L’hydroélectricité dans les perspectives énergétiques mondiales


L’hydroélectricité a connu une croissance continue portée par l’Asie, et ce n’est pas fini. Parmi les projets réalisés ou prévus, les STEP prennent une part majeure et les gouvernements adoptent des mesures incitatives pour les favoriser. Elles ont des avantages notables, mais présentent néanmoins des contraintes qui justifient ce soutien étatique.
En 2023 le parc hydroélectrique mondial, d’une capacité de 1 405 GW, a généré 4 174 TWh ; cela représente 16 % de la production électrique mondiale et 52 % de la production électrique provenant de sources renouvelables. Cependant, ces capacités hydroélectriques sont réparties de manière inégale entre les différentes régions et leur répartition a connu une évolution significative au cours des trente dernières années.
La montée en puissance de la Chine
En 1992, les capacités hydroélectriques installées atteignaient 672 GW et représentaient 18 % de la production électrique mondiale. À cette époque, l’Europe figurait alors comme leader, avec un parc installé de 185 GW, suivie par l’Amérique du Nord avec 160 GW et l’Asie avec 126 GW. Ces trois régions représentaient plus des deux tiers (71 %) du parc installé. Entre 1992 et 2023, toutes les régions ont vu leurs capacités hydroélectriques augmenter, mais pas dans les mêmes proportions.
Alors que la puissance globale du parc installé a presque doublé (+ 645 GW de capacité), celle de l’Asie a quadruplé (+ 490 GW) au cours de cette période. La Chine a joué un rôle prépondérant dans cette augmentation, représentant à elle seule une hausse de 350 GW. En 1992, la Chine disposait de 41 GW de capacités hydroélectriques. En l’espace de trois décennies, ce chiffre a été multiplié par près de 10, pour atteindre 391 GW en 2021. Sur la période considérée, cela correspond à plus de la moitié de la puissance installée dans le monde et à 85 % dans la région asiatique.

Des projets gigantesques
Parmi les sites dont la technologie est identifiée, les barrages-réservoirs dominent en termes de représentation et constituent la majorité du parc en opération. Les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) et les barrages au fil de l’eau constituent, eux, environ 21 % de la puissance installée.
Au cours de la période 2020–2024, l’étude des mises en service des plus grands projets révèle la prédominance des projets chinois. En effet, la Chine compte les cinq infrastructures les plus puissantes installées durant ces quatre dernières années. Parmi celles-ci, on peut d’abord noter la mise en service en 2022 du barrage-réservoir de Baihetan avec une capacité installée de 16 GW, qui en fait le second barrage le plus puissant au monde. Également sur le territoire chinois, le barrage-réservoir de Wudongde se démarque avec une capacité de 10,2 GW.

La STEP de Fengning, opérationnelle depuis 2021, affiche quant à elle une capacité de 3,6 GW, ce qui en fait le barrage de ce type le plus puissant au monde. En dehors du territoire chinois, les projets majeurs commissionnés récemment comprennent la centrale d’Ilisu en Turquie, d’une capacité de 1,2 GW ; la centrale d’Ituango en Colombie, d’une capacité de 1,2 GW également ; les STEP de Nant de Drance en Suisse avec 900 MW et Gouvaes-Padroselos au Portugal avec 880 MW.

Le rôle grandissant des STEP
Un type d’installation hydroélectrique semble briser l’actuelle stabilité de la répartition des technologies dans les années qui viennent, il s’agit des stations de transfert d’énergie par pompage, ou STEP. Ce type d’installation de stockage peut être en circuit fermé (ou « pure ») si elle est composée de deux réservoirs fermés n’ayant pas de lien avec un cours d’eau. À l’inverse elle est dite « mixte » si les réservoirs amont ou aval sont liés à un cours d’eau préexistant.
Dans des pays où la part des énergies fatales (solaire, éolien) est grandissante, l’augmentation de la pénétration des actifs flexibles non polluants (ex. : stockage, modulation de la demande…) est clé. Alors que les batteries stationnaires apportent un stockage de l’ordre de 2 à 4 heures (cycles quotidiens, voire intraquotidiens), les STEP apportent des durées de stockage allant jusqu’à plus de 20 heures et peuvent être utilisées pour des cycles journaliers et hebdomadaires (voire mensuels, dans le cas de la conversion de réservoirs existants) avec une forte flexibilité d’utilisation et un coût marginal faible.
Les contraintes des STEP
La longue durée de vie et le faible coût d’exploitation de ces installations se font au prix d’un coût d’investissement élevé (qui est concentré sur la construction du projet) et de contraintes de mise en œuvre. Ces contraintes sont très variables selon le type d’installation. Les STEP pures sont particulièrement avantageuses par rapport aux centrales ouvertes, ne générant pas ou que peu de contraintes d’approvisionnement en eau, ayant un impact plus faible sur la faune (ex. : pas de problème de migration des poissons) et ayant moins de contraintes pour trouver un site adéquat que les STEP mixtes.
L’adaptation d’installations hydroélectriques préexistantes pour accueillir des STEP est également une approche moins coûteuse que les nouveaux projets ouverts. Ainsi, certains États intègrent de nouvelles stations de pompage à leur projet de rénovation du parc hydroélectrique déjà installé, à l’instar du Mexique ou de l’Argentine, dont les installations sont vieillissantes. Autre cas de figure : celui où les potentiels hydroélectriques classiques sont déjà exploités, comme en Europe, aux États-Unis ou en Égypte. Dans ce cas, les STEP représentent un important potentiel pour continuer à développer les capacités de stockage (dans le cas des STEP pures en particulier). Bien que pouvant générer plus de contraintes à l’installation, les STEP mixtes permettent des durées de stockage plus longues et sont moins sujettes aux risques de sécheresse.
Des mesures incitatives
Plusieurs gouvernements ont pris ces dernières années des dispositions spécifiques encourageant les STEP. Le gouvernement indien a ainsi défini un objectif de développement à 18,8 GW en 2032, accompagné de mesures incitatives qui incluent : une obligation de capacités de stockage pour les sociétés de distribution, une exonération des frais de transport interétatique pour l’électricité verte destinée à des projets de STEP, ainsi qu’un soutien budgétaire associé, des mécanismes de rémunération spécifiques aux STEP qui rétribuent au-delà de la production, la flexibilité et la fiabilité des installations.
Aux États-Unis, les installations de stockage hydroélectrique bénéficient d’incitations fiscales et de financements dédiés, tant pour des rénovations que pour des nouveaux projets. Ces différents efforts semblent porter leurs fruits, puisque les STEP sont un des champs les plus attractifs du marché de l’énergie ces dernières années et restent actuellement en croissance. L’Australie quant à elle n’a aucun projet hydroélectrique conventionnel en préparation (son potentiel étant déjà largement exploité), préférant se concentrer sur les STEP en complément de ses plans massifs de déploiement de solaire et d’éolien.
De fortes perspectives de croissance
Mais surtout la Chine, locomotive du développement des énergies renouvelables dans le monde, a bien compris le potentiel que représentent les STEP pour son territoire et a déjà opéré en 2023 un véritable tournant dans sa stratégie hydroélectrique : 6,2 GW, c’est-à-dire la majeure partie de la capacité hydroélectrique ajoutée en 2023, sont fournis par les STEP. D’ici 2027 le pays prévoit d’en ajouter 80 GW. Alors que la part des STEP dans le parc hydroélectrique mondial est restée stable depuis plus de dix ans à environ 15 %, les STEP représentent 30 % des projets hydroélectriques annoncés. Ce chiffre est particulièrement tiré vers le haut par l’Asie et le Pacifique.

Enfin, même si l’Asie représente la très grande majorité des projets actuellement en construction, les autres régions suivent et l’Europe et l’Amérique du Nord présentent des portefeuilles de projets annoncés significatifs, comme montré par la figure 5. On peut citer la centrale de Halverson Canyon aux États-Unis, approuvée avec 2,65 GW ; ou la centrale d’Attaqa Mountain dans le canal de Suez en Égypte, avec 2,4 GW.

Les STEP sont ainsi une solution prometteuse pour le stockage et la régulation de l’énergie, tout particulièrement avec l’essor des énergies renouvelables. Malgré un ralentissement de leur développement actuel en Europe, elles sont en plein essor dans le monde grâce à leurs avantages notables, en premier lieu leur grande flexibilité. Leur mise en œuvre reste néanmoins complexe et la transition vers un déploiement massif des STEP n’est pas encore pleinement concrétisée. Le potentiel de développement reste immense, mais l’intégration dans les infrastructures existantes et le soutien étatique sont cruciaux pour faire avancer cette technologie.