Hyacinthe de Bougainville
“ La liberté nous fut enfin rendue ; pour la dernière fois nos voiles se déployèrent et à l’instant de rentrer au port, après vingt-huit mois d’absence, ennuis, contrariétés, impatiences, tout fut oublié. Il en fut bientôt de même du voyage et des voyageurs.”
Ainsi Hyacinthe de Bougainville, polytechnicien de la promotion 1799, conclut-il la relation de son expédition autour du monde conduite entre le 2 mars 1824 et le 24 juin 1826. Le ton quelque peu désabusé de la dernière phrase se comprend : malgré la réussite de sa mission et les services rendus tout au long de sa carrière de marin, le nom de l’auteur demeure ignoré de la plupart des Français, ses mérites étant éclipsés par la gloire de son père, le célèbre navigateur Louis Antoine de Bougainville.
Même les ouvrages traitant de l’histoire de l’École polytechnique et de ses anciens élèves oublient le plus souvent de rappeler la mémoire de Hyacinthe de Bougainville, dont les travaux tiennent pourtant une place très honorable dans l’exploration générale du globe menée au temps des grands voiliers.
Pourtant le marin avait jadis offert à la Bibliothèque de l’École un exemplaire dédicacé de son remarquable compte rendu de voyage et il s’imposait de lui rendre enfin justice. C’est pourquoi, lors de la dernière Assemblée de la Sabix, Christian Marbach, qui préside aussi l’Association française de coopération en recherche industrielle avec l’Australie, a prononcé un exposé commémoratif en présence de l’Ambassadeur d’Australie en France, et en présence d’un descendant du navigateur, Henri de Bronac de Bougainville, polytechnicien de la promotion 1971.
En outre, la Sabix consacre à Hyacinthe de Bougainville le bulletin numéro 31, composé principalement de deux articles. Le premier est dû à Étienne Taillemite, inspecteur général honoraire des Archives de France et membre de l’académie de Marine, renommé notamment pour ses recherches et ses publications sur l’histoire de la marine et des grands navigateurs. Intitulé Un marin polytechnicien autour du monde, ce texte est un récit objectif, concis et dense, de la carrière de l’officier.
Né en 1781, celui-ci embarque en octobre 1800 sur la corvette Le Géographe sous les ordres de Nicolas Baudin pour un premier périple dont il revient en 1803. Après une longue suite d’affectations à la mer, nommé commandant de la frégate La Thétis, il dirige entre 1824 et 1826 l’expédition autour du monde dont il rapporte de riches collections d’histoire naturelle, de nombreuses améliorations des cartes marines, et une abondante moisson de renseignements d’ordre économique et commercial. L’article passionnant d’Étienne Taillemite nous rappelle les hasards de la navigation, les épreuves endurées par les équipages, et nous instruit de la situation économique et politique dans le monde au début du XIXe siècle, spécialement en Asie et en Océanie.
Dans le second article, intitulé Voyage en Hyacinthie, Christian Marbach développe son exposé commémoratif. Ce texte se présente non pas comme une biographie ordonnée par une chronologie méthodique, mais plutôt comme une promenade intellectuelle autour d’un portrait où se mêle naturellement une part de subjectivité.
L’auteur, qui associe étroitement le lecteur à son enquête, a d’abord cherché les traces de son héros dans les bibliothèques et les centres d’archives, puis il a pris contact avec la famille de Bougainville. Mais il a poursuivi aussi l’ombre de Hyacinthe jusque sur les rivages de Kangaroo Island et de la Tasmanie, en s’interrogeant sur les rêves et les sentiments d’un jeune aspirant qui abandonna prématurément l’étude des sciences et choisit les aventures de la navigation au long cours.
L’espace des paysages australiens sert en effet d’arrièreplan à cet essai ; car si Hyacinthe a sillonné toutes les mers du monde, c’est aux bords de ce continent qu’il a connu ses premières aventures et c’est sur les mêmes côtes qu’il a fait la preuve, vingt ans plus tard, de ses pleines capacités à remplir une mission complexe et difficile. La faune, la flore et la poésie qui imprègne les vastes perspectives de ce grand pays l’ont séduit en 1825 comme en 1801. Il a admiré le dynamisme de Sydney et l’hospitalité des habitants qui l’ont accueilli avec générosité.
Christian Marbach ne masque pas non plus son attrait pour le pays, ni l’estime et l’amitié qu’il ressent pour ses interlocuteurs australiens. Plus généralement son texte est accompagné de nombreuses réflexions prenant appui sur ses propres réminiscences ou ses expériences professionnelles, qui servent de références aux appréciations subjectives et personnelles portées sur les comportements des personnages du Voyage en Hyacinthie.
Car le protagoniste n’est pas seul, à ses côtés apparaissent à grands traits les personnalités les plus attachantes parmi celles qui ont croisé ou influencé sa carrière.
Des marins d’abord : l’illustre Louis Antoine de Bougainville ; l’énergique Nicolas Baudin dont la rencontre avec son concurrent anglais Flinders au large de la terre de Diemen a été l’objet cette année d’une commémoration officielle ; La Pérouse à la mémoire duquel Hyacinthe fait ériger un monument à Botany Bay ; Claude de Freycinet et Rose, sa jeune et courageuse épouse présente à ses côtés dans le périple mouvementé de L’Uranie et le naufrage sur les récifs des Malouines.
Mais aussi un ministre, Gaspard de Clermont-Tonnerre, polytechnicien de la même promotion 1799, qui donne l’ordre d’organiser la croisière de 1824, abandonne la carrière politique en 1830 par fidélité aux Bourbons, et consacre ses dernières années à la traduction des oeuvres d’Isocrate.
Des botanistes, des zoologistes, des cartographes, des dessinateurs, qui ont assuré le succès scientifique des expéditions et coopéré à l’édition des magnifiques ouvrages illustrés, imprimés au début du XIXe siècle afin de faire connaître les échantillons de flore et de faune collectés sur des terres encore inconnues… Hommage est ainsi rendu à Lesson, Bernier, Lesueur, Petit…
Car Hyacinthe de Bougainville, homme accompli, marin, diplomate, commerçant, organisateur… coopère avec des artistes et des savants éminents, et prend part au mouvement général de découverte du monde, qui s’accélère au XIXe siècle dans toutes les disciplines. Le bulletin 31 de la Sabix s’adresse donc à tous ceux qui s’intéressent à la géographie, à l’histoire de l’invention du globe par la marine à voiles, et à ceux que font rêver les grands rivages australiens, encore intacts et désertiques.
Signalons que cette livraison contient aussi une courte notice adressée par Pierre Kreitmann (X 1932) et rédigée par une journaliste japonaise, afin de présenter le livre qu’elle a écrit au sujet du séjour au Japon de Louis Kreitmann (X 1870), envoyé dans ce pays en 1876, dans le cadre de la Mission militaire française de Coopération.
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notoriété
A en juger au prix astronomique de sa relation de voyage sur ABeBook.com sa notoriété a dépassé la renommée de son père. Il semble très connu aux Etats-Unis d’où sont vendus la majeure partie de ces livres anciens. Mais en France on ignore souvent les gens de talent !!!