Hyliko : vers un transport routier de marchandises décarboné
La plateforme de mobilité Hyliko, créée par la société d’investissement industriel Kouros, est un des précurseurs dans le transport de marchandises par véhicules hydrogène en France. Quelles sont les perspectives de développement de cette filière ? Entretien avec Ovarith Troeung, directeur général d’Hyliko, et Florent Bergeret, président d’Hyliko et directeur de la stratégie et des investissements de Kouros France.
À l’origine d’Hyliko, il y a Kouros. Pouvez-vous nous dire quel a été le rôle de cette société d’investissement industriel dans la naissance d’Hyliko ?
Kouros est une société d’investissement industriel créée en 2018 et dont la stratégie est centrée sur la décarbonation de la mobilité lourde, notamment grâce à l’hydrogène. Depuis 4 ans, Kouros a apporté son soutien à plusieurs sociétés innovantes et pour la plupart françaises, sur toute la chaîne de valeur hydrogène, de la production jusqu’aux usages.
Dans le domaine des infrastructures, Kouros est notamment actionnaire, aux côtés d’Air Liquide, TotalEnergies et Toyota, d’HYSETCO, premier distributeur d’hydrogène carburant en France et solution de mobilité zéro émission (véhicule et hydrogène) pour les chauffeurs de taxis et de VTC. Dans le domaine des technologies, Kouros a investi dans Nawa Technologies (société française spécialisée dans les supercondensateurs et batteries à base de nanotubes de carbone verticalement alignés), Ergosup (spécialiste français de l’électrolyse à très haute pression), Haffner Energy (société française concevant des équipements de production d’hydrogène par thermolyse de biomasse) et Vertical Aerospace (fabricant britannique de VTOL).
À côté des investissements dans des sociétés existantes, Kouros a également créé deux sociétés : Hyliko et Carbonloop. Cette dernière produit d’une part du syngas pour l’industrie, une alternative renouvelable et décarbonée au gaz naturel, et d’autre part de l’hydrogène pour Hyliko.
Quelle est l’origine de cette décarbonation qui va au-delà de la neutralité carbone ?
En juillet 2019, Kouros a été séduite par la technologie de production d’hydrogène à partir de biomasse développée par Haffner Energy car elle permet de valoriser une ressource locale, abondante et peu onéreuse (les résidus de la filière du bois) pour produire de l’hydrogène et aussi car elle génère également un coproduit : le biochar. Grâce à sa très grande porosité, le biochar permet, en agriculture, de réduire les apports en eau et en engrais. Par ailleurs, le biochar séquestre sous forme solide et stable pendant plus de mille ans près de la moitié du carbone présent dans la biomasse, ce qui permet donc de produire du syngas ou de l’hydrogène avec un bilan carbone négatif. Le biochar est reconnu par le GIEC comme un des puits de carbone les plus pertinents pour atteindre la neutralité carbone.
Comment se positionne Hyliko en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre ?
Hyliko est une plateforme de mobilité destinée à décarboner le transport routier de marchandises, lequel contribue aux émissions du secteur des transports qui représentent aujourd’hui près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre.
Le transport routier de marchandises contribue fortement aux émissions, et le marché fait face à une augmentation de la demande de transport routier liée à l’augmentation de l’activité des plateformes de commandes et de livraison en ligne, de plus en plus sollicitées. Or, la seule manière de décarboner véritablement dans ce domaine, au-delà d’améliorer l’efficacité énergétique des moteurs, c’est d’utiliser des carburants propres.
Hyliko se propose de contribuer à cet objectif en proposant aux transporteurs une offre intégrée : un poids-lourd hydrogène à pile à combustible en leasing (avec le service et la maintenance associés) et un réseau de stations hydrogène pour ravitailler les camions. Le client se voit également transférer des crédits carbone car comme dit précédemment, lors de la production de l’hydrogène, nous avons pu créer un puits de carbone.
Quels sont les grands enjeux de votre développement ?
Dans la mesure où nous jouons le rôle d’un agrégateur de services, nous avons deux enjeux principaux. D’abord, proposer un camion à pile à combustible. Aujourd’hui, il y en a très peu en Europe : ceux qui existent sont pour la plupart en exploitation en Suisse. La première étape est de pouvoir les assembler en petite série, sur la base d’une technologie de groupe motopropulseur hydrogène développée avec l’un de nos partenaires.
Nous recherchons ensuite des accords avec des constructeurs engagés dans la conception et la production de véhicules hydrogène pour proposer à nos clients une gamme très large, selon leurs usages et leurs préférences.
Le deuxième enjeu consiste à mettre en place le réseau de stations hydrogène. Nous sommes en train de travailler au déploiement de stations de production et de distribution d’hydrogène, sur un modèle décentralisé. Nous allons les installer au plus près des territoires pour permettre aux transporteurs de pouvoir se ravitailler, le but étant de déployer un hub hydrogène qui pourrait servir à d’autres usages et à d’autres utilisateurs, comme les collectivités. Le biochar produit à partir de biomasses collectées localement sera commercialisé vers le territoire agricole local, dans une économie circulaire. Ce deuxième enjeu dépasse donc la mise en place de stations de production et de distribution d’hydrogène.
Le troisième enjeu est de pouvoir répondre à la demande de ces transporteurs et de leurs donneurs d’ordres, en présentant un bilan carbone neutre, voire négatif dans l’équation globale.
Quelle est votre vision de l’avenir de la filière ?
Entre aujourd’hui et 2030, l’hydrogène va s’imposer comme l’un des carburants propres pour la mobilité lourde, comme l’énergie électrique va s’imposer pour la mobilité domestique. La Commission européenne a annoncé qu’elle s’attendait à avoir un parc circulant de 60 000 véhicules hydrogène à cet horizon, ce qui représente une belle perspective de développement étant donnée la situation actuelle.
De nombreux constructeurs se positionnent pour mettre à la route des poids-lourds hydrogène à partir de 2025, et il y a beaucoup de nouveaux entrants, notamment en Allemagne où la filière est très développée, grâce à des mécanismes d’incitation. L’offre de véhicules va donc pouvoir s’élargir. Avec des associations européennes du secteur, nous estimons qu’à l’horizon 2030 il faudrait entre 1 000 et 2 500 stations hydrogène pour permettre les différents usages des mobilités.
Par ailleurs, il faut aussi noter que le paradigme traditionnel de la répartition entre électrique et hydrogène est en train de changer. Alors que l’on avait tendance à attribuer à l’électrique les courtes et moyennes distances, et les longues distances à l’hydrogène, on s’aperçoit que l’hydrogène est également adapté aux usages à forte intensité énergétique. C’est le cas, par exemple, de poids-lourds disposant d’une grue sur leur plateau arrière pour charger et décharger les matériaux qu’ils transportent, et qui demandent donc à pouvoir disposer d’énergie à haute intensité.
Le sujet majeur pour nous, c’est de passer à l’échelle industrielle, et de réduire ainsi les coûts. À l’horizon 2030, Hyliko vise 10 % du marché des poids lourds hydrogène en Europe. Il faut donc dépasser le cadre des démonstrateurs, produire à l’échelle des piles à combustibles, des électrolyseurs, des thermolyseurs et des stations de distribution, chercher à mettre en place des installations de plus en plus grandes. La puissance publique a ici de toute évidence un rôle à jouer dans l’organisation des écosystèmes, sur l’orientation des développements industriels, mais aussi dans l’appui et le soutien financier aux usages.