logement individuel ou la volatilité du marché d’une matière première. Cette tendance va se poursuivre alors que de nouvelles classes d’actifs font leur apparition et permettent aux investisseurs d’améliorer le profil risque-rendement de leurs portefeuilles. Si l’évolution du marché américain peut servir de guide, les banques tireront bénéfice de la mise en place ou du renforcement de leurs franchises de clientèle wholesale et d’une attention particulière portée à des secteurs comme l’immobilier. De nouvelles opportunités vont également se présenter dans le secteur public, avec l’essor du financement public-privé.
Cela n’empêche pas, naturellement, la croissance de produits titrisés plus traditionnels. Depuis 1993, 29000 milliards de dollars de titres de dette privée ont été émis, soit plus du double de la dette des États. Le marché des titres de dette privée devrait croître plus rapidement que les autres pour représenter 29% des actifs financiers en 2010, soit juste au-dessus de leur part en 1980.
Les mouvements de capitaux vont aussi affecter la banque commerciale traditionnelle, alors que les relations entre l’origination et l’underwriting des prêts se distendent. Les banques dont les fortes franchises clients leur permettent de maîtriser l’art d’évaluer le prix du risque et de gérer activement leur portefeuille de crédit vont prospérer. La banque d’investissement devrait cependant se montrer gourmande en fonds propres alors que les opérations pour compte propre et les opérations de capital-investissement génèrent une part toujours plus importante de revenus.
L’âge du vieillissement
Le phénomène est connu : les populations des pays les plus développés et de certains pays d’Asie vieillissent. Cela va d’abord affecter les flux d’épargne. Cette tendance démographique combinée au fait que chaque génération épargne moins que celle qui l’a précédée pourrait avoir pour effet de réduire les flux d’épargne individuelle dans les vingt prochaines années, de 35 à 40%! C’est une mauvaise nouvelle pour l’industrie mondiale de la gestion d’actifs.
Il y a aussi un effet secondaire qui a moins retenu l’attention : dans les dix prochaines années, dans un pays qui vieillit rapidement comme l’Italie, les actifs détenus par les retraités seront sept fois plus importants que ceux de la population qui épargne pour sa retraite. Ces clients âgés auront des besoins radicalement différents de leurs prédécesseurs liés à leur longévité, aux dépenses supplémentaires de santé, à l’inflation et à un éventuel et brutal effondrement des marchés d’actions au début de leur retraite. Les sociétés de services financiers vont devoir développer des produits qui soient moins lourds pour leurs bilans et relativement simples.
Les frontières entre assurance traditionnelle, gestion d’actifs et banque d’investissement vont s’estomper et les nouveaux acteurs auront vite fait de repérer et de répondre à cette opportunité.
L’âge de la valeur client
Historiquement, les banques se sont positionnées de la même manière que les avocats, avec des attributs de marque comme la confiance, l’exactitude et la discrétion. En dehors de cela, les offres de services et les gammes de produits étaient virtuellement interchangeables d’une banque à l’autre. Il y avait une bonne raison à cet état de choses. Les banques étaient alors des lieux où on dépose son argent et effectue des paiements physiques. Désormais, la fréquentation des agences évolue et la confiance dans les banques est à un plus bas historique dans de nombreux pays.
Dans d’autres industries sophistiquées orientées vers la consommation, le positionnement des marques est destiné à attirer des segments cibles définis très précisément. Sur plusieurs marchés, les banques directes et les banques postales offrent le « produit simple à bas coût » qui trouve preneur. À l’autre extrémité de l’échelle des prix, la banque privée offre la solution haut de gamme bien que là encore il y ait largement de quoi faire pour améliorer les propositions aux clients.
Entre ces deux extrêmes, il y a une population nombreuse qui tombe dans toutes sortes de segments de clientèle : les épargnants inquiets, les familles, les gens éduqués et attentifs au contrôle des coûts, etc. Que ce soit à travers l’offre de carte, le conseil financier ou toute une myriade de services bancaires, les banques doivent saisir ce qui guide le comportement de ces segments. Les marques se renforcent seulement si elles sont en phase avec les gens, et la marque n’est rien d’autre que la composante la plus visible d’une stratégie orientée vers le client.
Les banques seraient également avisées de faire preuve d’excellence dans la gestion de l’expérience des clients aux moments critiques (les « moments de vérité ») et de l’idée que ceux-ci se font des prix et de la valeur. Le service au client pourrait se révéler une arme déterminante de concurrence à mesure que l’approche commerciale passe de campagnes centrées sur les produits à un dialogue avec le client sur ses besoins. La hausse constante des dépenses de marketing et de publicité devrait ainsi accroître la pression concurrentielle.
L’âge de l’innovation
La révolution technologique n’est pas terminée. La technologie en soi ne produit pas l’innovation mais elle la rend possible. Des innovations bien connues comme le modèle en ligne d’ING, l’OpenPlan offset mortgage de Barclays, la nouvelle plate-forme de trading de fonds de JP Morgan et le marché primaire sur actions en ligne d’UBS sont autant d’exemples de la façon dont les nouvelles technologies permettent de profonds changements de l’offre de produits et des modèles de service des banques.
Aussi profondes mais peut-être moins spectaculaires sont les innovations de la distribution dans l’activité banque de détail : moins de guichets, plus de diversité dans l’organisation des agences et concentration des efforts sur la vente et le conseil. Ces changements ne sont pas révolutionnaires. Ils ont été prédits depuis une vingtaine d’années et se sont lentement imposés sur certains marchés. En Europe, la part des coûts de personnel est passée de 59% à 54% au cours des dix dernières années. Elle pourrait tomber à 44% d’ici à 2020.
Autre effet de la technologie : la croissance régulière des paiements électroniques observée au cours des dernières années. NTT DoCoMo a utilisé l’Internet et la technologie évolutive RFID pour mettre en place un système de paiement électronique qui commence à mordre le monopole des banques japonaises.
L’âge du risque et de la réglementation
Dans un monde qui change rapidement, la capacité des banques à gérer le risque devient un facteur de différenciation. Pourtant, trop souvent, les banques sont prises par surprise, y compris pour des catégories classiques de risques comme les risques de marché ou de crédit, notamment par la créativité de traders ou d’arbitragistes créant des structures de risque toujours plus complexes. En même temps, les risques systémiques se multiplient et constituent de sérieux défis pour les banques et les régulateurs. Étant donné l’importance des banques dans l’économie, les régulateurs s’efforcent de ne pas se laisser dépasser par ces évolutions. Parallèlement, Bâle II crée des opportunités d’arbitrage qui risquent de surexposer les banques les moins sophistiquées.
En Europe, la réglementation joue aussi un rôle actif dans l’harmonisation des marchés nationaux – d’abord dans la banque de gros et maintenant dans la banque de détail. Elle facilite la concentration transfrontières afin de parachever le marché unique.
Ces évolutions représentent une très lourde charge financière et une complexité opérationnelle pour les banques. Celles qui n’ont pas la taille suffisante pour les maîtriser et en profiter seront contraintes de simplifier leur organisation et de réduire la palette de leurs activités.
L’âge des plates-formes mondiales
Les banques opèrent toujours plus à l’échelle internationale : les 25 plus grandes banques européennes réalisent presque la moitié de leurs affaires en dehors de leurs marchés nationaux.
Des programmes Lean ou Six-Sigma, empruntés à l’industrie automobile, ont été mis en place dans le cadre de programmes de réduction des coûts, d’amélioration de la productivité et de la qualité du service. Les processus sont plus standardisés et les volumes sont concentrés là où des économies d’échelle peuvent être réalisées. Beaucoup de banques externalisent certaines tâches ou les délocalisent dans des régions moins coûteuses.
Il n’est pas exagéré d’imaginer que, dans vingt ans, les grandes banques internationales auront des installations offshore de taille mondiale qui rempliront des fonctions remplies auparavant par des unités individuelles séparées. HSBC par exemple emploie plus de 10 000 personnes dans huit centres opérationnels répartis au Brésil, en Chine, en Inde et en Malaisie. De même, American Express, Citigroup et d’autres grands émetteurs de cartes de crédit ont créé des installations offshore pour servir leurs bases de clientèle mondiale. Standard Chartered par exemple a 13% de son personnel (hors call center) dans des installations offshore.
Les banques qui tirent avantage de la standardisation transfrontalière des produits et des plates-formes informatiques globales s’assureront un avantage compétitif du fait de substantielles économies d’échelle.
L’âge de la concentration
Entre 1980 et 2005, la part des actifs bancaires mondiaux détenue par les 30 plus grandes banques américaines et européennes a augmenté de 8 % à près de 30 %. En Europe, un quart des 100 premières banques opérant en 1993 a été racheté et un tiers a fusionné. D’ici à 2010, nous pourrions très bien voir des institutions financières dont la capitalisation boursière atteindrait les 500 milliards de dollars.
Ces « mégabanques » opèrent dans 20 à 30 pays, emploient des centaines de milliers de personnes, construisent des marques mondiales et ont entre 50 et 100 millions de clients. La convergence des marchés et des systèmes aidera ces banques à faire des économies d’échelle croissantes et à traverser les frontières.
Les investisseurs sont de plus en plus convaincus que les banques hautement performantes peuvent créer de la valeur par des acquisitions parce qu’elles sont des propriétaires et des opérateurs de qualité supérieure.
La difficulté à diriger de telles organisations est énorme. Dans les banques d’aujourd’hui le quart du personnel peut être considéré comme des professionnels ou des travailleurs qualifiés. Ils créent de la valeur en générant ou en échangeant de la connaissance avec leurs pairs. De nouveaux modèles organisationnels et de gestion de la performance sont nécessaires.
L’âge du réalignement géographique
Avec la fameuse » globalisation « , l’industrie bancaire subit une véritable secousse sismique. Cependant, il faut souligner que les États-Unis et l’Europe auront encore la plus grande part des revenus supplémentaires générés – parce que le moteur des revenus bancaires est davantage l’accumulation totale des actifs financiers que la croissance du PIB. Même si la croissance future est en Asie, ce serait encore les grandes banques à forte présence en Europe, aux États-Unis et peut-être au Japon qui vont continuer à dominer les marchés bancaires internationaux.
En Asie, en Europe et en Amérique latine, la distribution des revenus tend à s’élargir à mesure que les revenus croissent. En outre, dans un monde vorace en énergie, il y aura des opportunités importantes dans les douze pays qui contrôlent environ 70% des réserves mondiales en énergie. Il y a donc de belles opportunités à saisir dans les vingt prochaines années dans la gestion de patrimoine.
Enfin, il est trop tôt pour dire si les marchés bancaires asiatiques seront dominés par des banques américaines ou européennes, comme c’est le cas en Europe orientale et en Amérique latine, ou si des acteurs locaux puissants vont les défier. La politique va probablement jouer un grand rôle dans la structuration finale de l’industrie.
L’industrie bancaire ressemblera-t-elle en 2020 à celle de l’automobile aujourd’hui ? Contrairement à l’automobile, le métier de la banque est fondé sur la relation personnelle avec le client, où les comparaisons de prix sont difficiles à faire et où la simple réalisation d’économies d’échelle n’est pas une question de vie ou de mort.
Le système économique devrait rester riche. Il y aura certes plus de banques globales multispécialités comme HSBC et Citigroup. À côté d’elles, il y aura des spécialistes globaux ou régionaux opérant à l’échelle mondiale mais sur des combinaisons sélectives de produits et de segments. Les activités comme la conservation, les paiements et le traitement seront probablement le fait de quelques acteurs qui peuvent s’appuyer sur d’énormes économies d’échelle et servir la plupart des banques du monde. Les banques de proximité et les banques régionales vont continuer à prospérer en se concentrant sur le cœur de leur base clients et en utilisant les acteurs globaux pour tout ce qu’elles ne peuvent pas faire elles-mêmes avec efficacité.