Il faut allier efficacité énergétique et diversification des sources d’énergie
Les politiques énergétiques actuelles ne seront plus viables demain. À court terme, les inflexions politiques doivent être fondées sur les technologies existantes qui permettent de réduire fortement l’énergie consommée. À cette efficacité énergétique, il faut associer le choix d’accroître à la fois l’appel aux énergies renouvelables, au nucléaire et à l’énergie fossile avec capture et séquestration du gaz carbonique. Il deviendra alors possible d’obtenir, tout à la fois, sécurité d’approvisionnement, croissance économique et respect de l’environnement. Le rôle des gouvernements restera essentiel, notamment en matière de recherche et développement, normalisation, régulation et information de l’opinion publique.
Claude Mandil X61 Directeur exécutif à l’Agence internationale de l’énergie (AIE), où coopérent 26 pays membres de l’OCDE pour améliorer l’offre et la demande au niveau mondial, utiliser plus efficacement l’énergie et développer des sources d’énergie de substitution.
Les trois E, piliers de l’équilibre énergétique
Une « bonne » politique énergétique, au sens où l’entend l’AIE (Agence internationale de l’énergie) se caractérise par les « 3E » : Energy security, Economic growth, Environmental protection. On ne peut négliger l’un de ces éléments sans compromettre l’ensemble.
Quelle combinaison d’énergies primaires choisir pour un développement durable ? On ne peut que donner quelques indications, fondées à la fois sur les caractéristiques communes d’une politique énergétique équilibrée et les traits spécifiques à chaque pays. Sommes-nous sur la bonne voie ? Les tendances mondiales de l’énergie sont-elles compatibles avec ce qu’on appelle les « 3E » ? La réponse, claire et attristante, est : non, en aucune façon.
Si on extrapole les tendances actuelles, la demande mondiale d’énergie augmenterait de plus de 50 % dans les vingt-cinq prochaines années. Le secteur du transport resterait massivement dépendant du pétrole et de plus en plus dépendant d’un nombre de plus en plus réduit de zones de production, essentiellement le Moyen-Orient et l’ancienne Union soviétique. Les prix augmenteraient de manière importante et les émissions de CO2, le principal responsable de l’effet de serre, augmenteraient de près de 60 %.
Cela n’est pas compatible avec le premier E. La sécurité d’approvisionnement suppose la diversité des énergies et des sources. Ce n’est pas compatible avec le second E car la croissance économique suppose des prix modérés. Et c’est en totale opposition avec le troisième E, car la protection de l’environnement exige d’abord l’infléchissement et, à terme, une forte décroissance des émissions de CO2. De plus ces résultats désastreux n’empêcheraient même pas un milliard et demi d’êtres humains d’être toujours privés d’électricité, une honte avec son cortège de conséquences sur l’éducation, la santé et le développement économique.
Que peut-on faire ?
Réduire de 15 % la consommation d’énergie
Surveiller régulièrement la pression de ses pneus peut faire économiser jusqu’à 5 % de carburant à coût nul
À court terme, les inflexions politiques doivent être fondées sur les technologies existantes, car les ruptures scientifiques et techniques prennent du temps à apparaître sur les marchés. Il ne faut pas en être déçu, car les technologies actuelles permettent des progrès considérables. L’essentiel de ce que l’on peut obtenir immédiatement a trait à l’efficacité énergétique. Il est possible, avec les technologies existantes, de réduire fortement l’énergie consommée par unité de PIB, en général à coûts faibles, voire négatifs. Voici quelques exemples.
Il y a deux ans, l’AIE a conduit une étude sur les appareils électriques domestiques. Il s’agissait de répondre à une question simple : combien d’énergie pourrait-on économiser, si ‚dans chaque pays de l’OCDE, chaque consommateur avait la volonté et la possibilité de choisir, à service égal, l’appareil le moins coûteux en tenant compte non seulement du prix d’achat mais aussi du coût de la consommation d’énergie pendant la durée de vie de l’appareil ? Le résultat est incroyable : on pourrait économiser 30 % de l’électricité consommée par ces appareils, avec les technologies d’aujourd’hui et à coût négatif.
Limiter la consommation en veille
Il est possible, toujours avec les techniques d’aujourd’hui, de réduire la consommation « en veille » des appareils domestiques, celle qui se produit lorsque l’appareil est hors service, consommation à un watt seulement. En général la consommation en veille est très supérieure, sans que personne ne s’en préoccupe car ce n’est pas un critère d’achat. L’AIE a calculé qu’on pourrait éviter une puissance de pointe de 20 GW dans les pays de l’OCDE rien qu’en limitant la consommation en veille de chaque appareil à 1 watt.
Les exemples abondent. Par exemple la différence de rendement entre les meilleures centrales à charbon et celles qu’on construit le plus souvent dans les pays en développement est d’un tiers.
Normes et persuasion
La consommation d’énergie pourrait être réduite de 15 % avec les techniques actuellement disponibles
Pourquoi tout cela n’est-il pas mis en œuvre ? Le plus souvent c’est tout simplement que les consommateurs n’ont même pas conscience de l’énergie qu’ils pourraient ainsi économiser. C’est donc aux gouvernements qu’il incombe d’agir par des normes, des labels, des standards… et de la persuasion.
L’AIE estime à 15 % la consommation d’énergie qui pourrait être évitée dans le monde en 2030 simplement en améliorant l’efficacité énergétique avec les techniques actuellement disponibles. Le résultat serait bon pour le premier E car l’énergie la plus sûre est celle que l’on ne consomme pas, il serait bon pour le deuxième E car il est accessible à coûts faibles ou négatifs, et il serait bon pour le troisième E, car l’énergie que l’on ne consomme pas ne pollue pas.
Des énergies abondantes et diversifiées
Cela dit, il faudra plus d’efforts pour obtenir un développement vraiment durable. À long terme cet objectif réclame plus que de l’efficacité énergétique et des techniques d’aujourd’hui. Car le défi est considérable : il nous faut des énergies abondantes et diversifiées pour assurer la sécurité d’approvisionnement, des prix modérés pour favoriser la croissance économique, et une très forte réduction des émissions de CO2 pour réduire l’ampleur du changement climatique.
Deux obstacles aux énergies renouvelables
Les pièges du piégeage
Le piégeage du CO2 comporte plusieurs difficultés. Tout d’abord les technologies nécessaires n’ont encore été vérifiées que sur un petit nombre d’unités de démonstration et la première application vraiment commerciale reste à faire. Ensuite, il n’est utilisable qu’avec des émissions concentrées, et non lorsque l’utilisation du combustible est répartie (chauffage et surtout transport). Enfin et surtout, il faudra convaincre l’opinion publique que ce piégeage pourra être efficace sur une très longue période.
Certains soutiennent que ces résultats seront atteints grâce aux énergies renouvelables. Il est vrai que ces énergies sont très prometteuses : elles contribuent à la diversification de l’offre, et elles émettent moins de CO2.
Les biocarburants sont particulièrement intéressants, car ils constituent une des très rares possibilités d’obtenir des carburants liquides autres que le pétrole pour le transport. Mais les renouvelables se heurtent à deux obstacles. Le premier est leur coût. La plupart des énergies renouvelables – à l’exception sans doute de l’éolien – n’ont pas atteint la maturité technologique leur permettant d’être compétitives. La recherche et le développement sont ici une priorité absolue. Le second obstacle est leur faible densité énergétique ce qui signifie que toute substitution de combustibles fossiles par des renouvelables risque de consommer des surfaces énormes.
Il est clair que les renouvelables ne peuvent pas être la solution unique.
Les handicaps du nucléaire
Certains voient la solution dans le nucléaire. Et il est vrai que le nucléaire est un moyen très puissant et économique de produire de grandes quantités d’électricité sans émettre de CO2. Mais le nucléaire présente un lourd handicap : l’opinion publique est loin de lui être favorable, essentiellement parce qu’elle n’est pas convaincue qu’une solution définitive et sûre a été trouvée pour la gestion des déchets à long terme. En outre le nucléaire répond essentiellement à la demande en électricité et imparfaitement à la demande du secteur du transport. Même lorsque la question des déchets aura trouvé une solution, la voie nucléaire ne peut pas être la solution unique.
Le charbon n’est pas mort
Pour certains, la solution viendra des combustibles fossiles, en particulier du charbon. Et il est vrai que le charbon est bon marché et très abondamment réparti sur la planète. Mais son utilisation provoque d’énormes émissions de CO2. Toutefois une nouvelle piste technologique semble particulièrement prometteuse : la « capture » du CO2 dans les fumées des gros consommateurs (centrales électriques, cimenteries, etc.) suivie de sa « séquestration », c’est-à-dire son piégeage dans des couches géologiques profondes (gisements de charbon, gisements de pétrole ou de gaz exploités, aquifères saumâtres). Les énergies fossiles, même avec capture et séquestration du CO2, ne peuvent pas être la seule solution.
Utiliser toutes les solutions
Ne rien abandonner
Il va de soi que la combinaison énergétique ne peut pas être déterminée avec précision. Des percées technologiques importantes sont nécessaires. Les considérations de politique ou de culture nationale jouent un grand rôle et conduisent certains pays à refuser le nucléaire. Mais une chose est sûre : ce n’est pas le moment d’abandonner l’une quelconque de ces options.
La seule façon d’atteindre le développement durable est d’utiliser toutes ces solutions en même temps. En d’autres termes si on associe des efforts accrus d’efficacité énergétique, plus de renouvelables et de nucléaire et plus d’énergie fossile avec capture et séquestration du CO2, alors sera-t-il possible d’obtenir à la fois sécurité d’approvisionnement, croissance économique et une forte réduction des émissions de CO2, tout en apportant une énergie moderne à tous les citoyens du monde.
Et l’hydrogène ?
L’hydrogène n’existe pour ainsi dire pas dans des réservoirs naturels. Il doit être produit à partir d’autres énergies et cette production entraîne une perte d’énergie, de même que le transport et la distribution de l’hydrogène. L’hydrogène n’est donc intéressant que si ces pertes sont compensées par l’introduction des piles à combustible qui ont, elles, un excellent rendement énergétique. Mais il s’agit d’une révolution du système énergétique qui suppose la résolution de problèmes technologiques et économiques considérables. Une fois ces problèmes résolus, l’hydrogène peut apporter une solution s’il est produit sans émissions du CO2, c’est-à-dire en utilisant les renouvelables, le nucléaire ou la capture du CO2, car c’est une alternative non émettrice à l’utilisation du pétrole dans les transports.
Allons-nous manquer d’énergie fossile ?
La fusion en devenir
Parfois mentionnée parmi les énergies d’avenir, la fusion est pour l’instant du domaine de la recherche fondamentale. Deviendra-t-elle une énergie commerciale ? Nul ne le sait, et en tout cas sans doute pas avant la fin du siècle. Nos problèmes ne peuvent pas attendre.
Pour le charbon, certainement pas dans un avenir prévisible. Pour le pétrole, l’AIE est convaincue que le progrès technologique réussira à repousser la date du « peak oil » de plusieurs décennies, grâce à l’exploitation de pétrole très profond, de sables bitumineux et d’autres hydrocarbures extra-lourds, et à l’accroissement des taux de récupération. La situation devrait être encore meilleure pour le gaz. Mais il est vrai que le monde dépendra de plus en plus d’un nombre de plus en plus réduit de producteurs, ce qui n’améliorera pas la sécurité d’approvisionnement.
Le rôle fondamental des gouvernements
Si l’on apprécie le fait de disposer d’énergie, on ne peut en refuser les outils de production
Il faut, enfin, souligner l’importance du rôle des gouvernements. Le secteur de l’énergie a besoin d’investissements considérables, doit réduire ses coûts et accroître ses performances. Tout cela est de la responsabilité du marché, mais les gouvernements gardent un rôle important : ils doivent s’assurer que le marché fonctionne et que ses signaux sont convenablement perçus, en évitant les subventions qui empêchent ces signaux d’atteindre les consommateurs et en favorisant les mécanismes de marché tels que les permis d’émission négociables de CO2.
En même temps, les gouvernements doivent suppléer aux marchés quand ils ne fonctionnent pas bien. Cela concerne le financement de la R & D, l’utilisation de la normalisation quand le signal prix est trop faible pour atteindre le consommateur.
Les gouvernements doivent aussi s’assurer que les règles, la législation et les pratiques favorisent l’investissement, et ils doivent expliquer à l’opinion publique, qui aime disposer d’énergie, mais n’aime pas les outils de production et de transport de cette énergie, qu’on ne peut pas avoir l’un sans l’autre.