Figure 2 : évolution du parc hydroélectrique par région entre 1992 et 2023. © Global Energy & CO2 Data, Enerdata

L’hydroélectricité dans les perspectives énergétiques mondiales

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Baptiste POSSÉMÉ
Par Maxime BENOIT-GUYOD

L’hydroélectricité a connu une crois­sance conti­nue por­tée par l’Asie, et ce n’est pas fini. Par­mi les pro­jets réa­li­sés ou pré­vus, les STEP prennent une part majeure et les gou­ver­ne­ments adoptent des mesures inci­ta­tives pour les favo­ri­ser. Elles ont des avan­tages notables, mais pré­sentent néan­moins des contraintes qui jus­ti­fient ce sou­tien étatique.

En 2023 le parc hydro­élec­trique mon­dial, d’une capa­ci­té de 1 405 GW, a géné­ré 4 174 TWh ; cela repré­sente 16 % de la pro­duc­tion élec­trique mon­diale et 52 % de la pro­duc­tion élec­trique pro­ve­nant de sources renou­ve­lables. Cepen­dant, ces capa­ci­tés hydro­élec­triques sont répar­ties de manière inégale entre les dif­fé­rentes régions et leur répar­ti­tion a connu une évo­lu­tion signi­fi­ca­tive au cours des trente der­nières années.

La montée en puissance de la Chine

En 1992, les capa­ci­tés hydro­élec­triques ins­tal­lées attei­gnaient 672 GW et repré­sen­taient 18 % de la pro­duc­tion élec­trique mon­diale. À cette époque, l’Europe figu­rait alors comme lea­der, avec un parc ins­tal­lé de 185 GW, sui­vie par l’Amérique du Nord avec 160 GW et l’Asie avec 126 GW. Ces trois régions repré­sen­taient plus des deux tiers (71 %) du parc ins­tal­lé. Entre 1992 et 2023, toutes les régions ont vu leurs capa­ci­tés hydro­élec­triques aug­men­ter, mais pas dans les mêmes proportions. 

Alors que la puis­sance glo­bale du parc ins­tal­lé a presque dou­blé (+ 645 GW de capa­ci­té), celle de l’Asie a qua­dru­plé (+ 490 GW) au cours de cette période. La Chine a joué un rôle pré­pon­dé­rant dans cette aug­men­ta­tion, repré­sen­tant à elle seule une hausse de 350 GW. En 1992, la Chine dis­po­sait de 41 GW de capa­ci­tés hydro­élec­triques. En l’espace de trois décen­nies, ce chiffre a été mul­ti­plié par près de 10, pour atteindre 391 GW en 2021. Sur la période consi­dé­rée, cela cor­res­pond à plus de la moi­tié de la puis­sance ins­tal­lée dans le monde et à 85 % dans la région asiatique.

Figure 1 : puissance hydroélectrique installée 
par région (1992-2023). © Global Energy & CO2 Data, Enerdata
Figure 1 : puis­sance hydro­élec­trique ins­tal­lée par région (1992−2023). © Glo­bal Ener­gy & CO2 Data, Enerdata

Des projets gigantesques

Par­mi les sites dont la tech­no­lo­gie est iden­ti­fiée, les bar­rages-réser­voirs dominent en termes de repré­sen­ta­tion et consti­tuent la majo­ri­té du parc en opé­ra­tion. Les sta­tions de trans­fert d’énergie par pom­page (STEP) et les bar­rages au fil de l’eau consti­tuent, eux, envi­ron 21 % de la puis­sance installée.

Au cours de la période 2020–2024, l’étude des mises en ser­vice des plus grands pro­jets révèle la pré­do­mi­nance des pro­jets chi­nois. En effet, la Chine compte les cinq infra­struc­tures les plus puis­santes ins­tal­lées durant ces quatre der­nières années. Par­mi celles-ci, on peut d’abord noter la mise en ser­vice en 2022 du bar­rage-réser­voir de Bai­he­tan avec une capa­ci­té ins­tal­lée de 16 GW, qui en fait le second bar­rage le plus puis­sant au monde. Éga­le­ment sur le ter­ri­toire chi­nois, le bar­rage-réser­voir de Wudongde se démarque avec une capa­ci­té de 10,2 GW.

Figure 2 : évolution du parc hydroélectrique par région entre 1992 et 2023. © Global Energy & CO2 Data, Enerdata
Figure 2 : évo­lu­tion du parc hydro­élec­trique par région entre 1992 et 2023. © Glo­bal Ener­gy & CO2 Data, Enerdata

La STEP de Fen­gning, opé­ra­tion­nelle depuis 2021, affiche quant à elle une capa­ci­té de 3,6 GW, ce qui en fait le bar­rage de ce type le plus puis­sant au monde. En dehors du ter­ri­toire chi­nois, les pro­jets majeurs com­mis­sion­nés récem­ment com­prennent la cen­trale d’Ilisu en Tur­quie, d’une capa­ci­té de 1,2 GW ; la cen­trale d’Ituango en Colom­bie, d’une capa­ci­té de 1,2 GW éga­le­ment ; les STEP de Nant de Drance en Suisse avec 900 MW et Gou­vaes-Padro­se­los au Por­tu­gal avec 880 MW.

Figure 3 : évolution 
du parc hydroélectrique installé par technologie. © Power Plant Tracker, Enerdata
Figure 3 : évo­lu­tion du parc hydro­élec­trique ins­tal­lé par tech­no­lo­gie. © Power Plant Tra­cker, Enerdata

Le rôle grandissant des STEP

Un type d’installation hydro­élec­trique semble bri­ser l’actuelle sta­bi­li­té de la répar­ti­tion des tech­no­lo­gies dans les années qui viennent, il s’agit des sta­tions de trans­fert d’énergie par pom­page, ou STEP. Ce type d’installation de sto­ckage peut être en cir­cuit fer­mé (ou « pure ») si elle est com­po­sée de deux réser­voirs fer­més n’ayant pas de lien avec un cours d’eau. À l’inverse elle est dite « mixte » si les réser­voirs amont ou aval sont liés à un cours d’eau préexistant. 

Dans des pays où la part des éner­gies fatales (solaire, éolien) est gran­dis­sante, l’augmentation de la péné­tra­tion des actifs flexibles non pol­luants (ex. : sto­ckage, modu­la­tion de la demande…) est clé. Alors que les bat­te­ries sta­tion­naires apportent un sto­ckage de l’ordre de 2 à 4 heures (cycles quo­ti­diens, voire intra­quo­ti­diens), les STEP apportent des durées de sto­ckage allant jusqu’à plus de 20 heures et peuvent être uti­li­sées pour des cycles jour­na­liers et heb­do­ma­daires (voire men­suels, dans le cas de la conver­sion de réser­voirs exis­tants) avec une forte flexi­bi­li­té d’utilisation et un coût mar­gi­nal faible.

Les contraintes des STEP

La longue durée de vie et le faible coût d’exploitation de ces ins­tal­la­tions se font au prix d’un coût d’investis­sement éle­vé (qui est concen­tré sur la construc­tion du pro­jet) et de contraintes de mise en œuvre. Ces contraintes sont très variables selon le type d’installation. Les STEP pures sont par­ti­cu­liè­re­ment avan­ta­geuses par rap­port aux cen­trales ouvertes, ne géné­rant pas ou que peu de contraintes d’approvisionnement en eau, ayant un impact plus faible sur la faune (ex. : pas de pro­blème de migra­tion des pois­sons) et ayant moins de contraintes pour trou­ver un site adé­quat que les STEP mixtes. 

L’adaptation d’installations hydro­élec­triques pré­exis­tantes pour accueillir des STEP est éga­le­ment une approche moins coû­teuse que les nou­veaux pro­jets ouverts. Ain­si, cer­tains États intègrent de nou­velles sta­tions de pom­page à leur pro­jet de réno­va­tion du parc hydro­élec­trique déjà ins­tal­lé, à l’instar du Mexique ou de l’Argentine, dont les ins­tal­la­tions sont vieillis­santes. Autre cas de figure : celui où les poten­tiels hydro­élec­triques clas­siques sont déjà exploi­tés, comme en Europe, aux États-Unis ou en Égypte. Dans ce cas, les STEP repré­sentent un impor­tant poten­tiel pour conti­nuer à déve­lop­per les capa­ci­tés de sto­ckage (dans le cas des STEP pures en par­ti­cu­lier). Bien que pou­vant géné­rer plus de contraintes à l’installation, les STEP mixtes per­mettent des durées de sto­ckage plus longues et sont moins sujettes aux risques de sécheresse.

Des mesures incitatives

Plu­sieurs gou­ver­ne­ments ont pris ces der­nières années des dis­po­si­tions spé­ci­fiques encou­ra­geant les STEP. Le gou­ver­ne­ment indien a ain­si défi­ni un objec­tif de déve­lop­pe­ment à 18,8 GW en 2032, accom­pa­gné de mesures inci­ta­tives qui incluent : une obli­ga­tion de capa­ci­tés de sto­ckage pour les socié­tés de dis­tri­bu­tion, une exo­né­ra­tion des frais de trans­port inter­éta­tique pour l’électricité verte des­ti­née à des pro­jets de STEP, ain­si qu’un sou­tien bud­gé­taire asso­cié, des méca­nismes de rému­né­ra­tion spé­ci­fiques aux STEP qui rétri­buent au-delà de la pro­duc­tion, la flexi­bi­li­té et la fia­bi­li­té des installations. 

Aux États-Unis, les ins­tal­la­tions de sto­ckage hydro­élec­trique béné­fi­cient d’incitations fis­cales et de finan­ce­ments dédiés, tant pour des réno­va­tions que pour des nou­veaux pro­jets. Ces dif­fé­rents efforts semblent por­ter leurs fruits, puisque les STEP sont un des champs les plus attrac­tifs du mar­ché de l’énergie ces der­nières années et res­tent actuel­le­ment en crois­sance. L’Australie quant à elle n’a aucun pro­jet hydro­élec­trique conven­tionnel en pré­pa­ra­tion (son poten­tiel étant déjà lar­ge­ment exploi­té), pré­fé­rant se concen­trer sur les STEP en com­plé­ment de ses plans mas­sifs de déploie­ment de solaire et d’éolien.

De fortes perspectives de croissance

Mais sur­tout la Chine, loco­mo­tive du déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables dans le monde, a bien com­pris le poten­tiel que repré­sentent les STEP pour son ter­ri­toire et a déjà opé­ré en 2023 un véri­table tour­nant dans sa stra­té­gie hydro­élec­trique : 6,2 GW, c’est-à-dire la majeure par­tie de la capa­ci­té hydro­élec­trique ajou­tée en 2023, sont four­nis par les STEP. D’ici 2027 le pays pré­voit d’en ajou­ter 80 GW. Alors que la part des STEP dans le parc hydro­élec­trique mon­dial est res­tée stable depuis plus de dix ans à envi­ron 15 %, les STEP repré­sentent 30 % des pro­jets hydro­élec­triques annon­cés. Ce chiffre est par­ti­cu­liè­re­ment tiré vers le haut par l’Asie et le Pacifique.

Figure 4 : répartition des capacités hydrauliques installées en 2023. © Power Plant Tracker, Enerdata
Figure 4 : répar­ti­tion des capa­ci­tés hydrau­liques ins­tal­lées en 2023. © Power Plant Tra­cker, Enerdata

Enfin, même si l’Asie repré­sente la très grande majo­ri­té des pro­jets actuel­le­ment en construc­tion, les autres régions suivent et l’Europe et l’Amérique du Nord pré­sentent des por­te­feuilles de pro­jets annon­cés signi­fi­ca­tifs, comme mon­tré par la figure 5. On peut citer la cen­trale de Hal­ver­son Canyon aux États-Unis, approu­vée avec 2,65 GW ; ou la cen­trale d’Attaqa Moun­tain dans le canal de Suez en Égypte, avec 2,4 GW.

Figure 5 : répartition des projets de STEP récemment installés et prévus. © Power Plant Tracker, Enerdata
Figure 5 : répar­ti­tion des pro­jets de STEP récem­ment ins­tal­lés et pré­vus. © Power Plant Tra­cker, Enerdata

Les STEP sont ain­si une solu­tion pro­met­teuse pour le sto­ckage et la régu­la­tion de l’énergie, tout particulière­ment avec l’essor des éner­gies renou­ve­lables. Mal­gré un ralen­tis­se­ment de leur déve­lop­pe­ment actuel en Europe, elles sont en plein essor dans le monde grâce à leurs avan­tages notables, en pre­mier lieu leur grande flexi­bi­li­té. Leur mise en œuvre reste néan­moins com­plexe et la tran­si­tion vers un déploie­ment mas­sif des STEP n’est pas encore plei­ne­ment concré­ti­sée. Le poten­tiel de déve­lop­pe­ment reste immense, mais l’intégration dans les infra­struc­tures exis­tantes et le sou­tien éta­tique sont cru­ciaux pour faire avan­cer cette technologie. 

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