Humanisme et science, la nécessaire réconciliation
Les relations entre science et société ont été historiquement tumultueuses. La science est source de progrès mais le progrès ne répond plus aux attentes de l’homme. La réconciliation passe par une multitude d’actions, depuis la sensibilisation des enfants, la formation des étudiants, la mobilisation des chercheurs jusqu’à l’action politique.
REPÈRES
Le présent article fait écho à la table ronde qui a marqué l’ouverture d’un Forum organisé le 21 juin 2009 au Collège de France par Le Monde et La Recherche : après un exposé de Michel Serres, les débats ont réuni Claudie Haigneré, médecin, cosmonaute, ancien ministre et présidente de la Cité des sciences et de l’industrie et du Palais de la Découverte, Christian Lajoux, directeur de la recherche de Sanofi-Aventis et président du LEEM (Les entreprises du médicament), Catherine Trautmann, ancien ministre, député européen et vice-présidente de la Commission recherche et énergie au Parlement européen, Jean Botti, directeur technique d’EADS, Axel Kahn, généticien et président de l’université Paris-Descartes.
Les relations entre science et société ont souvent été difficiles comme le rappelle Michel Serres. Mais au Siècle des lumières puis au xixe siècle s’est répandue l’idée selon laquelle les progrès de l’esprit, des sciences et de la connaissance assureraient à l’homme une marche ascendante continue.
Il faut donner ou redonner à tous le goût des sciences.
Depuis trois siècles, cet espoir a été le fil conducteur du développement de l’Occident puis du monde (à quelques exceptions près). Mais, les progrès scientifiques et techniques ne se traduisent pas toujours en progrès pour l’homme, d’où les paradoxes évoqués par le professeur Axel Kahn. La désaffection pour le progrès se traduit par des mouvements contre les effets de la science (amiante, nucléaire, OGM), par une désaffection des politiques et des plus jeunes qui préfèrent les études commerciales aux études scientifiques. L’humanité prend conscience que le progrès, longtemps considéré comme implicitement humaniste, doit être dirigé vers sa finalité : l’homme.
L’humanité entre dans une ère nouvelle
En préambule aux débats, le philosophe Michel Serres a rappelé que les relations entre science et société ont souvent été conflictuelles : si le procès de Galilée est emblématique des tensions entre ces deux mondes, ce n’est pas une première. Avant Socrate, des physiciens grecs furent condamnés à mort parce qu’ils s’occupaient du monde et non de la cité : la science s’intéresse au monde et la société s’intéresse à elle-même ! Ce divorce s’exprime à travers de multiples débats : créationnisme, Tchernobyl, OGM, mères porteuses. Bien plus, les nations deviennent des villes et l’homme s’éloigne de la nature : aux sciences du monde, il préfère les sciences humaines et sociales. Notre culture devient celle de l’humanité. Mais la nouveauté est que les sciences, parce qu’elles s’intéressent au monde, considèrent la planète comme un partenaire global et questionnent la société sur le devenir de ce vaisseau sur lequel nous sommes tous embarqués ! Au jeu à deux science-société se substitue un jeu à trois : monde-science-société.
Les défis auxquels l’homme se trouve confronté aujourd’hui nécessitent plus que jamais une mobilisation autour de la science et de la recherche dans un cadre qui permette cette finalisation humaniste des efforts. Il faut donner ou redonner à tous le goût des sciences, autant pour susciter des vocations scientifiques que développer chez les citoyens le goût du débat sur ces questions ; mobiliser l’enseignement et l’industrie sur la formation, le recrutement, l’encadrement et l’orientation des chercheurs ; développer les actions permettant de donner une finalité au progrès.
Donner envie de l’avenir
Deux paradoxes
Axel Kahn relève que si les progrès extraordinaires de la science et des techniques ont permis de multiplier les richesses par 8 en vingt ans, le nombre de mal nourris est passé de 2,4 à 3 milliards dans la même période. Et si l’opinion continue à vouloir des moyens pour la recherche (95 % des sondés), elle met les infirmiers avant les chercheurs dans les professions à soutenir. En fait, l’opinion accepte le développement des sciences et techniques à condition qu’il soit orienté.
Apprendre aux hommes à parler de la science, à s’impliquer dans les débats et les choix, leur donner envie de l’avenir et de participer à la construction de cet avenir sont autant de défis pour notre système éducatif et pour ceux qui transmettent les savoirs : médias, institutions à vocation culturelle.
Sur ce registre le travail mené en direction des jeunes par la Cité des sciences et de l’industrie est exemplaire (http://www.cite-sciences.fr/).
L’approche retenue est d’amener les jeunes à l’exploration. Pour les petits, les ateliers les amènent à passer du pourquoi à des questionnements plus élaborés. Chez les jeunes, la dimension collective est mise en avant.
Des points de repère leur sont donnés pour qu’ils sachent se retrouver dans l’emploi des nouvelles technologies qui sont à la base d’une nouvelle façon d’apprendre et de prendre.
Au-delà de la transmission des savoirs, la Cité a aussi le souci de susciter chez tous ses visiteurs – petits et grands – un émerveillement devant le monde, de leur montrer les incertitudes qui existent dans toute connaissance, de les initier aux enjeux humanistes par une ouverture sur les sciences humaines et sociales, de leur apprendre à débattre. Le visiteur doit se réapproprier l’innovation : pour cela, il faut y mettre de l’émotion. Pour Claudie Haigneré, il faut réinventer le rapport entre usagers et nature, entre science et société afin que l’homme se projette avec confiance et responsabilité dans l’avenir.
Le souci de développer chez les plus jeunes le goût de la science et de l’innovation se retrouve aussi dans les entreprises, surtout celles qui ont le plus grand besoin de rester à l’avant-garde du changement. Témoin, les initiatives de la Fondation d’entreprise EADS. Tout d’abord, le prix Irène Joliot-Curie créé en partenariat avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui attribue des bourses à des femmes chercheuses (http://www.enseignementsup-recherche. gouv.fr/cid22941/huitieme-edition-prix-irene-joliot-curie-2009.html).
Briser les barrières de la recherche
Les besoins en chercheurs sont énormes : la France risque de pâtir d’un déficit annuel de 10 000 chercheurs. Les entreprises seront les premières victimes de ces carences car la recherche publique est considérée comme le summum. Cette opposition public-privé est en décalage avec la société actuelle. Rapprocher recherche fondamentale et recherche privée est plus que jamais urgent. Et aussi faire comprendre aux entreprises que, dans un monde où les remises en cause sont permanentes, l’impertinence intellectuelle d’un docteur a toute sa place.
Autre effet négatif de la compétition grandes écoles et universités : le doctorat est mal reconnu par les entreprises en France, alors que c’est le seul diplôme mondialement reconnu : il y a là aussi une barrière à casser si on ne veut pas voir les docteurs faire carrière hors de France.
Une nouvelle façon d’apprendre et de prendre.
À cet égard, Jean Botti rappelle avoir interrogé sept chercheurs lors d’une remise de prix de la meilleure thèse organisée par la Fondation EADS, quatre d’entre eux partaient pour les USA dans des universités prestigieuses (Princeton et Stanford) ou moins connues (Arkansas et Texas), un retournait en Turquie et deux restaient en France : le défi est de savoir faire revenir ceux qui ont acquis une expérience hors de France.
Travailler à long terme
Changer l’avenir maintenant
Dans l’industrie du médicament, les cycles de développement sont longs : demain se prépare aujourd’hui. Les stratégies des industriels tiennent compte des enjeux sociétaux et géopolitiques : vieillissement de la population, inégalités dans le vieillissement et l’accès aux soins, nouvelles pathologies liées aux changements de l’environnement, nouvelles formes de concurrence (celle des États et des continents supplante celle des industriels), pressions induites par la crise économique.
Une caractéristique de la recherche est que les efforts doivent s’inscrire dans la durée, ce qui implique d’avoir une vision à très long terme des changements qui affecteront le monde, en particulier dans sa dimension géopolitique, et la société, ses besoins et ses attentes.
De ce point de vue, l’industrie pharmaceutique est tout à fait emblématique comme l’a souligné Christian Lajoux. Elle se trouve aujourd’hui confrontée à une double injonction : concevoir l’avenir à l’échelle du monde et tenir compte des États. Pour la France, grand pays du médicament – le pays de Pasteur- et champion dans le domaine chimique, il faut aborder de nouvelles formes de médicaments, en particulier celles issues des biotechnologies. Cela impose de développer les partenariats public-privé et de reconstruire les modes de fonctionnement : être à l’écoute des sociétés qui nous questionnent et interroger le monde pour trouver les bonnes réponses.
Impliquer les citoyens et les politiques
Savoir faire revenir ceux qui ont acquis une expérience hors de France.
Le monde politique a un rôle essentiel en matière de recherche tant au plan des moyens financiers que de la programmatique. Ce rôle conduit le milieu des décideurs et celui des chercheurs à dialoguer : les questions soulevées par ces derniers doivent trouver un écho dans la réflexion des politiques. Il conduit aussi à réinventer le dialogue entre la science et la société. À cet égard, l’Université de tous les Savoirs créée en 2000 est un succès : elle permet au grand public d’accéder à un état des lieux des connaissances dans tous les domaines, en assistant gratuitement à des conférences données par des chercheurs et spécialistes.
Ces réflexions sur le lien entre recherche, politique et citoyen sont au cœur des travaux menés par le Parlement européen, qui a le souci de faire de l’Europe un espace de recherche performant, attractif et tourné vers l’homme.
Est-ce à dire que le monde politique, la société peut passer un véritable contrat avec la recherche ? À cette question, Michel Serres répond que toute innovation est inattendue : le contrat société-recherche est toujours rompu. Et rappelle que huit prix Nobel sur dix ont vu leurs travaux refusés par les comités ad hoc au début de leur carrière.
Repenser l’espace européen de la recherche
Catherine Trautmann a rappelé que la création de cet espace répondait à la volonté de mettre en place une politique commune de recherche évitant ainsi la dispersion des efforts, favorisant les synergies, créant des opportunités nouvelles, augmentant l’attractivité des pôles européens, développant la mobilité des chercheurs, avec pour but des gains en connaissance et en compétitivité. Mais cet espace est né sur des concepts proches de ceux du marché intérieur : la compétition a favorisé les plus forts et brisé la cohésion, créant ainsi disparité et iniquité.Par ailleurs, une vision trop technologique de l’innovation a conduit à une recherche » hors-sol « . L’Europe doit maintenant faire des choix. Veut-elle privilégier des réseaux de recherche spécialisés – ce qui se ferait au détriment de l’universalité – ou souhaite-t-elle réintroduire une dimension territoriale et humaine ? Comment entend-elle associer les citoyens aux choix en la matière ? Quel est le niveau d’investissements qui doit être du ressort communautaire ?
Commentaire
Ajouter un commentaire
science traditionnelle
Bonjour, Peut-être ceci pourrait-il vous intéresser…
https://www.youtube.com/watch?v=kBCDU_PnavQ
Cordialement