Il faut afficher et défendre une politique industrielle
Compte rendu de la table ronde « Politique industrielle »
Propos résumés par la Rédaction
La politique industrielle, terme devenu tabou pendant quelques décennies, est de nouveau présentable. C’est le constat de Christian Marbach (56), animateur de cette table ronde. On a le droit d’en parler, il faut l’afficher, la mettre en avant. Et, pour cela, il faut un corps de fonctionnaires, utile à la nation, aux administrations et aux entreprises.
REPÈRES
La table ronde était illustrée par un petit film sur « les grandes heures de la politique industrielle », réalisé par de jeunes et moins jeunes ingénieurs de l’École.
Sully souligne l’importance des activités de production. Colbert les promeut, pour le roi souvent, pour la patrie toujours. Saint-Simon estime que la société tout entière repose sur l’industrie. Charles de Freycinet annonce la disparition presque complète du travail manuel. Plus près de nous sont cités Auguste Detœuf, Maurice Thorez, Louis Armand, ou encore Jean Monnet, pour qui la modernisation est un état d’esprit.
Faisons rêver les enseignants et les jeunes
Franck Lirzin (2003) et Ludovic Weber (2000) présentent en guise de hors-d’œuvre une petite enquête auprès d’une trentaine d’ingénieurs du corps. Constatant une alternance de laisser-faire et d’interventionnisme, ceux-ci proposent, entre autres, de faire de l’Europe un maillon central de notre politique industrielle, de maîtriser l’environnement législatif et réglementaire dans lequel évolue l’industrie, de soutenir l’entrepreneuriat et l’innovation, d’adapter la formation et l’enseignement.
L’aube d’une révolution industrielle
Pierre Gattaz, président de Radiall, évoque les trente glorieuses, les trente piteuses et les dix dernières années, calamiteuses. » Les entreprises de taille intermédiaire ont du mal à s’adapter. En ce qui nous concerne, nous avons transféré notre savoir-faire électronique français à l’aéronautique américaine en travaillant pour Boeing.
« Il ne faut pas subir la croissance mondiale, mais la faire nous-mêmes dans les pays émergents. Mais il faut être fort en France pour l’être ailleurs.
« Nous sommes à l’aube d’une révolution industrielle. Tenons un discours français. Retrouvons une ambition et une fierté. Faisons rêver les professeurs, les jeunes et les jeunes ingénieurs. »
Exiger la réciprocité
Patrick Kron, président d’Alstom, estime qu’une grande entreprise a également besoin de stabilité et de visibilité.
SOS Industrie
Intervenant par le truchement d’un film réalisé par les jeunes, Lionel Stoléru (56) rappelle tous les grands programmes lancés dans « les années Pompidou ». Il souligne la chute des emplois industriels (15% d’emplois perdus en France depuis 2001, année d’entrée de la Chine dans le commerce international). Pour lui, » il faut mettre à profit le grand emprunt pour se placer mondialement sur les niches encore disponibles. »
« Il faut s’inscrire dans la concurrence internationale ; aller sur le terrain des attaquants, tels que la Chine ; assurer la durée de vie, donc les services. » Il insiste sur la réciprocité, prenant l’exemple des Japonais et des trains (ils possèdent 10% du marché mondial, mais 99% de leurs trains sont japonais).
« Nous passons en France pour les rois du protectionnisme, alors qu’en réalité nous sommes les plus ouverts. Soyons ouverts, sans être crétins. » Il réclame un lien entre « les domaines où nous sommes champions (le TGV, le nucléaire, l’aéronautique) et le lancement de grands programmes nationaux mobilisant des moyens. »
L’union sacrée pour l’industrie
Servir et s’en servir
Intervenant également de façon indirecte, Bernard Esambert (54) regrette lui aussi les années Pompidou. « Nous avons connu une république des ingénieurs, avec un président qui avait la fibre industrielle. Il faut y revenir aujourd’hui avec de grands programmes évidents, par exemple, dans les nanotechnologies ou la biologie. Nous pouvons compter sur nos ingénieurs qui ont appris à servir et non pas à se servir. Mais nous pouvons aussi conseiller à nos politiques de se servir… des ingénieurs des Mines. »
Yvon Jacob, président de la Fédération des industries mécaniques, veut d’abord résoudre les problèmes en France.
« Nous avons empêché le laisser-faire et installé le laissez-passer univoque. Les pays émergés, et non plus émergents, disposent de facilités extraordinaires pour vendre chez nous. Nous attendons de l’Union européenne une révision des conditions des échanges internationaux, une organisation du marché européen, une révision de la réglementation européenne, au lieu d’accabler nos entreprises de handicaps supplémentaires.
« Décrétons en France une union sacrée pour l’industrie, par exemple, en réorganisant le marché du travail. Et que nos entreprises se fassent entendre à Bruxelles, en parfaite coordination avec les pouvoirs publics. »
Champion européen et grands projets
Décrétons en France une union sacrée pour l’industrie
Nicolas Véron, économiste, défend l’idée du champion européen, tout en promouvant l’innovation. « On crée une tension salutaire entre nationalité et compétitivité. En Allemagne, rappelle-t-il, on regarde où sont fabriqués les trains.
» Virek Badrinath, Orange, évoque les débuts flamboyants du téléphone mobile au Royaume- Uni, suivis de pannes d’investissements et de la concentration des protagonistes. » La concurrence, estime-t-il, c’est un peu court pour définir un axe de développement. »
Vincent Rigal, Solar, est sceptique sur les grands projets communautaires. Mais il estime que » les créateurs n’ont pas assez de compétence financière. »
Laissons conclure Raymond Lévy (46), également à l’écran : « Les Français n’aiment pas leur industrie, c’est grave. » Mais, » faisons confiance aux ingénieurs des Mines, eux aussi sont formés pour la patrie, les sciences et la gloire. La patrie leur a fourni les moyens de leurs études et la carrière la plus brillante possible. Qu’ils s’en souviennent. »
Le statut d’ingénieur
Grande figure des Télécoms, également évoquée par film interposé, Gérard Théry (56) déplore la disparition de « monsieur » l’ingénieur et la formation moderne des enfants, « qu’on emmène au théâtre ou aux champs, mais pas à l’usine « . Pour lui, » le rôle d’un corps de l’État est de restaurer le statut d’ingénieur. »