Huit X 2014 en Israël, au cœur de la recherche

Dossier : TrajectoiresMagazine N°710 Décembre 2015
Par Rémi PAUTRAT (14)
Par Gustave RONTEIX (14)

Pour cette pre­mière World Science Confe­rence Israel (WSCI), 400 élèves invi­tés pro­ve­nant de 71 pays dif­fé­rents, 13 lau­réats du prix Nobel et une médaille Fields sont venus pré­sen­ter leurs domaines de recherche, et un pro­gramme char­gé de confé­rences, échanges entre étu­diants et décou­verte d’Israël avait été organisé.

La délé­ga­tion fran­çaise com­pre­nait huit élèves de l’X, trois étu­diants de l’ENS Ulm et deux de l’université de Stras­bourg. Accom­pa­gnés d’un cadre mili­taire de l’École, nous nous sommes donc envo­lés vers un pays qui, bien qu’il fasse régu­liè­re­ment par­ler de lui dans l’actualité, reste glo­ba­le­ment mystérieux.

UNE INITIATION ET UNE SOUDURE

Les organisateurs ont formé des groupes d’une dizaine de personnes où les nationalités étaient mélangées et mis en contact ces étudiants plusieurs semaines à l’avance. Leur mission : mettre au point un poster scientifique résumant une innovation récente et proposant de nouvelles pistes de recherche.
Il a fallu faire connaissance avec les autres membres du groupe puis apprendre à travailler ensemble à distance sur un sujet nouveau. Une véritable initiation à la recherche au niveau international.
À la fin du séjour, les meilleurs posters ont été récompensés. Un tel projet a permis de souder les équipes de manière remarquable.

Conférences et dialogues

Les confé­rences cou­vraient des domaines variés : phy­sique, bio­lo­gie, chi­mie ou encore mathé­ma­tiques. Entre confé­rences magis­trales et échanges entre prix Nobel à pro­pos du but de la recherche aujourd’hui, les inter­ven­tions étaient pro­di­gieu­se­ment intéressantes.

La WSCI est un moyen de prendre du recul sur les connais­sances actuelles, et de faire com­prendre aux élèves invi­tés – futurs cher­cheurs du XXIe siècle – com­bien il est pri­mor­dial de dia­lo­guer avec les cher­cheurs du monde entier afin de par­ta­ger ses propres tra­vaux, mul­ti­plier les points de vue et confron­ter les opi­nions pour abou­tir à un tra­vail vrai­ment original.

Des contacts durables

Tout était fait pour que les délé­ga­tions se mélangent et osent tis­ser des liens entre étran­gers. Mieux qu’un bagage de connais­sances, il faut rete­nir de cet évé­ne­ment des contacts durables pré­cieux éta­blis avec des futurs cher­cheurs du monde entier.

Une dynamique scientifique et innovatrice

Les 400 par­ti­ci­pants réunis sur la place de l’Université hébraïque de Jéru­sa­lem.

Israël pos­sède un for­mi­dable dyna­misme scien­ti­fique et accorde une impor­tance par­ti­cu­lière à l’éducation. Plu­sieurs scien­ti­fiques modernes ont vécu une par­tie de leur for­ma­tion ou ont tis­sé des liens par­ti­cu­liers avec ce pays au cours de leurs travaux.

Ain­si, Albert Ein­stein a contri­bué à la fon­da­tion de l’Université hébraïque de Jéru­sa­lem en 1918 ; c’est pour­quoi il a été choi­si pour être le « par­rain » de cette pre­mière édi­tion de la WSCI.

Israël est aus­si une terre d’entrepreneurs. Il est édi­fiant de comp­ta­bi­li­ser le nombre de start-ups. Une après-midi était consa­crée à la pré­sen­ta­tion des toutes der­nières inno­va­tions israé­liennes : inutile de pré­ci­ser qu’elles étaient renversantes.

Un pays complexe en pleine évolution

La WSCI, cap­ti­vante par son inté­rêt scien­ti­fique, a aus­si été l’occasion d’un voyage au cœur de la culture israé­lienne, loin de tous les cli­chés, expo­sant para­doxes et complexité.

Décou­vrir un fas­ci­nant mélange de cultures, d’histoires et de regards dans un cadre excep­tion­nel­le­ment tolé­rant est un sou­ve­nir fort que nous gar­de­rons de cette semaine.

La science, un enjeu et une passion religieuse

L’image que nous, Fran­çais, avons d’Israël est miti­gée. Nous n’en enten­dons pas sou­vent par­ler pour d’autres rai­sons que la crise pales­ti­nienne ; nous avions donc une cer­taine appré­hen­sion. Dans l’avion, un jour­na­liste fran­çais étaye notre intui­tion : les orga­ni­sa­teurs sou­haitent jus­te­ment pré­sen­ter « une autre facette d’Israël », un pays inves­tis­sant lour­de­ment dans la recherche et dans l’éducation, à l’avant-garde de l’entrepreneuriat.

Mais l’intérêt por­té à la science va au-delà d’un cal­cul poli­tique. Un dis­cours d’Avigdor Liber­man (alors ministre) évoque la science comme un enjeu sécu­ri­taire dont dépend la sur­vie même d’Israël. Robert Aumann, prix Nobel d’économie 2005 et hare­di (ultra-ortho­doxe), men­tionne des moti­va­tions reli­gieuses dans la pas­sion tech­no­lo­gique et scien­ti­fique du pays.

Ces niveaux de lec­ture entre­croi­sés expliquent com­ment un pays de quelques mil­lions d’habitants a pu accu­mu­ler un tel capi­tal scientifique.

La cohabitation passe par le statu quo

Néan­moins, la mul­ti­pli­ca­tion des enjeux poli­tiques, reli­gieux et sécu­ri­taires est omni­pré­sente et force le malaise.

La Vieille Ville de Jérusalem
Visite de la Vieille Ville de Jéru­sa­lem en petits groupes.

Comme le pre­mier soir où un juif fran­çais vient nous remer­cier de venir en Israël sans céder aux cli­chés : « Quand vous serez ren­trés, mon­trez-leur, à vos amis, que nous sommes normaux. »

Dans la Vieille Ville de Jéru­sa­lem, on sent le poids de l’histoire et du mys­tique : ici la cita­delle de David, là le Gol­go­tha. Plus loin, un groupe de nonnes che­mine tan­dis qu’un homme en djel­la­ba vend le Coran à la criée. Et mal­gré ce qu’on pour­rait pen­ser, tout le monde semble coha­bi­ter paci­fi­que­ment grâce à la loi suprême de la ville : le sta­tu quo.

La cité his­to­rique est décou­pée en quatre quar­tiers (musul­man, juif, chré­tien et armé­nien) sépa­rés par deux rues for­mant le bazar, et par­tout les règles ont été façon­nées par les siècles. Ain­si le Saint-Sépulcre : depuis 1767, un décret divise l’autorité des trois gar­diens que sont l’Église ortho­doxe grecque, l’Église catho­lique romaine et l’Église apos­to­lique arménienne.

Depuis, nul pro­jet ne peut se conduire sans l’accord des trois par­ties, ce qui explique par exemple cette échelle, posée lors de tra­vaux en 1757 et qui attend tou­jours qu’un accord soit trou­vé pour être enlevée.

Sécurité tendue et dynamisme débridé

Pour­tant, par­tout s’impose le contexte sécu­ri­taire ten­du. Der­rière pèle­rins et hare­dim, les sol­dats des check-points sont pré­oc­cu­pés – il y a quelques années, des atten­tats sui­cides avaient lieu tous les mois, et que dire de l’actuelle « inti­fa­da des cou­teaux ». Dans le quar­tier musul­man, des enfants jouent avec des dra­peaux de l’État isla­mique en guise de cape tan­dis que les hare­dim tentent régu­liè­re­ment de péné­trer sur l’esplanade des Mos­quées, qui leur est interdite.

Le mur sud du Temple de Jérusalem
Le mur sud du Temple de Jéru­sa­lem lors de la visite de la Vieille Ville.

Mais des ten­sions ont aus­si lieu entre juifs, notam­ment entre libé­raux et hare­dim. Cet écart s’illustre dans le dyna­misme entre­pre­neu­rial israé­lien. Entre l’historique Jéru­sa­lem et le « Sili­con Wadi » de Tel Aviv, il n’y a qu’une heure de route, mais on est dans un autre univers.

Cafés et boîtes de nuit s’alignent au bord de la plage, trois jeunes infor­ma­ti­ciens (barbe, lunettes de soleil et cas­quette yan­kee) parlent de leur start-up au café bio au milieu des conférenciers.

Se garder des simplifications

Nous retien­drons de ce voyage la com­plexi­té de la socié­té israé­lienne, à la fois avant-gar­diste et farou­che­ment atta­chée à son his­toire, confiante mais se sen­tant constam­ment mena­cée, accueillante et sus­pi­cieuse. On oublie trop sou­vent la place des indi­vi­dus dans les conflits inter­na­tio­naux en sim­pli­fiant à outrance les pro­blé­ma­tiques afin qu’elles nous soient plus accessibles.

Nous avons eu la chance de pou­voir lever ce voile et de décou­vrir une socié­té pro­téi­forme, échap­pant à toute réduction.

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