IA vs changement climatique : quelle efficacité ?
Pour la gestion efficace de l’énergie, notamment de l’électricité produite et consommée, il est indispensable de disposer de données. C’est de plus en plus le cas grâce à la multiplication des capteurs et à la transmission des données. Mais la difficulté est ensuite d’exploiter cette masse de données pour en tirer des conclusions opératoires. Et c’est là que l’intelligence artificielle trouve toute son utilité. Voici des exemples concrets d’application de l’IA à la gestion économe de l’énergie.
En matière de lutte contre le changement climatique, l’essentiel des efforts semble se concentrer sur les aspects de production, c’est-à-dire comment passer de sources d’énergie à forte teneur en carbone (pétrole, charbon, gaz, etc.) à des énergies vertes, en provenance du Soleil, du vent, des marées, etc. Cet aspect de la lutte contre le changement climatique est critique et même indispensable. Cependant, on néglige souvent un autre aspect qui lui est corrélé : l’optimisation de la demande de la consommation. Celle-ci est rendue particulièrement importante quand on parle d’électricité, étant donné le besoin technique d’équilibrer en permanence la production et la consommation sur le réseau (en anglais supply-demand balance).
La numérisation des process
Quand il s’agit de travailler sur la consommation en énergie (la demande), trois axes principaux se dégagent : électrifier les process (sans électrification, la décarbonation de l’énergie et donc de l’économie est à peu près impossible) – point qui ne sera pas abordé dans cet article ; réduire la consommation totale ou moyenne des différents consommateurs d’électricité ; lisser la charge et éviter tout pic de demande. En effet, ce sont très souvent des centrales thermiques qui fonctionnent pendant les pics de consommation et qui engendrent généralement de fortes émissions de carbone (centrales à gaz par exemple).
La numérisation des process (process au sens large, aussi bien process industriel que process d’utilisation de l’énergie dans un data center ou un bâtiment) est une des conditions nécessaires à l’optimisation et à la réduction de la consommation électrique moyenne. En effet, collecter les données d’utilisation de l’énergie et leur contexte permet évidemment de comprendre ces process et de les optimiser (en vertu du vieux principe que seul ce qui se connaît et se mesure peut s’améliorer…).
Exploiter les données
Un premier niveau d’optimisation peut être atteint par la simple collecte et l’examen de ces données, avec des systèmes de type scada ou historian (ils désignent respectivement des systèmes de contrôle et d’acquisition de données en temps réel et des systèmes de stockage et de hiérarchisation de ces données). Mais, dans ce contexte et face à l’abondance de données et de paramètres influençant la performance énergétique, l’intelligence artificielle (IA) devient un outil indispensable pour la prédiction (forecasting) des consommations et leur optimisation. Dans bien des cas, seule l’IA, en particulier le deep learning (algorithmes d’intelligence artificielle avancés s’appuyant sur des réseaux de neurones), permet d’approximer les lois qui relient les données d’entrée et l’optimum recherché, outil essentiel à la prise de décision.
L’intelligence artificielle appliquée aux prosumers
S’agissant du lissage de la demande, l’évolution de la topologie du réseau électrique est une source à la fois de risque et d’opportunité. L’apparition et le développement de sources de production très déconcentrées (solaire, éolien, etc.) et par nature intermittentes ont pour effet de déconcentrer la production, rendant toute la planification centralisée de la gestion du pic à la fois difficile et hasardeuse. Cependant, une nouvelle catégorie d’acteurs émerge, les prosumers, qui sont à la fois consommateurs et producteurs d’énergie électrique, et nous allons montrer dans les exemples ci-dessous comment on peut s’appuyer sur l’IA pour ces nouveaux acteurs, afin de réduire le pic et s’approcher d’une neutralité carbone.
Un exemple pratique : Lidl en Finlande
Dans le joli cadre de Järvenpää (Finlande), un centre de distribution à la pointe de la technologie, géré par le géant allemand de la distribution Lidl, nous montre comment l’IA peut être combinée à la production d’électricité distribuée pour optimiser la production et la consommation d’énergie sur site par les prosumers : les particuliers ou les organisations qui, à la fois, produisent et consomment de l’énergie. Alimenté par des énergies renouvelables, le réseau électrique (microgrid, microréseaux) du bâtiment intègre une centrale solaire de 1 600 panneaux ainsi qu’un système de stockage par batteries. L’énergie excédentaire récupérée des installations de réfrigération du centre permet de chauffer l’eau de 500 foyers locaux. Son système de batteries lisse les pics de consommation et garantit un accès à l’énergie plus écologique et plus rentable, à la fois pour Lidl et pour la communauté dans son ensemble.
Le rôle croissant des prosumers dans le nouveau paysage énergétique
Il est essentiel de coordonner tout cela à l’aide d’un système logiciel sophistiqué qui tire parti de l’analyse des données en temps réel et des algorithmes d’apprentissage automatique prédictif pour aider les responsables du site à optimiser le fonctionnement de l’installation. En ce sens, l’entrepôt de Lidl à Järvenpää incarne la capacité de l’IA à maximiser l’efficacité avec laquelle les prosumers produisent et utilisent leur énergie. En outre, à mesure que les entreprises et les particuliers se tournent de plus en plus vers des innovations économiquement viables d’énergie distribuée – des panneaux solaires sur les toits aux petites éoliennes – pour réduire les émissions et les dépenses énergétiques et gagner un certain degré d’indépendance énergétique, l’importance de l’IA pour les prosumers ne fera que s’accroître.
Optimiser les scénarios de production
Les entreprises ont besoin d’aide pour prendre des décisions à grande échelle en matière de rentabilité, d’autant plus que certaines d’entre elles sont actuellement confrontées au risque de fermeture dans un contexte de flambée des prix de l’énergie.
En s’appuyant sur une technologie permettant de prévoir les pics de prix de l’énergie et de prédire les besoins de leur propre production ou de stockage d’énergie, elles pourront prendre les bonnes décisions d’utilisation de l’énergie, afin de réduire le besoin au moment du pic de demande. En effet, de nombreux besoins peuvent être décalés dans le temps sans impact majeur sur la production d’une usine ou le confort des habitants d’un bâtiment : c’est le cas du chauffe-eau domestique qui est souvent en marche la nuit, et dans une moindre mesure celui du chauffage et de la climatisation dont la mise en route peut être décalée de quelques minutes.
Si les prosumers savent quand ces périodes de pointe se produiront et s’ils sont en mesure de prévoir leurs besoins énergétiques, ils pourront optimiser leurs scénarios de production, consommation, stockage, achat d’électricité, et éviter ainsi le pic en utilisant principalement l’énergie disponible en dehors de ces périodes. Pour le savoir, les prosumers ont besoin d’une base de données solide et d’une IA pour transformer les données en informations, prédictions et tendances claires.
Le cas particulier des véhicules électriques
La conversion des véhicules au tout électrique aura un impact majeur sur le système électrique. En effet, les études récentes de RTE (le transporteur d’électricité français) montrent que l’énergie sera disponible pour recharger les millions de véhicules de l’Hexagone, mais qu’il sera nécessaire de piloter leur recharge pour éviter des pointes de consommation que le système électrique pourrait ne pas supporter à moins de réaliser des investissements très importants.
Les pointes de consommation pourraient se produire si tous les véhicules électriques se rechargeaient au même moment, en début de soirée par exemple. En mettant de l’intelligence dans les véhicules, c’est-à-dire en les dotant de système leur permettant de piloter la recharge et de communiquer avec des systèmes centraux, le parc de véhicules électriques pourrait devenir un atout pour le système électrique français. En effet, il serait possible de décaler la recharge dans le temps (par exemple tout au long de la nuit) pour lisser les pics de consommation actuels.
Demain, ce décalage de la recharge pourrait même servir à absorber les surplus de production renouvelable. L’optimisation de la recharge s’appuiera nécessairement sur le croisement de nombreuses données (prix de l’énergie, disponibilité, pourcentage d’énergie verte…) et l’utilisation de l’intelligence artificielle pour les traiter. Ces scénarios quasi futuristes sont bel et bien réels. En effet, plusieurs entreprises proposent un service de pilotage de la recharge.
À plus long terme, on peut même imaginer des algorithmes s’appuyant sur l’IA pour utiliser le parc de véhicules électriques comme un stockage diffus. Ainsi, si les constructeurs d’automobiles le permettent, on pourrait charger puis décharger les véhicules électriques afin de stocker les surplus d’énergie d’une période de faible consommation à une période de forte consommation : c’est le vehicle-to-grid (V2G).
S’appuyer sur la puissance de l’IA
Avec le soutien de l’IA, les prosumers du monde entier peuvent progresser dans la gestion du coût de leur énergie, mais aussi contribuer significativement à lutter contre le changement climatique dans son ensemble. L’addition de nombreux petits impacts pour chaque prosumer peut avoir un impact considérable sur le fameux pic énergétique au niveau agrégé d’une région ou d’un pays. En s’appuyant sur l’analyse des prix de l’énergie à la minute près, l’IA aide déjà les prosumers à optimiser leurs décisions d’achat, de vente et d’utilisation. Et, en étudiant les données historiques, l’IA peut prévoir avec précision les besoins énergétiques futurs et proposer des recommandations éclairées sur les mesures d’économie, comme la priorité à l’utilisation et à la production en dehors des heures de pointe.
L’efficacité d’approvisionnement grâce à l’IA
En plus d’aider les prosumers à optimiser l’énergie utilisée, l’IA peut également les aider à maximiser l’efficacité de leur production et de leur approvisionnement. L’une des grandes forces de la décentralisation d’énergie est qu’elle se concentre sur la production d’électricité à partir de sources renouvelables, ce qui est fondamental pour mettre fin à notre dépendance aux combustibles fossiles.
Un aspect intéressant, et assez unique, de l’électricité est de conjuguer coût et respect de l’environnement. Lorsque l’électricité est moins chère, elle provient généralement de sources renouvelables. Inversement, pendant les périodes de pointe coûteuses, elle est souvent fortement carbonée (gaz, charbon, pétrole). Au niveau de chaque microgrid l’IA peut déjà permettre aux prosumers d’optimiser en continu les moments auxquels ils achètent, vendent ou stockent l’énergie qu’ils ont produite, donnant ainsi la priorité à des tarifs moins chers et à des sources plus respectueuses de la planète. Et, à mesure que la technologie évolue, l’IA nous permettra de recueillir et d’étudier de plus en plus de grandes quantités de données auparavant inaccessibles et non structurées.
Les prosumers, qu’il s’agisse de ménages, de communautés résidentielles, d’entreprises ou d’autres entités, doivent pouvoir bénéficier de ces informations.
Introduire l’IA au cœur d’un bâtiment
Prenez les bâtiments, qui sont à l’origine de 37 % des émissions mondiales de carbone. Grâce à des technologies telles que les compteurs intelligents, nous avons déjà une bonne visibilité de la consommation d’énergie dans l’immobilier. Mais, pour aller de l’avant, au lieu de simplement collecter des données sur l’efficacité énergétique, les prosumers doivent adopter un état d’esprit proactif et se demander : « Comment puis-je faire en sorte que ces données travaillent pour moi ? » Là encore, l’IA offre une solution.
Dans notre pôle de R & D nord-américain de Boston, par exemple, le microgrid de l’installation comprend 1 379 modules solaires, ainsi que des onduleurs pour la production d’énergie sur site. Grâce aux analyses générées par notre solution EcoStruxure Microgrid Advisor et hébergées dans le cloud, en s’appuyant également sur les données de prévision météorologique et d’autres informations opérationnelles, l’installation optimise les performances énergétiques des panneaux solaires, de stockage de l’énergie et de recharge des véhicules électriques sur site.
La plateforme génère des économies d’énergie de l’ordre de 520 mégawattheures (kWh) d’électricité par an. C’est l’équivalent de la réduction des émissions annuelles de gaz à effet de serre de plus de 2 400 véhicules de tourisme.
Indispensable IA !
Tout cela démontre que l’IA sera fondamentale pour garantir que les prosumers tirent le meilleur parti de l’énergie qu’ils produisent, en les aidant à décider entre consommer, stocker ou vendre au réseau électrique. Aucune autre technologie ne permet de prendre des décisions en temps réel, basées sur les données pour une utilisation efficace de l’énergie. L’IA exploitée pleinement peut être un outil pour lutter contre la crise énergétique et environnementale planétaire à laquelle nous sommes confrontés. Et potentiellement générer des gains financiers pour l’utilisateur.