L’hydrogène propre au Maroc
L’hydrogène propre constitue une chance majeure pour la transition énergétique mondiale, offrant des solutions durables compatibles avec les objectifs climatiques. Le Maroc se positionne avantageusement grâce à ses ressources solaires et éoliennes, permettant une production compétitive d’hydrogène propre. Toutefois, pour déverrouiller une adoption massive, il est essentiel de relever les défis réglementaires et de garantir la traçabilité environnementale des carburants synthétiques. En adoptant une approche technologique novatrice et en établissant des labels de qualité, il est possible de créer les conditions d’une adoption généralisée de l’hydrogène propre, propulsant ainsi le Maroc vers un avenir énergétique durable et prospère.
L’hydrogène est un vecteur dont l’énergie peut être restituée sous forme électrique via une pile à combustible, ou sous forme de chaleur par combustion, sans émission de CO2. Bien que l’atome d’hydrogène soit l’élément le plus abondant dans la nature et même si des explorations de gisements de gaz constitué presque entièrement d’hydrogène sont en cours (hydrogène blanc), la molécule d’hydrogène (H2) doit être produite en dépensant de l’énergie. Actuellement, la majeure partie de l’hydrogène est produite par vaporeformage du gaz naturel, un procédé qui émet environ 10 kg de CO2 pour chaque kilogramme d’hydrogène produit. Pour atteindre les objectifs de décarbonation fixés à l’horizon 2050, conformément à l’Accord de Paris, il est essentiel de changer de mode de production et d’ouvrir de nouvelles perspectives quant à l’utilisation de cette molécule.
L’hydrogène vert
Or l’électrolyse de l’eau est une méthode de production d’hydrogène à faible empreinte carbone, à condition que l’électricité utilisée dans ce processus soit également décarbonée. En termes de coût, cet hydrogène vert pourrait dans les années à venir devenir compétitif par rapport à l’hydrogène fossile, grâce à des coûts énergétiques abordables et à une technologie d’électrolyse plus compétitive.
Il est évident que l’adoption massive de l’hydrogène vert pourrait partiellement remédier au problème et ouvrir des perspectives prometteuses dans divers secteurs. Le présent article vise à fournir des éléments sur le potentiel futur de l’hydrogène, en mettant en avant l’importance de la dimension technologique et de l’avantage comparatif dans différents domaines d’application. De plus, nous mettrons en lumière la position favorable dont peut bénéficier le Maroc, l’un des pays les mieux positionnés et prédisposés à une production compétitive d’hydrogène vert grâce à ses ressources solaires et éoliennes, ainsi que grâce à sa position géographique à proximité d’un des principaux marchés en termes de demande.
Une adoption progressive dans l’industrie
Ce qui rend l’hydrogène attrayant pour les industries, c’est sa densité énergétique élevée. Comme mentionné précédemment, la majeure partie de l’hydrogène fossile est utilisée dans l’industrie en tant que matière première. Le remplacer par de l’hydrogène vert est parfois la seule solution permettant de décarboner ces utilisations. Les industries de production d’ammoniac et de méthanol sont celles où l’empreinte carbone de l’hydrogène est la plus importante (respectivement 80 % et 50 %).
Étant donné la demande croissante de ces deux produits, l’hydrogène vert apparaît comme un levier important et efficace pour décarboner ces industries. De plus, le volume d’hydrogène gris peut déjà être remplacé, à condition que les coûts soient compétitifs et que la production ou le stockage soit possible à proximité de son utilisation. Par ailleurs, l’utilisation de l’hydrogène vert en tant que réducteur du minerai de fer est une voie prometteuse pour décarboner le secteur de la production d’acier.
L’hydrogène dans les transports
L’hydrogène présente un fort potentiel dans le secteur des transports. Il peut être utilisé soit via une pile à combustible, soit pour produire des carburants synthétiques (e‑carburants) qui remplaceront les carburants actuels. Ces deux utilisations entrent en conflit avec d’autres technologies dans ce secteur, comme les biocarburants ou l’électrification. Cependant, la pertinence de l’utilisation de l’hydrogène dépend du type de transport et des usages spécifiques. Par exemple, dans le secteur maritime où les réglementations sont déjà en place, la demande de carburants décarbonés devrait augmenter à court et moyen terme. L’e‑GNL pourrait être utilisé dans les navires à moteur GNL, tandis que l’e‑méthanol, qui nécessite le retrofitting des moteurs (moins coûteux que d’autres options), pourrait répondre à la demande du secteur. En fin de compte, quel que soit l’e‑carburant adopté, l’hydrogène vert sera au cœur de la demande.
Le défi de l’adoption par le grand public
D’autres applications de l’hydrogène sont envisagées pour le transport routier et l’aviation. Bien que l’hydrogène propre ait récemment attiré l’attention du grand public, son adoption généralisée par les consommateurs individuels dans la mobilité demandera du temps. Pour l’application de l’hydrogène à la mobilité individuelle, la mise en place d’une infrastructure de distribution d’hydrogène aux consommateurs est nécessaire. En effet, le transport de l’hydrogène (en raison de sa densité volumique élevée) et son utilisation présentent des défis. De plus, deux problèmes majeurs doivent encore être résolus : l’extension du réseau d’infrastructure et l’amélioration de l’expérience utilisateur en matière de fourniture d’hydrogène propre. Ces applications demanderont du temps avant d’être démocratisées, en raison du niveau de maturité technologique et de la possibilité d’opter pour des solutions moins coûteuses.
Le défi des carburants synthétiques
À moyen terme, l’adoption massive de l’hydrogène propre contribuerait à la neutralité carbone, en répondant aux besoins actuels qui dépendent de l’hydrogène et du CO2. Plus précisément, un des débouchés majeurs serait l’e‑diesel. Pour ce faire, les processus de méthanation pour la production de gaz synthétique et de Fischer-Tropsch pour la production d’e‑diesel pourraient être adoptés, en capitalisant sur les infrastructures existantes de stockage. Cependant, cette approche pose des problèmes quant à l’origine du CO2 utilisé dans le processus de production. Le CO2 biogénique (récupéré par la combustion de la biomasse) ou le CO2 par direct air capture (la capture directe du CO2, dont la technologie n’est pas encore mature) seraient certainement les plus avantageux en raison de leur empreinte carbone négative ; toutefois les gisements et les technologies restent limités. Il reste alors le CO2 capturé dans les industries.
Une piste à investiguer consisterait à mettre en place des labels certifiant que le CO2 utilisé est un sous-produit d’un processus existant, tel qu’une centrale électrique à charbon ou la calcination de calcaire pour la production de ciment. Ainsi, pour la production, les pays disposant d’un coût compétitif en matière d’énergie propre pourraient devenir aussi des centres de production de carburants synthétiques.
La réglementation au cœur de la transition
Au-delà des avancées technologiques, la réglementation a nécessairement un rôle clé à jouer, si ce n’est le levier le plus efficace pour atteindre les objectifs de transition énergétique. Il est essentiel de mettre en place des cadres réglementaires favorables qui encouragent les investissements dans l’infrastructure de distribution, facilitent ainsi l’accès au marché pour les acteurs impliqués et promeuvent une production d’hydrogène propre certifiée. En établissant des labels de qualité pour démontrer l’origine du CO2 utilisé dans les processus de production d’hydrogène, on peut garantir alors la crédibilité environnementale des carburants synthétiques et favoriser une adoption responsable.
Les atouts du Maroc
Le Maroc se distingue par son potentiel exceptionnel pour une production compétitive d’hydrogène propre. Grâce à son ensoleillement abondant et à ses ressources éoliennes, le pays dispose de l’un des coûts de production d’électricité les plus compétitifs au monde. Cette compétitivité énergétique constitue un avantage majeur pour la production de H2 propre par électrolyse de l’eau, en utilisant des technologies telles que l’électrolyse alcaline ou l’électrolyse à membrane (PEM).
En capitalisant sur ces atouts naturels, le Maroc peut se positionner comme un leader mondial de la production d’hydrogène propre, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives économiques et environnementales. De plus, le Maroc s’appuiera sur sa proximité de l’Europe, où la demande sera au rendez-vous, pour disposer de coûts logistiques compétitifs. Le Maroc dispose donc de plusieurs avantages compétitifs par rapport à d’autres concurrents qui auront plus de difficultés à avoir accès à ce marché.
La stratégie nationale
Pour ce faire, le Royaume a développé une stratégie nationale dédiée au H2 vert sur trois décennies (orientation clé par décennie décrite ci-après). 2020–2030 : le H2 vert sera utilisé localement comme matière première dans l’industrie locale ; 2030–2040 : les combustibles liquides synthétiques seront exportés et le H2 vert sera utilisé comme vecteur de stockage de l’énergie ; 2040–2050 : les capacités de production de H2 vert et de ses principaux dérivés (ammoniac et carburants liquides de synthèse) seront améliorées. Il sera aussi utilisé localement au-delà de l’industrie : mobilité urbaine, production de chaleur… Ainsi, le Maroc s’appuiera sur sa consommation locale pour enclencher la dynamique de développement du H2 vert, puis pour attaquer le marché de l’export vers l’Europe notamment. D’ailleurs, les exportations pourront prendre différentes formes en fonction des évolutions technologiques en matière de stockage et de transport.
À court et moyen terme, les principales formes seraient l’ammoniac transporté par voie maritime, avec une opération de « craquage » de celui-ci pour retrouver du H2 dans les pays de consommation ; et les carburants synthétiques transportés par voie maritime ou via un gazoduc pour le méthane synthétique, impliquant une utilisation telle quelle dans les pays de consommation. À long terme, le H2 pourrait être transporté et stocké de sorte à pouvoir le récupérer facilement, sans danger et sans émission sous forme liquide ou solide comme les liquides organiques contenant des liaisons carbone-hydrogène, le polysilane, les nanotubes de carbone, les MOF (metal-organic frameworks)… De plus, étant donné les raccordements électriques avec l’Europe, le Maroc pourrait aussi capitaliser sur son H2 vert en le transformant en électricité dans le cadre de ses exportations d’électricité.
Lire aussi : Environnement, climat et développement durable au Maroc
Deux leviers de développement
Pour favoriser le développement du H2 vert et des investissements qui en découlent, le Royaume s’appuiera sur deux leviers. D’une part le programme d’investissement du groupe OCP (voir article p. 38), consommateur important d’ammoniac (dérivé lui-même du H2) : la production d’ammoniac vert constitue une des principales initiatives du nouveau programme d’investissement du Groupe, de 12 Mds $ sur 2023–2027, soit un million de tonnes d’ammoniac vert à l’horizon 2027 et 3 millions de tonnes à l’horizon 2032 (respectivement ~0,17 million de tonnes et ~0,5 million de tonnes de H2 vert). Cette production locale de H2 vert devrait ainsi attirer des entreprises étrangères spécialisées et contribuer au développement d’une main‑d’œuvre qualifiée.
“Le Royaume a développé une stratégie nationale dédiée au H2 vert sur trois décennies.”
D’autre part l’« Offre Maroc » couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur de la filière H2 vert : le Royaume est en train de finaliser une offre incitative destinée aux investisseurs et fournisseurs internationaux, couvrant notamment un cadre réglementaire et institutionnel, ainsi que le schéma des infrastructures nécessaires au développement de l’industrie afférente. À noter que le Royaume a déjà signé des accords de coopération dans le domaine du H2 vert avec plusieurs pays, dont l’Allemagne et le Portugal. Ces accords prévoient des investissements et des financements pour le développement de la production de H2 vert au Maroc et son export vers les pays partenaires. De grands industriels internationaux ont également annoncé leur intention d’installer des unités de production au Maroc, avec l’objectif d’exporter l’hydrogène produit à l’échelle internationale.